
Toute personne qui a voyagé en Afrique sub-saharienne a pu voir lors d’une visite d’un marché des femmes accroupies proposant aux chalands des médicaments amassés dans des bassines. Des médicaments qui d’après elles sont à même de tout soigner et dont l’efficacité est fonction de leur couleur. Si cela permet de faire de belles photos le « pittoresque » cela cache une situation dramatique pour une partie de la population qui se voit contrainte d’avoir recours à ces vendeuses et à leurs médicaments.
Plusieurs raisons les contraignent à ce recours. D’abord les difficultés physiques ou la crainte de se rendre dans une officine. Ensuite l’incapacité financière d’y acheter ce qui a été prescrit. En effet, rappelons que d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans l’Afrique sub-saharienne la moyenne de la part des dépenses de santé des ménages fluctuait entre 32 et 36 % du total des dépenses de santé entre 2000 et 2017 dont la plus une part importante concernant l’achat de médicaments.
Ainsi au Burkina Faso l’achat de médicaments représente environ 60 % des dépenses de santé des ménages . Aussi ne faut-il pas s’étonner que la population pauvre ce tourne vers des médicaments beaucoup moins chers, c’est à dire dans bien des cas les médicaments frauduleux ou contrefaits. C’est pourquoi on estime que leur part représente de 30% à 50% du total des médicaments vendus.
Cette situation conduit à poser trois questions : pourquoi les médicaments vendus en officine coûtent-ils chers ? Qui importe les médicaments frauduleux ? Pourquoi les états qui sont comptables de la santé publique n’ont-ils pas conduit de politiques du médicament.
Pourquoi des prix élevés ?
Si la première des causes trouve son origine dans le fait que l’Afrique ne produit qu’environ 3 % des médicaments qu’elle consomme et donc que le solde est importés avec toutes les conséquences en matière de frais de transport et d’importation, la seconde est interne. En effet comme le souligne toutes les études, la multiplication du nombre d’intermédiaires a pour conséquence une augmentation importante des prix de vente aux patients des médicaments vendus en officine.
Ainsi une étude de PROPARCO/AFD montre qu’au Ghana « plus de 500 entreprises distribuent les produits pharmaceutiques et plus de 700 détaillants les commercialisent ». Cette même étude qui compare le coût imputable aux grossistes au Kenya et aux USA : « Au Kenya, le prix du producteur représente seulement 48% du prix final d’un médicament produit par le secteur privé alors que 22% reviennent au grossiste, 21% au détaillant et 9% sont nécessaires pour le reconditionnement au niveau local. Aux États-Unis, marché très fortement consolidé, la marge des grossistes représente environ 4% du prix final ».
Qui importe les médicaments frauduleux ?
Le terme de médicaments frauduleux si souvent employé est à la fois approprié et inexact. En effet qui a-t-il de commun entre des médicaments fabriqués par des laboratoires ayant pignon sur rue et respectant les normes internationales et ceux ne répondant à aucun de ces ceux critères ? Rien si ce n’est que dans les deux cas leur importation ne fait l’objet d’aucun contrôle par un laboratoire national agréé lors de leur entrée dans le pays et qu’aucun droit de douane n’est payé. Quant à leur dangerosité elle reste variable quant à leur composition et toujours incertaine du fait des conditions de vente.
Au delà de ces considérations il convient de distinguer deux filières d’importation très différentes :
- d’un côté celle relevant de l’organisation « familiale » ou de proximité. C’est le cousin ou le voisin qui revient d’un voyage à l’étranger et qui rapporte un sac rempli de médicaments que sa tante revendra sur le marché local. Les volumes traités et les sommes en jeu sont faibles ;
- de l’autre celle organisée de façon professionnelle nécessitant une mise de fonds importante dès le départ. Ici le fraudeur est à même d’identifier et de traiter soit avec un intermédiaire international soit directement avec un laboratoire officiel ou non, de mener des négociations sur la nature des médicaments à acheter, sur les quantités, les prix, les conditions d’exportation, les modalités de paiement, puis d’organiser leur transport international par container jusqu’au pays de destination, ensuite de gérer l’importation de manière que les services officiels de l’état ne pratiquent aucun contrôle, enfin de les distribuer dans le pays suivant une chaîne allant du grossiste jusqu’aux niveaux des vendeurs locaux. Dans cette filière les moyens financiers et techniques mis en jeu imposent que les volumes soient importants.
Pourquoi les états qui sont pourtant comptables de la santé publique n’ont pas conduit de politiques du médicaments
S’il existe autant de raisons que de situations, celles-ci peuvent être groupées suivant trois catégories :
- Tout d’abord les circonstances particulières comme les guerres, les conflits internes, l’instabilité politique. Autant de situations qui permettent à quelques personnes de s’enrichir rapidement par le moyen d’importations frauduleuses qu’ils savent sans risque – ou presque – puisque les services de l’état ne fonctionnent plus ou mal, personnes disposant de moyens techniques et financiers ou à même de les fédérer autour d’elles. Cela peut être aussi une situation économique dégradée conduisant à un manque de moyens de l’état constituant un terrain propice à la corruption.
- Ensuite des circonstances techniques comme par exemple la taille du pays qui ne permet pas de disposer des recettes budgétaires pour se doter et faire fonctionner des moyens techniques de contrôle. Cela peut être aussi la nécessité d’autres priorités comme l’équipement sanitaire, l’eau ou l’éducation. Enfin ce peut être le refus de changer un mode de distribution de médicaments qui profite à certains proches du pouvoir.
- Enfin des circonstances « basses » comme l’absence d’un système d’assurance maladie universelle à même de prendre en charge les dépenses de médicaments.
Si le fléau des médicaments frauduleux est encore (largement) présent en Afrique sub-saharienne il faut constater que les états tant sous la pression des populations que relaient les média lors d’empoisonnements que des organismes internationaux ont été contraints de développer des stratégies de lutte et de contrôle. C’est un progrès. Mais un progrès toujours incertain en raison des profits financiers importants que génère ce trafic qui met à bas bien des scrupules.