Nous tenons à préciser – avant que ne nous le reprochent les thuriféraires du régime de Yaoundé – que nous ne sommes téléguidés par personne. Inutile donc d’aller chercher du côté d’une quelconque ingérence de quelque puissance que ce soit, ou dans la politique intérieure d’un État ami, et néanmoins aussi indépendant que peut l’être le Cameroun.
En lançant ce mouvement, nous sommes uniquement mus par notre devoir de gratitude envers le Cameroun qui nous a vu naître ou grandir. Dans son Traité sur la dette de reconnaissance, le sage japonais du 13e siècle, Nichiren, écrivait. « Le vieux renard n’oublie jamais la colline sur laquelle il est né. La tortue blanche rendit à Mao Bao la faveur qu’elle avait reçue de lui. Si même des animaux sont capables de se conduire ainsi, comment des êtres humains pourraient-ils ne pas le faire? », Interroge-t-il, avant de conseiller à quiconque de ne jamais oublier la dette de reconnaissance qu’il doit à ses parents, à ses maîtres et à son pays.
Notre démarche est donc avant tout citoyenne. Nous qui vivons hors du Cameroun, souhaitons apporter notre contribution, si modeste soit-elle, à l’édification d’une société juste, dans le pays qui est le «bien commun» de tous ses ressortissants.
Protégés par les démocraties qui nous ont accueillis, nous ne pouvons donc rester silencieux face à la dérive de l’institution judiciaire camerounaise, qui prive de nombreux citoyens de leur liberté et les maintient longuement en détention, pour des motifs autres que ceux du droit commun généralement avancés, en piétinant allègrement les règles les plus élémentaires de la procédure pénale.
La libération récente de Michel Thierry Atangana et de l’ancien ministre Titus Edzoa après plus de dix-sept (17) ans de détention et deux condamnations pour les mêmes faits, est en effet venue jeter une lumière froide sur l’existence au Cameroun de nombreux prisonniers, qui doivent leur séjour en prison, non pas pour les faits qui leur sont officiellement reprochés, mais seulement parce que un jour ou l’autre, ils ont été soupçonnés de velléités politiques, ou de faire ombrage au prince par leur popularité réelle ou supposée, ou leur activisme débordant.
Le cas le plus illustratif de cette situation est celui de Pierre Désiré Engo, ancien ministre et ancien Directeur général de la Caisse nationale de prévoyance sociale. Lorsque le président Paul Biya a décidé de gracier certains prisonniers en février dernier, certains journaux camerounais avaient même titré que cet homme aujourd’hui âgé de 73 ans serait libéré en « maillot jaune ». Après avoir passé 14 ans en prison, Pierre Désiré Engo remplissait en effet toutes les conditions requises pour bénéficier de la remise de peine décrétée par Paul Biya qui fixait le plancher de la détention à 10 ans pour détournement de fonds publics, pour être élargi. Il n’est pas inutile de signaler que Pierre Désiré Engo a par ailleurs été reconnu prisonnier d’opinion par l’ONU, avant le français Michel Thierry Atangana. C’était en 2009. Il avait été à cette occasion demandé à l’État camerounais de le libérer sous 180 jours.
Non seulement il n’a pas été libéré, mais il doit faire face à un nouveau procès, pour détournement de 25 milliards de Francs CFA, alors même qu’en 1999, les juges avaient trouvé cette accusation fantaisiste, soutenue par des preuves «inconséquentes» et « inexploitables », et l’avait classée sans suite.
Lorsqu’on examine attentivement l’affaire Pierre Désiré Engo, on se rend compte qu’il doit son malheur- les procès à tiroirs qu’il affronte depuis 14 et qui se sont soldés par trois condamnations sur des bases hautement discutables – à la fondation qu’il avait créée, pour perpétuer la mémoire de Martin Paul Samba, un héros de la résistance à la colonisation allemande. On sait que cette initiative l’avait rendue très populaire auprès des populations du Sud du Cameroun d’où il est originaire, comme le président Paul Biya. On connaît la suite.
Un autre cas est celui de Marafa Hamidou Yaya, ancien ministre de l’Administration territorial et ancien Secrétaire général de la présidence camerounaise. Arrêté mi-avril 2012, il a été condamné à 25 ans de prison ferme, officiellement pour détournement de fonds publics en lien avec l’achat d’un avion pour le Président du Cameroun. Pour justifier une sentence aussi lourde, le juge a évoqué un motif inédit, la « complicité intellectuelle » dans le détournement d’une somme évaluée à 25 millions de dollars et dédiée à l’achat d’un avion présidentiel. « Pour cela, il s’est fondé uniquement sur ma relation amicale avec un des coaccusés au moment des faits », a commenté le condamné. On sait aujourd’hui après confirmation de l’avocat du Cameroun dans ledit contentieux, Me Akeré Muna, que les autorités Camerounaises avaient entièrement recouvré les millions de dollars qui étaient censés avoir été détournés dans le cadre de l’achat de l’avion présidentiel, plus un aéronef, ce bien avant même le début du procès kafkaïen qui a abouti à la condamnation de M. Marafa.
Il est clair aujourd’hui que le crime présumé de M. Marafa est celui de lèse-majesté. Comme Pierre Désiré Engo, il aurait été soupçonné de faire ombrage à Paul Biya. Ses malheurs semblent en effet avoir commencé avec la publication de plusieurs milliers de documents confidentiels de la diplomatie américaine suite à une fuite relayée par l’association Wikileaks en novembre 2010. Un câble confidentiel de l’ambassade des États-Unis à Yaoundé dévoilé par Wikileaks le présentait en effet comme le potentiel successeur de Paul Biya. Des révélations qui ne pouvaient faire plaisir aux autres candidats généralement présentés comme des « fils adoptifs » du Président qui semblent être déjà dans une sourde mais fratricide bataille de succession, à fort repli tribal et villageois.
Sa trajectoire pénitentiaire laisse d’ailleurs aucun doute sur les intentions criminelles de ses geôliers. En effet comme Michel Thierry Atangana et Titus Edzoa en leur temps, il a d’abord été détenu à la prison centrale de Nkondengui à Yaoundé, avant d’être ensuite transféré dans un camp militaire dirigé par le Secrétaire d’État à la Défense à Yaoundé, érigé seulement depuis 2012 en prison secondaire par un arrêté du Ministre de la Justice du Cameroun, Laurent Esso. Pour le département d’État américain, Marafa Hamidou Yaya qui risque de perdre la vue en prison, à cause d’une maladie oculaire débilitante, n’est rien d’autre qu’un prisonnier politique.
Messieurs Pierre Désiré Engo et Marafa Hamidou Yaya sont loin d’être les seuls prisonniers manifestement politiques au Cameroun, ni les seules victimes de l’arbitraire judiciaire et carcéral dans ce pays. Il y en a tant d’autres encore qui, pour des motifs d’incarcération les plus divers et variés, les plus farfelus et fallacieux, méritent aussi que nous leur accordions toute notre considération.
D’où l’urgence de ramener l’Opération Épervier, dite de « lutte nationale contre la corruption » à ce qu’elle est devenue dans les faits: une vaste campagne d’épuration politique consistant, ou à mettre hors d’état de nuire tous les successeurs potentiels et supposés de Paul Biya (à l’exception notable de son cercle familial et villageois), ou à éliminer systématiquement tous ceux que ses réseaux de fidèles et faucons désignent dans leur zone d’influence respective comme des « dangereux » empêcheurs de pérenniser un régime aujourd’hui trentenaire.
Aussi le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P) se chargera sans relâche et à la demande des premiers concernés: d’étudier les dossiers au cas par cas, de sensibiliser les opinions publiques (nationales et internationales), puis de mobiliser toutes les forces, organisations, et institutions pouvant concourir efficacement à la libération de celles et ceux dont le caractère politique ou arbitraire de la détention aura préalablement été établi.
Pour le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P) du Cameroun
René DASSIÉ, Le Président
Joël Didier ENGO, Le Porte-Parole