Pourquoi certains pays sont-ils plus riches que d’autres ?


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Le paysage économique contemporain est marqué par d’importantes inégalités de revenu entre les habitants des différents pays du monde. En 2011, l’Américain moyen est neuf fois plus riche que le Sri Lankais moyen et soixante fois plus riche que le Sierra Léonais moyen. Pourquoi de telles différences de niveau de vie existent-elles ? La compréhension de l’origine de ces inégalités est l’un des enjeux centraux, sinon l’enjeu central, de la science économique.

Les ingrédients fondamentaux de la croissance économique sont bien connus. Le niveau de vie des citoyens d’un pays peut augmenter de deux façons : soit par l’accumulation de capital par tête, c’est-à-dire par l’épargne et par l’investissement ; soit par l’amélioration de l’efficacité des techniques de production, dans le jargon des économistes, soit par l’augmentation de la « productivité totale des facteurs ». Ce qui explique que les américains soient plus riches que les Sierra Léonais, c’est que les premiers disposent d’un stock de capital par tête plus élevé et de méthodes de production plus efficaces.
Mais cette explication, à elle seule, n’est pas suffisante pour rendre compte des écarts de niveau de vie entre les habitants des différents pays du monde. Elle ne permet pas de comprendre pourquoi certains pays disposent d’un stock de capital par tête plus élevé et de méthodes de production plus efficaces. Quels sont les « déterminants profonds » (l’expression est de Dani Rodrik) de la croissance économique ? Pourquoi les citoyens de certains pays ont-ils, au cours de l’histoire, plus épargné, plus investi et plus innové dans de nouvelles techniques de production ?

La réponse à cette question tient au rôle des institutions dans le développement économique. Les institutions sont les « règles du jeu » de la vie économique que les êtres humains s’imposent à eux-mêmes, selon la célèbre définition de Douglass North. Certains pays disposent d’institutions de qualité, qui encouragent la prise de risque, le commerce, l’esprit d’entreprise, l’investissement. D’autres pays, en revanche, sont dotés d’institutions qui ne possèdent pas, ou possèdent moins, ces vertus. Parmi les institutions qui encouragent le développement économique, le respect de la propriété privée et la liberté économique occupent une place centrale. Par exemple, l’Index of Economic Freedom de l’Heritage Foundation permet de montrer qu’il existe une forte corrélation entre la liberté économique dont jouissent les citoyens d’un pays et le PIB par habitant de ce pays.

Pour convaincante que cette réponse puisse être, elle ne fait pas pour autant consensus. Après tout, les sceptiques peuvent arguer que corrélation n’est pas causalité. Il est logiquement possible que la causalité soit inverse, c’est-à-dire que la prospérité conduise à l’adoption d’institutions de qualité. Il est également possible que d’autres facteurs interviennent. La culture, la religion, la géographie ou la qualité du système d’éducation sont autant d’éventuels candidats concurrents pour expliquer le développement économique.
Fort heureusement pour l’économiste soucieux de découvrir empiriquement le lien de causalité, l’histoire fournit quelques expériences à grande échelle. Ces expériences montrent que les doutes sur l’origine institutionnelle de la prospérité économique sont, sinon infondés, du moins exagérés. Après la seconde guerre mondiale, la Corée fut séparée en deux zones. En tous points similaires lors de leur séparation en termes de culture, de niveau de vie, de religion, les deux zones ont adopté des institutions politico-économiques drastiquement opposées. La Corée du Nord est devenue communiste, alors que la Corée du Sud a choisi la route du marché libre. L’évolution économique des deux zones est bien connue : la Corée du Sud est un des pays les plus dynamiques d’Asie, alors que les habitants de la Corée du Nord souffrent de la pauvreté de masse et sont régulièrement victimes de disettes. La séparation des deux Allemagne fournit une expérience similaire, bien qu’à certains égards moins dramatique.

La réforme agraire chinoise offre également un exemple frappant de l’importance de l’institution des droits de propriété pour le développement économique. Pendant les années 1950 et 1960, l’agriculture chinoise était organisée selon les principes du collectivisme. Les planificateurs centraux du gouvernement décidaient des quantités à produire, des prix à fixer et restreignaient les migrations au sein des régions. Les ménages des campagnes, forcés de s’organiser en « coopératives agricoles » puis en « communes du peuple » à partir de 1958, ne disposaient pas d’incitation pour améliorer les méthodes de production. Entre 1978 et 1983, sous l’égide du réformateur Deng Xiaoping, le gouvernement chinois introduit le « système de responsabilité » (« household responsability system »), basé sur le respect des droits de propriété des fermes individuelles. Grace à cette nouvelle politique, les ménages purent récolter les fruits de leur travail. Alors que la production agricole décroissait pendant la période collectiviste, le système basé sur la propriété privée engendra une croissance rapide : « la production de céréales (riz, blé, maïs) a bondi, passant de 247 millions de tonnes en 1978 à 339 millions de tonnes en 1984. ». Cette croissance et les gains de productivité qui l’ont accompagnée ont libéré la main d’œuvre agricole pour le secteur industriel, générant le décollage économique que l’on sait. La preuve de l’efficacité d’un système économique respectant les droits de propriété ne peut guère être mieux établie que par l’expérience agraire chinoise.

Ces évidences montrent que les institutions de qualité jouent un rôle prépondérant dans le développement économique. Elles fournissent la clé de la compréhension de l’origine de la prospérité des nations. Certes, cette idée n’est pas nouvelle. Déjà en 1776, Adam Smith affirmait que « l’effort naturel par lequel chaque individu cherche à améliorer sa propre condition, lorsqu’on lui permet de l’exercer librement et en toute sécurité, est un principe si puissant qu’à lui seul et sans aucune assistance, il est capable […] de conduire la société à la richesse et à la prospérité » (italiques ajoutées). Mais une idée juste ne perd pas à être répétée.

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