Le 2è Congrès mondial contre la peine de mort se tient du 6 au 9 octobre, à Montréal, au Canada. Il est co-organisé par l’association française Ensemble contre la peine de mort (ECPM) et l’ONG Penal Reform International (PRI). Rencontre avec le président de PRI, le Tunisien Ahmed Othmani.
De notre envoyée spéciale à Montréal
Ahmed Othmani est le président de l’association Penal Reform International (PRI). Cette ONG, qui existe depuis 15 ans, est co-organisatrice, avec Ensemble contre la peine de mort (ECPM), du deuxième Congrès mondial contre la peine de mort qui se tient à Montréal du 6 au 9 octobre. Quelques 150 intervenants du monde entier sont attendus pour animer et participer aux tables rondes et ateliers régionaux sur la peine capitale. L’histoire personnelle d’Ahmed Othmani se confond avec celle des droits de l’Homme en Tunisie. Prisonnier politique pendant plus de 10 ans dans les années 70 à cause de son appartenance au Groupe d’étude et d’action socialiste tunisien lorsqu’il était étudiant, il s’engage à sa sortie de prison à Amnesty International. Avec sa femme, Simone, il contribue à la création de la section tunisienne d’Amnesty en 1981. En 1984, il travaille au siège londonien et en 1989 fonde PRI avec d’autres personnes. A l’époque, il se rend compte que le mouvement de défense des droits de l’Homme est centré principalement sur les prisonniers politiques et d’opinion. Or, la majorité des prisonniers sont des détenus de droit commun, « des êtres humains qui méritent aussi d’être pris en compte ». Il nous explique l’engagement de PRI.
Afrik.com : Quels sont les objectifs de votre association ?
Ahmed Othmani : Faire respecter les normes et standards pénitentiaires internationaux et contribuer au développement et à la mise en œuvre de normes internationales en matière de code pénal et pénitentiaire. Nous sommes contre la peine de mort et contre les discriminations dans tout processus de justice. Nous plaidons pour moins d’usage de la prison au niveau mondial et pour mettre en place des alternatives à l’emprisonnement. Ceci pour éviter que les petits délinquants, les primo-délinquants, les mineurs et les femmes enceintes ne soient pas mis en prison. Nous sommes implantés dans plus de 80 pays, nous avons 11 bureaux régionaux et des programmes en cours dans une quarantaine de pays. Nous travaillons également dans des pays en transition ou sortis de la guerre, comme le Rwanda ou le Burundi. Notre spécificité est d’engager des partenariats avec des Etats pour la réforme des systèmes de justice pénale et des prisons. Dans ce cadre, nous travaillons avec le judiciaire, qui est un élément important dans la lutte contre la peine de mort, notamment en Afrique.
Afrik.com : Pourquoi ?
Ahmed Othmani : Le travail législatif est essentiel pour des pays qui ont la peine de mort dans leurs lois mais ne l’appliquent pas. C’est le cas du Sénégal. En juillet dernier, un projet de loi portant sur l’abolition de la peine de mort a été examiné et adopté par le Conseil des ministres sénégalais. Ce qui va permettre au pays d’abolir prochainement. Vingt-quatre pays dans le monde n’exécutent plus de condamnés à mort depuis 10 ans ou plus : l’Algérie, le Bénin, le Burkina, le Congo, la Gambie, le Kenya, Madagascar, le Mali, la Mauritanie, le Niger, la Centrafrique, le Sénégal, le Togo et la Tunisie. Ce sont des Etats qui pourraient abolir.
Afrik.com : Quel est l’engagement de PRI pour l’abolition de la peine de mort ?
Ahmed Othmani : Notre organisation a inscrit l’abolition de la peine capitale au cœur de son mandat et ce, depuis sa création. L’abolition est clairement l’un de nos objectifs et, en ce sens, nous sommes actifs sur le terrain. Notre activité se place à plusieurs niveaux : premièrement, la promotion de l’abolition à l’échelle internationale, nationale et régionale. Deuxièmement, la mise en place de programmes très spécifiques et pratiquement uniques dans certaines zones, comme les Caraïbes. Sur les cas de peine de mort, nous faisons appel auprès des instances juridiques comme le Private Council, les Cours suprêmes ou la Cour inter-américaine des droits de l’Homme. Il y a eu nombre d’arrêtés qui ont permis de casser des condamnations à la peine capitale et même de faire évoluer les lois. C’est un travail sur le long terme, de négociation avec les Etats. Nous sommes également co-fondateur avec ECPM de la Coalition mondiale contre la peine de mort, créée en 2002. Nous en sommes membre permanent. Et nous avons contribué à la première Journée mondiale contre la peine de mort, organisée le 10 octobre 2003, grâce à notre présence dans différentes régions du monde.
Afrik.com : Et en Afrique ?
Ahmed Othmani : Nous apportons notre appui aux mouvements nationaux et régionaux qui se battent pour l’abolition, soit par un soutien financier, soit en faisant participer des experts internationaux lors de réunions. Plus récemment, nous menons une action auprès de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples pour la pousser à débattre du sujet et à prendre position contre la peine de mort.
Afrik.com : Quels sont vos autres programmes en Afrique ?
Ahmed Othmani : Nos programmes destinés au continent sont les plus anciens et les plus développés. Dès 1991, nous avons d’ailleurs organisé à Tunis la première Conférence arabo-africaine où plus de 100 Etats étaient représentés. Nous avons des programmes sur le thème de l’amélioration des conditions de détention, sur la réhabilitation des détenus, sur la prévention du crime et sur les alternatives à la prison pour les délits mineurs. Ces programmes développés en Afrique, comme au Zimbabwe, au Kenya ou au Burkina, sont devenus des modèles pour d’autres pays d’Asie et d’Europe de l’Est. En ce moment, nous travaillons au Rwanda, au Kenya, en Algérie, au Maroc, au Malawi, au Mali, au Bénin, au Burkina, en Tanzanie, en Namibie et en Ouganda. Nous avons des programmes de formation du personnel de l’administration judiciaire et des programmes pour des secteurs cibles et les groupes à risques comme les mineurs.
Afrik.com : Comme alternative à la peine de mort, vous plaidez pour des peines de prison ?
Ahmed Othmani : La solution évidente est bien sûr la commutation des peines capitales à des peines de prison à vie. Les peines de prison longues doivent être modulables car l’être humain évolue. Au Congrès de Montréal, un certain nombre d’anciens condamnés à mort seront présents. Ils sont aujourd’hui des citoyens comme les autres et à part entière. Une longue peine doit donc garder la possibilité d’avoir un terme. D’ailleurs, ce sont les pays qui appliquent ce système de longue peine modulable qui gèrent le mieux la grande criminalité. L’abolition de la peine de mort n’est pas pour demain, nous le savons, mais il faut tout faire pour que l’espace libre de peine de mort s’élargisse.