Entretien avec Susan George, présidente de l’Observatoire de la mondialisation et vice-présidente de l’association Attac, qui milite pour la taxation des transactions financières internationales.
Susan George, « contre-experte » multidisciplinaire, lutte depuis plus de trente ans contre les effets pervers de la mondialisation. Cet économiste et politologue nous livre sa vision très pessimiste d’une Afrique qui aurait sacrifié son agriculture sur le bûcher du capitalisme mondial. Son approche doctrinaire et son discours – plutôt coupant et sans nuances – sont, au fond, assez éloignés de l’analyse effectuée par les leaders africains eux-mêmes.
Afrik : En avril dernier, le Groupe des 77, créé en 1964 et qui compte aujourd’hui 133 pays du tiers-monde, s’est réuni à Cuba pour réclamer un ordre mondial plus juste. Que pensez-vous de ce premier sommet et des ambitions de ses délégués ?
Susan George : Le Groupe des 77 a été terriblement affaibli par la dette mondiale et les programmes d’ajustements structurels. Le FMI (ndlr : Fonds Monétaire International) et la Banque mondiale ont cassé l’unité qui pouvait exister entre ces pays dans les années 70 et 80. Etant donné que le FMI exige un modèle de développement unique fondé sur les exportations, tous les pays se mettent à exporter un éventail limité de produits à bas prix en grande quantité. Pas besoin d’être un économiste pour comprendre que cela entraîne un surplus de marchandises sur le marché ! La dette mondiale et les programmes d’ajustements structurels ont annulé les efforts que les pays du G 77 avaient entrepris. Il serait plus utile aujourd’hui que ces derniers négocient leur dette sur un mode unifié et non pas pays par pays, gouvernement par gouvernement.
Afrik. : Les pays du G77, et parmi eux ceux du continent africain, revendiquent le droit de produire et d’exporter au même titre que les grandes puissances du Nord. Les réfractaires à ce libre-échangisme, dont l’Attac, s’indignent et crient à l’épuisement des ressources. Quelle est votre position là-dessus ?
Susan George : C’est une analyse à très court terme ! Si les pays africains détruisent tout leur potentiel touristique, s’ils continuent de tuer leurs forêts, leurs animaux, que feront-ils demain ? Tous les pays du Sud veulent entrer dans le XXIe siècle en passant par le XIXe siècle. Pourquoi vouloir absolument imiter toutes les erreurs que l’Occident a faites par le passé ? Personne ne veut encore reconnaître que le prochain siècle sera biologique. Pourquoi les pays du Sud nierait les problèmes écologiques alors même que la consommation au Nord se préoccupe davantage des conditions de fabrication convenables et durables ? C’est irrémédiablement idiot et inutile !
Afrik : Cela signifie-t-il que l’Afrique est condamnée au repli sur elle-même, qu’elle ne doit pas s’accrocher au train de la mondialisation ?
Susan George : Je n’ai pas dit cela ! Et puis l’Afrique ne doit pas nécessairement s’y accrocher. La mondialisation n’est pas forcément bénéfique aux uns et aux autres ! Les pays africains devraient faire le choix, si c’est encore possible, d’élaborer des stratégies de développement pour la petite paysannerie. Et par conséquent éviter que les populations n’aillent grossir les villes et leurs lots de conditions misérables comme le sida, le désoeuvrement , la délinquance. Les villes africaines sont celles qui croissent le plus vite ! L’Afrique doit se donner les moyens de produire pour elle-même. Elle doit pouvoir répondre à une demande locale en routes, en écoles. Pour cela, il faudrait penser à décentraliser les solutions et laisser davantage de place aux structures traditionnelles pour préserver les ressources de l’Afrique et éviter qu’elles soient pillées.
Des gouvernements ont accordé des concessions à des entreprises qui produisent à leur guise comme si les ressources naturelles étaient gratuites et renouvelables. Finalement, ces stratégies ne profitent qu’à quelques-uns.
Il y a d’autres solutions comme le tourisme haut de gamme ou la recherche biologique avec des partenaires sélectionnnés. Sans pour autant vivre en autarcie, les pays africains doivent d’abord développer l’industrie locale et enrayer la croissance anarchique des villes. Mais est-ce encore possible ? Je crains que l’extérieur ne s’en désintéresse peu à peu, en raison de l’extension des conflits qui me semblent d’un autre âge.
Le rapport Lugano, de Susan George. Editions Fayard.
Inventé de toute pièce par l’auteur, Le rapport Lugano est un « document secret, rédigé par douze experts pour le compte d’un directoire économique et politique de la planète ». Il préconise de limiter les bénéfices du capitalisme à quelques « happy few » en éliminant les « improductifs » à l’échelle mondiale. A la fin de livre, Susan George reprend enfin sa plume pour parler en son nom et sortir le lecteur du cauchemar. Ni fiction, ni essai, l’ouvrage atteint le but fixé par Susan George : « terrifier les lecteurs, tirer la sonnette d’alarme par rapport à la logique du système actuel. »