Pour les handicapés


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Laurent Esso, ministre camerounais de la Justice
Laurent Esso, ministre camerounais de la Justice

 Les personnes en situation de handicap souffrent le martyr au Cameroun. C’est du moins le diagnostic fait par l’avocate, écrivaine Christelle Nadio Fotso, qui, dans cette tribune, interpelle le ministre camerounais de la Justice, Laurent Esso.

« L’effort des civilisations est justement d’effacer ce besoin sauvage de se jeter sur son semblable, quand il n’est pas tout à fait semblable », Emile Zola.

Monsieur le Garde des Sceaux,

Cette lettre publique ne m’est absolument d’aucune utilité. Cependant, elle est indispensable. En plus d’être la fille du Dernier Bamiléké, je suis l’avocate de millions de Camerounais qui attendent, depuis trop longtemps, que l’Etat agisse pour que le handicap cesse d’être un obstacle à la citoyenneté. J’ai la certitude que vous n’aurez ni la curiosité ni le courage de me lire attentivement. Vous ferez parcourir ces pages rapidement pour vous assurer que tout le gras et le saignant sont bien codés. Mon patronyme, mon éducation et mes valeurs m’interdisant la délation tout en m’imposant un devoir lourd de mémoire et d’excellence, ils le sont. Pour vous, Monsieur le ministre, comme pour toutes ces personnes à qui je fais d’interminables lettres toujours qualifiées de plaintes égocentriques, les morts sont morts et l’injustice est acceptable lorsqu’elle ne concerne que les faibles en permettant aux puissants de garder la panse bien remplie. Parce qu’agir ou seulement réagir exigerait, Monsieur Esso, une contemplation pénible de votre humanité et un examen de conscience qui vous rappelait votre passé en confrontant le fait que vous êtes devenu l’homme du passif, vous ferez, je le crois, le choix biyaïste de l’indifférence en qualifiant mes mots de larmes du mbolé.

Les handicapés irritent. Nous sommes des taons de la cité. Notre seule existence pose problème lorsqu’elle ne peut être niée et nous faisons du bruit. Nos vies boiteuses sont la démonstration la plus implacable de la persistante nature prédatrice de l’Etat au Cameroun

Bien que me sachant invisible et inaudible, j’écris et je parle en me mettant en danger.  C’est le juste prix de mes privilèges et de mon éducation.  La terre de nos ancêtres, à cause des vôtres, n’est plus qu’un ensemble huileux de femmes et d’hommes zombifiés par un autoritarisme suffisant et abrutissant pour qui le droit n’est qu’un godemiché. L’Etat au Cameroun n’a jamais été protecteur. Il ignore ou broie les personnes en situation de handicap en particulier lorsqu’elles réclament l’égalité, l’équité. l’intégration et oui, la justice. Suivant l’exemple de ceux qui devraient les servir, les Camerounais sont trop souvent monstrueux avec leurs semblables qui ne sont pas semblables, terrorisés par la possibilité que leurs maux soient contagieux. Le handicap marginalise et autorise toutes les exactions. Il n’est pourtant qu’un miroir qui confirme les régressions des sociétés camerounaises et l’ensauvagement de ses populations. Les handicapés irritent. Nous sommes des taons de la cité. Notre seule existence pose problème lorsqu’elle ne peut être niée et nous faisons du bruit. Nos vies boiteuses sont la démonstration la plus implacable de la persistante nature prédatrice de l’Etat au Cameroun.

Lire : L’audace de l’espoir et la puissance de l’espérance

Je vous écris donc, Monsieur le ministre, pleinement consciente que vous n’êtes plus. Je ne peux que prendre acte de votre disparation politique en rendant hommage à l’homme d’état que vous fûtes.  Toutefois, je ferai faisant semblant de croire que Laurent Esso existe encore en vous contant une histoire camerounaise qui l’aurait forcé à l’action non pas motivé par l’indignation ou toute autre passion mais par sa haute idée de son pays, de l’état, de ses fonctions et de lui-même. Vous ne réagirez pas et la prospérité retiendra qu’une femme en situation de handicap a dévoilé au monde que le Garde des Sceaux du Cameroun n’est que l’hologramme d’un grand homme qui, au crépuscule de sa vie politique, miné par d’autres préoccupations que la justice, se serait résigné, selon toute vraisemblable, à faire le tapin.

Une institution de lâchetés piteuses et infectieuses

Sans nous connaître intimement, nous ne sommes pas tout à fait des étrangers l’un pour l’autre. Vous avez eu une relation courtoise avec mon père et avez travaillé de longues années avec celle qui m’a portée neuf mois pour la suite faire un déni de maternité à cause de mon handicap. En effet, Monsieur le Garde des Sceaux, sans le savoir, vous avez déjà reçu des courriers de moi puisque j’ai prêté ma plume à votre ancienne collaboratrice pour vous faire des lettres de félicitations pour votre nomination au ministère des Relations étrangères et plus tard au secrétariat de la présidence de la République. Fille d’une légende africaine et d’une diplomate, avocate, membre du barreau de Washington DC et écrivaine, dans tout pays autre que le Cameroun, je ne devrais pas avoir à vous parler de njitapage, de discriminations et de justice. Cependant, voyez-vous, Monsieur Esso, mon handicap, la vieillesse de mon père, notre camerounité ont rendu l’innommable possible. Ce ministère que vous occupez depuis si longtemps est devenu pire qu’une coquille vide, une institution de lâchetés piteuses et infectieuses.

Comme Fotso Victor, vous êtes, de toute évidence, diminué par la rudesse et la longueur de vos combats politiques tout en étant trop accaparé par le grand âge du Président du Cameroun et le vôtre qui annoncent le glas. Cependant, vous devez bien réaliser que la mise en scène de votre impuissance et de l’autorité judiciaire camerounaise fragilise non seulement l’exécutif mais tout le pays puisqu’il est acquis que bien que ministre d’Etat, le Garde des Sceaux du Cameroun n’a désormais pas plus d’autorité et de poids politique que son ministre délégué. Monsieur Esso, j’ai eu accès à suffisamment d’informations pour savoir que vous avez de l’épaisseur. Je ne peux que conclure que votre momification est due à un renoncement. Vu votre fonction et votre tâche, il est également un reniement. Oui, vous avez toujours été un fidèle du Président Biya et un militant du parti présidentiel mais tout en ayant un regard sévère sur votre bilan, il est impossible d’affirmer que votre présent fait honneur à votre passé. Je n’attaque pas votre personne, Monsieur le ministre, je ne peux qu’être compatissante. Toute personne en situation de handicap doit désapprendre à trouver toute limite et toute impuissance dégradantes et essentialistes.

Ma conviction est que vous ne réagirez pas. L’histoire sera donc impitoyable vu cette lettre publique écrite pour les handicapés afin de vous permettre d’agir pour le bien commun au nom de la justice

En vous écrivant pour les handicapés, Monsieur le ministre, je suis remplie de compréhension puisque vous êtes de la manière la moins évidente également en situation de handicap. Ma plaidoirie pour les miens est une bouée de sauvetage que je vous lance respectueusement afin que vous ne vous noyiez pas dans les eaux troubles et puantes du Renouveau qui se décompose. Vous me rappelez, Laurent Esso, le Dernier Bamiléké, son ultime combat contre la vieillesse et un entourage monstrueux et un échec cuisant et décisif. Mon père n’a pas su sauver son honneur et l’œuvre de sa vie piégé par son image et sa nature. Il s’est compromis pour éviter des humiliations publiques. J’adresse donc à vous également des mots ce que je n’ai jamais su lui faire entendre : lorsqu’on a été un grand homme, on ne peut pas, particulièrement à la fin, souscrire à des injustices ou seulement des sottises. Parce que vous avez été, Monsieur le Garde des Sceaux, Laurent Esso, vous ne pouvez pas rester silencieux sur le njitapage de Fotso et de sa fille en n’ayant pas le geste minimum de condamner les discriminations en rappelant que les handicapés ont des droits et que tout acte qui les bafoue est contre la loi et la morale camerounaises.

Ce qui a fait votre force est aujourd’hui votre boulet, Monsieur le Ministre, puisque vous ne pouvez pas finir youyouteur. Il vous faut assumer ce que vous avez été jusqu’à la lie ou vous compromettre.  On se souviendra de vous soit comme un Garde des Sceaux qui a accéléré le pourrissement de la justice camerounaise en légitimant son asservissement, soit comme d’un homme d’état qui a refusé de devenir un bouffon et de se vendre à des Falstaff et des njitapeurs. Ma conviction est que vous ne réagirez pas. L’histoire sera donc impitoyable vu cette lettre publique écrite pour les handicapés afin de vous permettre d’agir pour le bien commun au nom de la justice.

La déchéance de Fotso Victor servait des intérêts

Etre en situation de handicap même lorsqu’on s’appelle Fotso, surtout lorsqu’on est une femme, c’est accepter d’être, quoi qu’on fasse, inférieure en étant reconnaissante de toute charité, toute générosité bien que privée de ses droits. Monsieur le Garde des Sceaux, parce que je suis la mère de mon père et qu’il m’en fallut me faire pour devenir Christelle Nadia, je n’ai jamais pu accepter d’aller à l’arrière du bus même s’il est luxueux. Je ne sais pas me taire ou simplement être révérencieuse devant la barbarie particulièrement lorsqu’elle fait preuve d’un tel anti-intellectualisme qu’elle travestit tout sur son passage. C’est ma loyauté absolue à mon sang qu’on me fait payer en instrumentalisant mon handicap tout comme on a fait payer à Fotso Victor sa conviction que son parcours et son statut de Patriarche parlaient d’eux-mêmes et interdisaient, de manière absolue, les fruits défendus. En vous racontant en filigranes mal cette histoire, mon ton ne peut qu’être exalté, non pas pour toucher votre cœur, mais pour que vous constatiez que le sang des autres ne s’efface pas, mais hurle en ruisselant sur les pans de l’histoire.

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Monsieur le ministre, j’ai découvert que mon père était entre les mains d’un gang mafieux alors que je me remettais difficilement d’une amputation et d’une infection. Je le révèle pour la première fois publiquement l’information qui a confirmé mes suspicions venait d’un officiel de l’Ambassade de France. Mon père étant à la fin de sa vie, pour le protéger et m’assurer qu’il aurait une mort à la hauteur d’une vie si brillamment réussie, j’ai fait le choix de judiciariser uniquement pour montrer aux chiens que l’honneur et la gloire de Fotso Victor ne devaient pas être sacrés et qu’il était au-dessus d’eux. Mes efforts m’ont valu des coups en dessous de la ceinture avec l’approbation de votre ancienne collaboratrice qui a préféré à sa fille dont le handicap lui a toujours fait honte, l’argent. Une lettre handiphobe écrite par la cheffe du Gang des Barbares et signée par mon père qui se remettait d’un AVC a été largement diffusée. Elle était adressée aux autorités camerounaises et françaises. Je sais que vous aviez pris connaissance de son contenu qui montrait que mon père était maltraité et sous influence. Vous n’avez pas agi. La déchéance de Fotso Victor servait des intérêts financiers et politiques trop importants. Faire du Dernier Bamiléké un bamilékon était utile et rentable pour l’Etat et le parti présidentiel.

C’est essentiellement cela l’africanité de nos jours, ce cannibalisme accepté au nom du culturalisme qui profite à tous sauf aux Africains. Le pouvoir sur le jeune continent est resté colonial et n’a besoin que de bons petits nègres

Il y a cette affaire guinée-équatorienne dans laquelle un Etat frère profite, de manière honteuse, de la fragilité du Dernier Bamiléké et du handicap de sa fille sans protestation du Cameroun. Monsieur le Garde des Sceaux, des officiels dont des ambassadeurs se sont montrés sans pitié en manipulant des autorités étrangères. Fotso Victor était un vieux nègre avec des médailles mais sans dents. Je n’étais qu’une infirme africaine. Il était facile de nous écraser en sachant qu’il suffisait de nous salir pour que la France, la Belgique et les autres se lavent les mains de ce qui leur paraîtrait comme des camerouniaiseries. C’est essentiellement cela l’africanité de nos jours, ce cannibalisme accepté au nom du culturalisme qui profite à tous sauf aux Africains. Le pouvoir sur le jeune continent est resté colonial et n’a besoin que de bons petits nègres. Monsieur Esso, parce que vous n’avez pas saisi l’occasion des guerres de succession Fotso pour délimiter clairement le périmètre du défendu, le Cameroun et son Président traversent des crises gravissimes.

Le but de mes propos n’est pas de vous heurter mais de montrer combien le handicap a incité et autorise tant de gens à aller très loin, trop loin parce que l’Etat est leur complice et qu’il est réduit à quelques mafiosi. Leur culot et la barbarie de leurs actes ont étalé votre impuissance aux yeux du monde. Les njitapeurs ont outrepassé votre fonction. Vous êtes perçu comme un apparatchik sans affect et sans poigne dont l’honneur et la réputation sont à vendre puisque vous n’existez que pour combler un gouffre politique criant avec le souvenir de qui vous fûtes.

Le Dernier Bamiléké était un sous-client

Enfin, Monsieur le Garde des Sceaux, il y a ces affaires « internes » aux barreaux de Paris et de Bruxelles qui concernent pourtant non seulement l’exercice de la profession d’avocat au Cameroun par des avocats étrangers et celle d’avocats camerounais à l’étranger mais une déontologie à deux vitesses, Elle est interprétée et appliquée différemment lorsque le client et l’avocat sont camerounais ou d’origine africaine. Je l’ai signalé de nombreuses fois, non seulement au barreau de Paris et celui de Bruxelles, mais aux autorités judiciaires de ces deux pays. Par son silence, l’attitude et les actes de ses officiels et représentants à l’intérieur et hors de ses frontières, l’Etat a encouragé et légitimé ces désordres. Monsieur Esso, Fotso Victor avait des avocats qui ont abusé de sa vieillesse, de son illettrisme, de sa maladie pour disparaître lorsqu’il avait le plus grand besoin d’eux. Ils avaient d’autres intérêts. La déontologie Cameroun ne s’appliquait pas à eux. Le Dernier Bamiléké était un sous-client et sa fille une sous-avocate.

Deux barreaux européens m’ont réduite à une fille de riche qui parle fort mais n’a aucune importance puisqu’elle est violement attaquée par un Etat et ne sait même pas marcher. Des violations les plus évidentes des règlements intérieurs ne concernaient que des Africains. Le Cameroun étant une jungle, des confrères vénaux, lâches ou petits se sont lâchés ; des Conseils de l’Ordre ont fermé les yeux. Je suis seule contre tous pour défendre mon père. Ma camerounité rend mon handicap nauséabond. Ses conséquences et les problèmes qu’elle me crée deviennent des preuves d’incompétence et d’incapacité à exercer la profession d’avocat. Ma fierté est de la suffisance, mon assurance de l’arrogance et ma colère pourtant si juste un signe d’une instabilité mentale et de haine viscérale. Contre moi, rien n’est défendu. Encore une fois, des officiels camerounais ensauvagent les autorités françaises et belges. Il devient ainsi possible pour elles d’agir à la camerounaise. Je me dois d’être claire : j’affirme, j’accuse le Cameroun d’avoir usé de la vieillesse et de mon handicap pour s’assurer qu’il soit question de tout dans les affaires Fotso sauf de justice et de vérité, en polluant le terrain judiciaire en France, en Belgique, et de manière moins conséquente, aux Etats-Unis. Cependant, comme toujours, il y a un problème à Houston.

Pour les handicapés, il y a des gestes que l’autorité judiciaire doit avoir pour changer la mentalité dans les familles camerounaises, dans l’administration, dans nos ambassades, dans les barreaux et sur les territoires camerounais comme étrangers

Monsieur le Garde de Sceaux, je ne demande pas réparation. Vous n’êtes plus capable d’intervenir et faire éclater une vérité qui mettrait en danger le parti présidentiel et la République. Je vous écris pour les handicapés afin que l’autorité judiciaire rappelle qu’ils sont des citoyens à part entière et que l’accès à la justice leur sera toujours facilité en travaillant avec le Barreau du Cameroun pour que cette problématique devienne une priorité tout comme l’exercice de la profession pour des personnes à mobilité réduite.

Avoir des mots qui sauveront l’œuvre de votre vie

Pour les handicapés, vous devriez pouvoir me répondre au moins réflexivement et affirmer que, vous, Garde des Sceaux, les questions de discrimination seront toujours adressées et les actes d’officiels handiphobes investigués, condamnés et sanctionnés. Il doit être clairement montré que s’attaquer à une personne en situation de handicap n’est pas camerounais surtout à l’étranger. Pour les handicapés, il y a des gestes que l’autorité judiciaire doit avoir pour changer la mentalité dans les familles camerounaises, dans l’administration, dans nos ambassades, dans les barreaux et sur les territoires camerounais comme étrangers. Soutenir mon appel à un Africans with disabilities act parce que l’Etat au Cameroun, n’étant pas capable de protéger ses faibles, doit au moins user de la symbolique pour montrer qu’il sait que nous avons des droits et que nous sommes des citoyens comme les autres. Monsieur Esso, pour les handicapés, vous ne pouvez pas vous focaliser sur mes particularités et celles de mon père mais sur ce que nos histoires disent de la prédation contre les aînés et les personnes en situation de handicap même lorsqu’elles sont des symboles de l’excellence camerounaise.

Lire : I can’t breathe : le prix de la pitié

Pour les handicapés, vous vous devez, Monsieur le Garde des Sceaux, de renaître ou juste de refaire surface pour poser des actes, avoir des mots qui sauveront l’œuvre de votre vie en servant l’intérêt national et des causes communes qui sont universelles. Ils éviteront au Président Biya et à vous cette terreur et obsession paralysantes de la mort parce qu’elle fragilise et que sans droit, l’impuissance encourage le njitapage. Pour les handicapés, pour le Cameroun et pour tous, redevenez, le temps d’un acte, Laurent Esso, afin que sur votre lit de mort vous puissiez fermer les yeux, mourir et reposer en paix contrairement au Dernier Bamiléké. L’Histoire retiendra alors qu’en dépit de toutes les tentations, des pressions, de vos intérêts personnels, d’erreurs et de ratés, vous avez choisi le Cameroun et votre honneur. Parce que vous êtes un Patriarche, refusez, Monsieur le Garde de Sceaux, une mort indigne. On ne peut pas finir Faust lorsqu’on a été Laurent Esso, surtout si on sait que les njitapeurs urineront sur votre tombe.

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