Il ne s’agit pas du joueur d’orgue, cet instrument de musique, mais plutôt de spécialité en mécanique. Ces travailleurs spécialisés dans la réparation d’organes de voitures et communément appelés organistes au Sénégal. Parmi eux, le nommé Poulo, qu’Afrik.com a rencontré.
Sous un soleil de plomb, avec des températures ayant franchi la barre des 40 degrés, chapeau bien en place, Poulo, debout sur ses 33 hivernages, ne ménage pas son corps. La forte transpiration ne l’arrête pas une seule seconde, comme le font ses pairs qui, de temps à autre, cherchent refuge quelque part où il y a un peu d’ombre sirotant une eau bien glacée pour se rafraichir un coup. Poulo, lui, est à l’œuvre, quelle que soit la température et les conditions climatiques. Même la pluie ne parvient pas à freiner son ardeur. «Je suis ici pour travailler et les propriétaires des voitures comptent sur moi pour leur régler leur problème, le, plus rapidement possible. Donc, pas une seule seconde à perdre», lance-t-il entre deux coups de serrage de boulon.
Les intempéries n’ont pourtant pas altéré son teint clair, qu’il tient de ses deux parents. Des Peulhs. D’où d’ailleurs, son surnom, Poulo, qui signifie littéralement Peulh. Né en 1989 à Kédougou, dans le Sénégal oriental, le jeune Poulo avait tenté sa chance dans l’école française. Après six années d’études sanctionnées par un CEFE (Certificat de fin d’étude élémentaire), il est envoyé par ses parents sur Thiès, ville située à 70 km de Dakar. Nous sommes en 2003 et Poulo n’avait que 14 ans. Il est alors parachuté dans une boutique de commerce générale. «Ce métier ne me plaisait pas du tout, j’ai décidé de faire de la mécanique», confie-t-il.
«Je suis un organiste, un métier passionnant»
Envoyé chez un tôlier, il n’y passa qu’une seule journée pour comprendre qu’il n’était pas non plus destiné à ce travail. «Dès le lendemain, j’ai demandé à intégrer le cercle des organistes. C’est là que j’ai été confié à mon patron, Aly Sène. Ce dernier prit alors le soin de m’inculquer ce savoir-faire pour lequel il a un don», se rappelle Poulo, le visage joyeux, sourire au coin, malgré la chaleur et la dureté de son travail. Il venait en effet de démonter le berceau avant d’un véhicule 4X4, une Ford Escape, dont il devait changer plusieurs organes. «Il y a des silentblocs foutus, des rotules HS. Les amortisseurs avant aussi sont à changer», énumère-t-il, entre autres réparations dont nécessitait cette voiture appartenant à l’épouse d’un gradé de l’armée.
Lire : Mouride Thiam : mécanicien et fier de l’être
Il en avait d’autres véhicules à réparer, pour certains avec moins de travail, car il fallait «juste changer un tirant». Pour d’autres, avec davantage de travail, car «il faut carrément changer tout le berceau arrière». Pour cette dernière voiture, il s’agissait d’une Citroën Berlingo en charge de la livraison de pain dans une boulangerie. Normal que Poulo soit au four et au moulin, sans une seule seconde de répit. «C’est un métier passionnant. Les gens nous appellent souvent des mécaniciens, mais nous ne le sommes pas. Nous sommes des organistes. Il y a une différence entre organiste et mécanicien. Je suis un organiste», revendique Poulo, entre deux coups de marteau, pour décoller une rotule qui a mordu.
Ouvrir un jour son propre garage avec toutes les commodités
Des épaules larges à force d’un travail herculéen, nécessitant puissance physique et précision, Poulo touche souvent à tout. «Il m’arrive parfois de faire un peu de mécanique. C’est lorsque je n’ai pas trop le choix. Par exemple, un client que je connais bien, qui a une panne de disque ou de plateau d’embrayage, s’il me sollicite, je peux lui rendre ce service. Mais encore une fois, ce n’est pas mon métier de faire de la mécanique, je ne m’occupe que d’organes», précise-t-il. Marié et sans enfant, Poulo rêve d’ouvrir un jour son garage avec toutes les commodités pour recevoir ses clients. «Un garage où il y aura tout : une salle d’accueil pour les clients et où je pourrais même vendre des pièces détachées», projette-t-il.
Des moments de joie, Poulo en connaît, «comme en ce moment. Je viens de réparer cette Citroën C5 qui a été vendue par son propriétaire à cause d’une panne d’amortisseur hydraulique que ses organistes ne parvenaient pas à résoudre. Ce sont des moments qui réconfortent, qui encouragent, car on parvient à trouver une solution à un problème complexe. Je me rappelle aussi, lorsque j’ai réussi à modifier une Mercedes Airmatic en y installant des amortisseurs à boudin. C’était génial ce jour et le propriétaire était hyper content. C’était très important, car, ce jour, je devais relever ce défi». Des défis auxquels il se dit souvent confronté, mais qu’il parvient tout de même à relever, à force de volonté, de courage et surtout d’abnégation.
Lire : Habibur Rahman, l’histoire d’un Bangladais ferrailleur au Sénégal