Dès son entrée en vigueur ce lundi, la loi qui prohibe le voile intégral dans les lieux publics est très critiquée. Lors d’un rassemblement qui la dénonçait à Notre Dame, plusieurs personnes ont été interpellées. Les syndicats de police déplorent la difficulté de la mettre en application.
Entrée en vigueur ce lundi, la loi sur le port du voile intégral dans les lieux publics, est pointée du doigt. Le texte prévoit l’interdiction sous peine d’amende de se dissimuler le visage avec un voile, un casque, une cagoule, dans la rue, les jardins publics, les gares ou les commerces. Les forces de l’ordre n’ont pas le pouvoir d’user de la force pour ôter le voile aux personnes récalcitrantes. Mais elles encourent une amende de 150 euros et/ou un stage de citoyenneté, si elles refusent d’obéir. Toute personne qui obligerait une femme à se voiler risque un an de prison et 30 000 euros d’amende. La peine est doublée si la personne contrainte est mineure.
Premières interpellations
La loi s’attire d’ors et déjà la foudre. Un rassemblement d’une douzaine de personnes la dénonçant devant la Cathédrale de Nôtre Dame à Paris a été dispersé ce matin par les forces de l’ordre. Plusieurs d’entre elles ont été interpellées, dont deux femmes portant le niqab et l’organisateur du mouvement Rachid Nekkaz, de l’association Touche pas à ma Constitution. Il a affirmé avoir été interpellé en compagnie d’une amie en niqab devant le palais de l’Elysée, vers 10 heures, avant le début de la manifestation. « Nous voulions nous faire verbaliser pour port du niqab, mais la police n’a pas voulu nous dresser un PV », a-t-il déclaré, assurant avoir été « emmené au commissariat ». Selon Alexis Marsan, commissaire divisionnaire à l’ordre public, « aujourd’hui, il ne s’agissait pas d’interpeller ces gens sur la base du port du voile. Mais pour le non-respect de la déclaration de manifestation ».
Les femmes qui participaient à la contestation ont affiché leur indignation. « Il faut laisser les femmes musulmanes tranquilles », s’est écriée Hayfra Amer, une Française d’origine tunisienne portant une tunique sur un pantalon et un tchador blanc. « Je ne fais qu’appliquer mes droits de citoyenne, je ne commets aucun délit. Je n’ai pas volé, je n’ai pas tué, je n’ai pas cassé. Je suis une citoyenne française à part entière », a affirmé Kenza Drider. Selon elle, « qu’une femme soit voilée ou porte le niqab, c’est elle que ça regarde. C’est un choix. Ce n’est pas parce qu’on est voilées qu’on est des terroristes », a-t-elle ajouté. Sa sœur Hager, qui ne portait pas de voile, a dénoncé une loi « débile ». « Maintenant des gens ne vont plus le porter pour la foi, ils vont le porter pour faire une confrontation », a-t-elle prévenu.
« Une loi infiniment difficile à appliquer ».
Une loi infiniment difficile à appliquer
Les forces de l’ordre qui sont censées faire appliquer la loi ne sont pas convaincues par la démarche qu’ils doivent suivre. Le secrétaire général adjoint du syndicat de commissariat de police, Manuel Roux, a affirmé ce matin sur France Inter qu’elle allait être « infiniment difficile à appliquer et infiniment peu appliquée ». « On va encore une fois considérer que les policiers sont en échec », a-t-il déploré. « Très clairement, ce n’est pas aux policiers d’aller faire du zèle », a-t-il déclaré. Mais si la femme refuse d’ôter son voile, « c’est là que les choses vont vraiment se compliquer. On n’a pas de pouvoir de contrainte, la circulaire de Guéant nous dit même qu’il ne faut surtout pas utiliser de la force, on doit essayer de convaincre ». Il a rappellé notamment que « la simple intervention de la police, par endroits, suffit à semer le trouble. Je n’ose même pas imaginer quand on va s’intéresser à une femme voilée dans un milieu sensible avec des hommes qui sont très fiers, et des policiers qui auront fait le premier pas et ne pourront pas reculer. »
Critiquée à l’étranger
La loi est également contestée au delà des frontières françaises. Elle a été critiquée par le Conseil européen qui avait voté le 23 juin dernier contre cette mesure. «L’interdiction générale du port de la burqa et du niqab dénierait aux femmes qui le souhaitent librement le droit de couvrir leur visage», affirme une résolution adoptée à Strasbourg, par 108 voix, dont celles des Français, et quatre abstentions. «Elle pousserait les familles et la communauté à faire pression sur les femmes musulmanes pour qu’elles restent chez elles et se limitent à entretenir des contacts avec d’autres femmes», ajoute le texte.
Des journaux tels que The Independant(Britannique), The Globe and mail (Canadien), The Voice of Russia et la
chaîne de télévision d’information quatari Al-Jazira l’ont aussi pointé du doigt. L’organisation de défense des droits de l’Homme, Amnesty international, estime qu’elle viole la liberté d’expression et de religion.
De même, les Frères musulmans de Jordanie ont dénoncé une législation ce lundi qui, selon eux, est « l’amorce d’une bataille dangereuse ». Le dirigeant de la confrérie, Hammam Saïd, a estimé qu’elle est « contraire aux principes des droits de l’Homme dont se targue la France ». « Pour nous, cette décision porte atteinte à l’islam et à tous les musulmans dans le monde », a-t-il ajouté. « C’est une violation d’un droit élémentaire. Si les femmes sont autorisées à se déshabiller sur les plages, il devrait leur être permis de se couvrir et de porter le niqab ».
Cette pluie de contestation ravive les tensions provoquées par le débat sur la laïcité et l’islam lancé par le gouvernement début avril. Avec la mise en application de la loi, la polémique qui divise le pays depuis plusieurs semaines pourrait s’amplifier.