Dix jours après avoir perdu la concession du port de Conakry, repris par le groupe Bolloré, Getma International intente une triple procédure judiciaire. Le groupe accuse le nouveau concessionnaire, proche du gouvernement guinéen, de « concurrence déloyale ». Ses avocats évoquent la piste d’une « corruption internationale ». Chez Bolloré, le silence est de mise.
Le bras de fer pour le Port Autonome de Conakry a commencé entre Getma International et le groupe Bolloré. Le 8 mars dernier, la télévision nationale guinéenne annonçait un décret, du président Alpha Condé, qui retirait à Getma le contrat de concession du Port Autonome de Conakry. Le groupe français aurait « failli à ses obligations », à en croire un rapport du conseil d’administration du port. Mais il n’aura pas fallu longtemps aux administrateurs pour trouver un nouveau concessionnaire. Trois jours plus tard, le 11 mars, Dominique Lafont, président de Bolloré Africa Logistics, prenait le contrôle du port avec un nouvel accord signé devant les caméras guinéennes. Le soir même, dans un communiqué, le groupe Bolloré informait que « La Guinée leur] a attribué la gestion et le développement du port de Conakry pour une durée de 25 ans, puisqu’ils sont arrivé second lors de l’appel d’offres international ». Au même moment, Getma International [se préparait à riposter en portant l’affaire en justice. C’est désormais chose faite.
« Un acte de piraterie »
Trois procédures judiciaires ont donc été intentées simultanément, à commencer par une plainte pour vol de matériel. Les faits remontent au 8 mars dernier, jour de la résiliation du contrat de concession du port. Quelques heures après l’officialisation sur les écrans de télévision, les salariés de la société, NCT Necotrans, filiale de Getma, ne pouvaient plus accéder à leurs bureaux de Conakry. La direction du port aurait fait appel à la police et à l’armée pour bloquer les locaux. « Ils ont réquisitionné le matériel, les bureaux et même les 400 salariés de notre client pour une durée 60 jours », affirme l’ancien avocat d’Alpha Condé, Me Pierre-Olivier Sur, qui défend désormais le groupe Getma. Ce blocage des agences du groupe français a Conakry est confirmé par la publication d’un décret du gouvernement guinéen qui ordonne la « réquisition des personnels, matériels, installations, immeubles et actifs [du groupe] qu’ils se trouvent sur le terminal à conteneurs de Conakry ou ailleurs en Guinée ». Getma International affirme également que des salariés de Bolloré, le groupe concurrent, auraient investis leurs locaux le 10 mars. Soit un jour avant que Bolloré Africa Logistics accède aux commandes du port. « Il y avait des juristes, des manutentionnaires mais surtout des informaticiens », affirme le second défenseur de Getma International, Me Cédric Fischer. Selon une note de synthèse, dont Afrik.com s’est procuré une copie, les salariés du groupe Bolloré se seraient introduits dans le système informatique. «Ils avaient accès aux courriels de notre client, mais aussi aux archives du groupe, c’est un acte de piraterie », précise le document. « C’est une infraction pénale subie par un Français et dont l’auteur pourrait être un Français », explique Me Cédric Fischer pour justifier le dépôt de plaintes auprès du procureur de Paris.
« Corruption internationale »
Les avocats de Getma International ont également demandé l’ouverture d’une enquête préliminaire pour « corruption internationale ». « La corruption est un pacte : un cadeau qui répond à un cadeau », définit Me Pierre-Olivier Sur, qui souligne les liens étroits qui unissent le groupe Bolloré à Alpha Condé, le président guinéen. « Nous savons que Vincent Bolloré a toujours été un soutien financier d’Alpha Condé quand il était dans l’opposition. C’est également le groupe Bolloré, via sa filiale Euro RSCG, qui s’est occupé de la campagne présidentielle du « professeur » en 2010 », note l’avocat. Étonnamment, le changement de gestionnaire du port de Conakry a eu lieu quinze jours avant la venue en France du président guinéen, le 22 mars prochain. « Et il a tenu à ce que sa première visite officielle en Occident soit pour Nicolas Sarkozy, un proche de Vincent Bolloré », affirme l’un des avocats de Getma International. En fin connaisseur du droit et pour éviter les poursuites, Me Pierre-Olivier Sur ajoute : « Nul ne dit que Bolloré est coupable de corruption internationale, nous venons dire que nous sommes victimes et demandons réparation ».
Contestation de la résiliation
En plus de ces deux poursuites intentées par Getma International et ciblant le groupe Bolloré, l’ancien gestionnaire du Port Autonome de Conakry a également ouvert une procédure judiciaire internationale pour contester la résiliation du contrat de concession du port par les autorités guinéennes. Pour faire face aux accusations de « défaillances » portées par le conseil d’administration du Port Autonome de Conakry, Getma International a constitué un dossier, qu’Afrik.com s’est procuré. Le document répertorie les pièces justificatives permettant de contester les « analyses fallacieuses » des administrateurs. Le dossier s’appuie sur plusieurs retards de livraisons, dont les autorités guinéennes sont en partie responsables, ainsi que sur les renversements politiques successifs des deux dernières années en Guinée (Lire enquête).
Après ce nouveau rebondissement, le bras de fer entre Getma International et le groupe Bolloré pour le Port Autonome de Conakry ne fait que commencer. Désormais opposés en justice, les deux groupes sont pourtant partenaires en affaire dans la gestion des ports de Cotonou, d’Abidjan, de Douala et de Libreville. Est-ce que ces collaborations vont être remises en cause pour autant ? Pas question, selon Grégory Querel, le secrétaire général de Getma International : « Nous ne souhaitons pas abandonner nos investissements dans ces chantiers, mais nous prévoyons un conseil d’administration commun aux deux groupes la semaine prochaine ». De son côté, le Groupe Bolloré n’a pas donné suite à nos appels pour commenter ces accusations.