Le Premier ministre espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero a effectué une visite de deux jours, mardi et mercredi, dans les enclaves de Ceuta et Melilla. Une initiative qui a soulevé de vives polémiques tant du côté marocain, qu’espagnole. Le royaume chérifien revendiquant la « marocanité » des deux enclaves et l’Espagne, et plus particulièrement le parti populaire, reprochant au chef du gouvernement de ne pas avoir réaffirmé la souveraineté de l’Espagne sur ces deux villes.
Par Smahane Bouyahia
Polémique autour de la visite du chef du gouvernement espagnol à Ceuta et Melilla. Le déplacement de José Luis Rodriguez Zapatero, mardi et mercredi dernier dans les deux enclaves, aura fait couler beaucoup d’encre des deux coté de Gibraltar. Il s’agit de la première visite officielle dans les deux territoires depuis Adolfo Suarez en septembre 1980. Une visite qui a lieu six mois après les assauts d’immigrants contre le grillage frontière de Ceuta et Melilla qui avait fait onze morts. Un geste qui ravive des tensions coloniales vielles de cinquante ans entre les deux peuples.
Une querelle de souveraineté avec le Maroc
L’Espagne s’est emparée de Melilla en 1497 et a obtenu l’enclave de Ceuta du Portugal en 1580. Elle exerce donc sa souveraineté depuis plus de quatre siècles sur 2 villes situées sur son territoire. La question, au même titre que celle sur quelques ilots, comme celui du Persil, est censée être traitée par les bureaux des Nations Unies depuis 1956. Une requête déposée par le Maroc au lendemain de la fin du protectorat français.
Bien qu’il n’ait à aucun moment revendiqué la souveraineté de l’Espagne sur ces deux enclaves, le chef du gouvernement a vivement été critiqué par les deux pays. L’opposition de droite, très conservatrice, lui a formellement reproché de ne pas avoir réaffirmé les droits de l’Espagne sur ces terres. Le gouvernement marocain, en la personne de Nabil Ben Abdallah, ministre des Communications, a insisté sur le fait que cette visite « ne change rien au fait que les deux enclaves sont marocaines ». Pour calmer le jeu, M. Zapatero a cité Ceuta en exemple de «cohabitation des cultures et des religions», tandis que M. Ben Abdallah a souligné que cette visite ne changeait rien « aux excellentes relations avec l’Espagne ».
Une visite à Melilla, six mois après la crise migratoire
Les frontières de Ceuta et Melilla, les seules terrestres séparant l’Afrique de l’Europe, avaient connu en juillet et novembre 2005 une crise sans précédent liée à l’émigration clandestine. Des milliers de subsahariens s’étaient lancés à l’assaut des grillages frontières des deux enclaves, après des mois d’attente dans des conditions précaires. Des tentatives qui avaient causé la mort de onze émigrants, dont quatre tués par des balles provenant des forces de sécurité marocaines. Des centaines d’immigrants avaient été arrêtés et dispersés dans le désert dans des conditions sanitaires précaires avant d’être rapatriés massivement par avions dans leur pays d’origine. Depuis les faits, les autorités espagnoles et marocaines ont surélevé les grillages de Ceuta de trois à six mètres, et ceux de Melilla devraient l’être avant le printemps 2006.
Au cours de ces deux jours de visite, M. Zapatero a promis aux Espagnoles de Ceuta et de Melilla un avenir plus rassurant. L’Etat s’est engagé dans plusieurs formes d’investissements, notamment, le financement d’un nouvel hôpital à Melilla, la construction de nouvelles écoles et des liaisons maritimes grandes vitesse entre les deux villes et les côtes européennes. Le Premier ministre a également visité un camp de rétention pour immigrants illégaux et a promis, au cours de sa visite, la création de deux centres pour mineurs marocains d’une valeur de 2,3 et 1,7 millions d’euros. Il a également insisté sur des mesures de sécurité en exprimant son souhait « de maintenir, et renforcer toutes les mesures de sécurité et toutes les initiatives sociales » pour un pays où la loi et l’engagement pour les droits de l’homme sont des références.
Fronde de la presse marocaine
Des journaux marocains ont pris position face à la visite de M. Zapatero au pays, soulignant dans chaque article, la « marocanité » de Ceuta et Melilla. Assahra Al Maghribia, un journal proche du gouvernement, titrait sa Une avec « Ceuta et Melilla, terres marocaines ». Bayane El Yom, journal du Parti du progrès et du socialisme écrit, quant à lui, « Melilla et Ceuta étaient marocaines et le resteront quelles que soient les tentatives de l’occupation de cacher cette vérité », et rajoute que cela « constitue une provocation pour les habitants des deux villes qui tiennent à leur marocanité et une provocation pour tous les Marocains qui aspirent à leur libération ». La presse nationale n’en reste pas là. Le quotidien Libération écrit que cette visite « ne sert en rien les intérêts de nos deux pays, d’autant plus qu’il ne fait que renforcer les positions coloniales de la droite franquiste ».
Le Matin du Sahara et du Maghreb relève que cette visite est « mal perçue au Maroc où on la juge inopportune » et souligne qu’il s’agit là « d’une atteinte aux convictions profondes du peuple marocain, attaché à son intégrité territoriale » Pour le quotidien L’Opinion qualifie également la visite de M. Zapatero « d’inopportune », de « provocatrice » et « d’attentatoire aux sentiments des Marocains ». Même si la diplomatie affiche une amitié de façade entre les deux pays, ces enclaves restent une épine dans le pied des relations maroco-espagnoles. On peut également s’interroger sur la signification de cette visite controversée du chef du gouvernement espagnol.