Le tour opérateur français Point Afrique a annulé ses vols vers la ville d’Atar, au nord de la Mauritanie, à la fin du mois de septembre. La raison invoquée par son président, Maurice Freund, dans sa lettre explicative : « l’insécurité » dans le pays et l’arrivée d’un concurrent sur cette destination. Cette décision a provoqué de vives réactions dans la presse mauritanienne dont quelques titres ont taxé le président de Point Afrique d’escroquerie, ainsi qu’un sentiment d’abandon de la part de certains acteurs du tourisme au nord du pays. Maurice Freund s’est entretenu avec Afrik.com sur cette affaire.
La décision qu’a prise le président de Point Afrique, Maurice Freund, d’annuler ses vols vers Atar, en Mauritanie, a créé bien des remous. Début octobre, quelques jours après cette annonce, le président de la Fédération mauritanienne du tourisme au nord, Salem Ould Souleymane, considérait que l’annonce de M. Freund constituait « une trahison pour un peuple qui l’a toujours accueilli à bras ouverts et lui a accordé toutes les facilités, notamment la réduction des taxes ». Certains titres de la presse mauritanienne relayaient ce sentiment de lâchage et s’en prenait à la probité du voyagiste. Ainsi, dans un article consacré à l’affaire, le Quotidien de Nouakchott dénonce son « avidité », sa volonté de « berner » les Mauritaniens, et conclut que « la vérité est que Maurice Freund ne s’est jamais départi de son instinct de petit colon qui se croit tout permis ». De pures calomnies, selon le président de Point Afrique, qui nous livre sa vérité sur ce dossier.
Afrik.com : Pourquoi avez-vous arrêté de desservir la Atar, en Mauritanie ?
Maurice Freund : Après l’assassinat des quatre français en décembre 2007, les menaces d’Al-Qaida, l’annulation du Paris-Dakar en janvier, le coup d’Etat du 6 août, l’assassinat de plusieurs militaires à Tourine en septembre dernier, nous avons dû annuler la destination. Mais la sécurité n’est responsable qu’en partie du problème. La concurrence déloyale que nous livre la SOMASERT (Société mauritanienne des services et du tourisme) nous a aussi poussés à supprimer nos vols.
Afrik.com : Dans la lettre explicative que vous avez rédigée pour expliquer votre départ, vous avez dit partir à contre cœur. Aviez-vous vraiment envie de rester sur cette destination en dépit du manque à gagner ?
Maurice Freund : Bien sûr que nous voulions rester. Mais pour bien comprendre la situation, il faut que je vous en dresse un petit historique. Point Afrique était, en décembre 1996, la première sur la destination Atar, dans l’Adrar, au nord de la Mauritanie. En dépit de la difficulté qu’il y avait à vendre cette destination – la dénomination République « islamique » de Mauritanie fait peur à certains touristes européens – nous avons réussi à nous imposer. La première année, il n’y a eu que 200 personnes sur nos vols. Mais en 2001 nous assurions trois vols par semaine et transportions 10 800 personnes, un chiffre qui est resté stable jusqu’en 2006. De 1996 à 2001, Point Afrique travaillait avec la SOMASERT, une filiale de la SNIM (Société nationale industrielle et minière de Mauritanie). Mais le coup d’Etat de 2005 a tout chamboulé, y compris la SNIM où les dirigeants ont été déboulonnés. L’ensemble des guides touristiques de la SOMASERT, très fâchés, ont créé Mauritanides dont la tête a été prise par l’ancien directeur de la SOMASERT. La SOMASERT est donc devenue une coquille vide, et tous les Tour opérateurs ont basculé sur Mauritanide. Après l’assassinat des touristes français en 2007, tous les tour opérateurs ont cessé de desservir la destination, mais Point Afrique a maintenu son vol sur Atar à cause de la population qui avait toujours besoin de s’y rendre. Nous avons perdu 372 000 € en quatre mois, et la suppression du Paris-Dakar a rendu notre situation plus difficile encore. Mais nous ne voulions pas nous retirer. D’autant plus qu’en 2008, j’avais eu le grand bonheur d’être fait citoyen d’honneur d’Atar.
Afrik.com : Pourquoi déclarez-vous que la SOMASERT vous a fait une concurrence déloyale ?
Maurice Freund : Au début de cette année, Point Afrique a maintenu son vol sur Atar, le dimanche. Mais au même moment, la SOMASERT, financée par l’Etat, a proposé un vol le vendredi. Notre vol du dimanche drainait 60% de la clientèle. Mais le marché ne pouvait pas supporter deux vols. Et Point Afrique, qui ne recevait aucune subvention, n’était pas à armes égales avec la SOMASERT. Le coup d’Etat du 6 août 2008 a été l’événement de trop. Nous avons écrit à la SOMASERT et au ministre du Tourisme pour leur expliquer qu’il n’était pas possible de maintenir deux vols sur Atar, et que nous étions même prêts à nous désister sur celui du dimanche. Nous étions prêts à céder notre contrat gracieusement pour l’intérêt des Mauritaniens.
Afrik.com : Quelle réponse avez-vous obtenue ?
Maurice Freund : Aucune. Le mois dernier, après que des soldats ont été abattus à Tourine, dans une zone proche d’Atar, nous sommes retournés vers la SOMASERT. Au salon Top Resa, j’ai rencontré M. Mohamed Ould Biyah, le directeur général de la SOMASERT. Nous lui avons proposé d’annuler notre vol du dimanche et de partager les risques sur l’avion du vendredi. Mais nous voulions connaître les conditions des contrats qu’il avait signés avec Air France[[La SOMASERT affrète ses vols chez Transavia, qui est une filiale d’Air France, et Point Afrique chez Transméditerranée, qui est une compagnie de charters français.]]. Lorsque j’ai vu les prix, il était clair qu’il se faisait avoir. Mais j’ai cédé quand même. Il semblait que la SOMASERT soit prête à collaborer avec Point Afrique. Pourtant, M. Biyah ne nous a jamais présenté de contrat.
Afrik.com : Pourquoi êtes-vous resté aussi longtemps sur la destination Atar alors que vous rencontriez tant de difficultés ?
Maurice Freund : Des milliers de personnes vivent aujourd’hui du tourisme dans l’Adrar. Selon les chiffres du PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement), en 1996, le taux de prévalence de la pauvreté y était de 51%. En 2001, il n’était plus que de 23,8%. La seule activité qui se développe dans la région est celle du tourisme. Nous nous étions engagés sur cette destination parce que nous avions constaté que les oasis du nord se désertifiaient et que les populations qui en étaient originaires allaient gonfler les bidonvilles de Nouakchott. Notre présence a permis de maintenir les habitants de cette région sur place grâce aux emplois générés par le tourisme. Donc, pour nous, c’est une douleur d’avoir à reculer pour des raisons économiques, à cause de la concurrence déloyale que nous livre la SOMASERT.
Afrik.com : Pourtant, une partie de la presse mauritanienne dresse de vous un portrait beaucoup moins philanthropique. Elle écrit que vous faisiez votre beurre sur le dos des Mauritaniens et dénonce votre instinct « mercantile » et votre mentalité de « petit colon »…
Maurice Freund : Point Afrique est une entreprise coopérative à but non lucratif qui œuvre pour le développement. Je suis à la retraite. Je ne vis pas des revenus de la compagnie. Je regrette que notre travail soit compromis. Je trouve que l’Etat mauritanien devrait faire autre chose que de payer des voyages à des touristes français. Aujourd’hui, la presse mauritanienne me présente comme un bandit, dit que j’ai détourné de l’argent… Ca me révolte ! L’orgueil nationaliste prend le dessus sur toute analyse qui donnerait ses meilleures chances au développement. Le transfert du savoir-faire, le souhait que les Mauritaniens se débrouillent par eux-mêmes, je suis pour, j’applaudis à deux mains ! Mais je suis contre la concurrence déloyale et l’absence totale de stratégie.
Afrik.com : Comment la situation pourrait-elle s’arranger ?
Maurice Freund : Je ne sais pas. Je ne m’attendais pas à une attaque de ce type. Dans les conditions actuelles, je ne pense pas que l’on puisse relancer la destination Atar.
Afrik.com : Dans quelle situation économique se trouve actuellement Point Afrique ?
Maurice Freund : La conjoncture est difficile. Point Afrique a dû réduire son personnel au printemps dernier. Nous allons développer les routes sur lesquelles nous sommes déjà présents. Nous voulions lancer une nouvelle destination cette année : Ghardaïa, en Algérie. Mais les violentes inondations du mois d’octobre nous ont amenés à repousser l’opération. Quoiqu’il en soit, les idées que défend Point Afrique restent valables… J’étais directeur général d’Air Mali quand j’ai eu l’idée, en 1991, de mettre une ligne vers Gao, une ville enclavée du pays. Et le premier vol de Point Afrique, en décembre 1995, a été Paris-Gao. Un an plus tard, nous avons ouvert une ligne vers Atar, une ville enclavée également. L’idée que nous défendons est que le tourisme peut relever des régions déshéritées. Le choix d’avoir créé Point Afrique sous forme de coopérative n’est pas anodin. Nous ne courons pas après les bénéfices, nous avons fait le choix d’une économie sociale.
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