POUR EDOUARD GLISSANT
Tant de paroles offertes aux mains du monde
Remaillées aux fleuves souterrains
De grands chaos nous guettaient en bordure de nos îles
De grands rêves soulevaient nos vagues
Et enfouissaient les mots sous les sables du monde
Voici que pleurent les filaos
Nous avons passé le seuil des Indes
Passé le seuil des syllabes inconsolées
Car nul n’est à l’abri du silence
Et la vie est toujours un piège qui recommence
Et ce que nous habitons c’est la pensée du monde
Ivresse des mots
Malemort des mots
Nous sonnerons les pluies métisses
Nous ameuterons la Lézarde
Car
Nous sommes un peuple de traces prophétiques
De paroles dénouées
De paroles volées au mur de l’horizon
Et le conte en nous a toujours fait sa ronde
Pays fêlé et de mers dilatées aux flancs du monde
Nous en savons l’usage et le boucan de soleil noir
Le balan du souffrir
L’allégresse des argiles
La roche ingouvernable aux portes des rivières
Pays de sel
Le poète a jeté les dés des secrets
Tapissé le gouffre de nos lumières
Et défroissé les midis de la mer
Naissance des naissances
Le poète fait foule
Et sa mort justifie le soleil des consciences
Chacun inventera ses mots
Chacun sondera son propre sel
Allumera
Sa propre bougie
Sa propre étoile
Pour mieux se souvenir que
Le ciel s’est incliné pour ramasser sa lumière
Mais il nous appartient
Son rêve nous appartient
Nous garderons l’empreinte du Prince
Nous avons rendez-vous avec l’informulable
Sa parole
Est un siècle
Une jungle en veilleuse
Ame inquiète du monde
Un archipel aux yeux d’éclipse
Sa parole
Tant de soleils déménagés
Tant d’océans bouclés aux chevilles des racines
Tant de villes enjambées
Tant d’étoiles déterrées
Je parle au nom d’un poète
D’une écriture totale et totalement indélébile
Et je regarde mûrir l’horizon
Et je demande l’hospitalité du Tout-Monde
Et je plante un acomat
Et je ceins le rocher du Diamant
Qui emprunte ton visage à venir
Cette louange couronnée d’oiseaux marins
Ce gardien royal inspiré par tes songes
Et dans ce lieu
Où la pierre se fait flamme
Dans ce lieu de beauté intraitable
Je regarde passer l’âme du monde
La belle parole du monde
Ernest Pépin
Faugas le 04 février 2011
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