« Plot for Peace » : la fascinante histoire de « Monsieur Jacques »


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Le documentaire « Plot for Peace » signé Mandy Jacobson et Carlos Agulló, en salles ce mercredi, est une plongée au cœur d’une secrète médiation qui conduira notamment à la fin de l’Apartheid et à la libération de Nelson Mandela. Au cœur du dispositif : l’homme d’affaires français Jean-Yves Ollivier. Egalement productrice du documentaire, Mandy Jacobson revient sur la découverte de son personnage principal.

« Plot for Peace » raconte la manière dont la résolution d’un conflit majeur en Afrique australe, qui se jouait sur le terrain angolais, contribuera à mettre un terme aux 27 ans d’emprisonnement de celui qui incarne la lutte contre l’Apartheid, Nelson Mandela. Un personnage est le fil rouge de ce récit : le fameux « Monsieur Jacques », un homme d’affaires français. A travers les protagonistes de cette histoire méconnue, on découvre les arcanes géopolitiques d’une médiation dont la qualité principale fut, semble-t-il, d’être menée en secret par un « électron libre ». Mandy Jacobson et Carlos Agulló livrent ainsi un haletant documentaire, présenté au marché du film au dernier Festival de Cannes.

Afrik.com : Comment avez-vous découvert Jean-Yves Ollivier, ce mystérieux « Monsieur Jacques » ?

Mandy Jacobson : J’ai découvert dans des archives cet échange de prisonniers au Mozambique que l’on voit dans le documentaire. On y parlait de cet étrange Français que l’on appelait « Monsieur Jacques ». Nous avons donc cherché à savoir s’il y avait d’autres images de lui et nous sommes tombés sur un petit extrait télévisé où l’on appelait toujours « Monsieur Jacques ». Qui était ce Français en Afrique du Sud ? Il ne pouvait bien évidemment pas s’agir de « Françafrique » puisque nous étions en Afrique du Sud. Nous avons ainsi découvert que c’était un homme d’affaires, en Afrique, qui travaillait depuis une quarantaine d’années partout dans le monde et qui faisait de la médiation, dans le plus grand secret. Quand nous l’avons rencontré, il y a trois ans, il ne voulait absolument pas raconter son histoire.

Afrik.com : Selon vous, comment a-t-il réussi à changer la donne dans ce paysage géopolitique complexe, dans « les pays de la ligne de front » qu’il évoque lui-même ?

Mandy Jacobson : A la fin des années 80, il s’est employé à mettre en relation toutes les parties prenantes du conflit angolais. Les négociations officielles pour pousser les Sud-Africains à quitter l’Angola, de même que les Cubains, n’avaient jusqu’ici pas abouti à des résultats concluants. Les Américains étaient à la manœuvre. Jean-Yves Ollivier avait donc pensé à une stratégie pour impliquer la France. Paris pourrait ainsi se prévaloir d’avoir contribué à la libération de Nelson Mandela. Mais in fine, Jacques Chirac, alors Président, ne suivra pas. Quand nous l’avons rencontré pour la première fois, Jean-Yves Ollivier nous a confié qu’il avait réussi parce qu’il avait agi secrètement. Alors pourquoi parler maintenant ? De notre côté, nous nous sommes posés des questions. La principale étant de savoir s’il était ou non un espion qui travaillait pour le compte des Français.

Afrik.com : C’est ce que l’ONG « Survie » dit d’ailleurs dans votre documentaire…

Mandy Jacobson : Nous nous sommes rendus compte à la suite de nos différents entretiens que c’est ce qu’on appelle un « électron libre ». C’est la première fois dans ma vie de documentariste que je rencontrais un personnage qui disposait de contacts aussi intéressants et qui était aussi discret.

Afrik.com : Dans le documentaire, vous montrez un Jean-Yves Ollivier dont la motivation première est celle d’un homme d’affaires. Il estime tout simplement que quand il y aura la paix en Afrique Sud, il sera plus simple d’y faire du business. Vous l’avez côtoyé. Avez-vous perçu une motivation, outre que celle-là ?

Mandy Jacobson : Non. Mais en même temps, c’est une problématique à laquelle on est souvent confronté en tant que documentariste. On ne connaît pas toujours les véritables motivations des protagonistes de l’histoire que nous racontons. Je pense néanmoins qu’il a dans son ADN une passion pour la médiation. L’explication se trouve peut-être aussi dans ce qu’il affirme dans le documentaire. Jean-Yves Ollivier y explique que l’Algérie – c’est un pied noir – lui a appris que ce qu’il pensait être juste ne l’était pas. il a dû quitter un pays dont il ne voulait pas l’indépendance.

Afrik.com : Il explique qu’il ne voulait pas que les Blancs sud-africains fassent la même erreur que les Français en Algérie…

Mandy Jacobson : C’est ce qu’il dit effectivement. Et cela nous a permis d’avoir une belle histoire. Quand on a commencé à travailler sur le sujet, nous n’avions bien évidemment pas encore fait la connaissance de Jean-Yves Ollivier. Nous travaillions encore à l’époque sur le fait que la guerre froide s’était terminée avec la chute de l’Angola, la dernière et la plus longue guerre de cette période à eu pour théâtre ce pays. Cependant, je recherchais une autre perspective : comment la fin de cette guerre avait contribué à mettre un terme à l’Apartheid. En tant que Sud-Africaine, j’avais grandi dans l’idée que seul le combat de l’ANC (Congrès national africain) et des voix dissidentes à l’intérieur du pays avait fini par avoir raison du régime ségrégationniste.

Afrik.com : Pas moins de trois Présidents – Thabo Mbeki (Afrique du Sud), Joachim Chissano (Mozambique) et Denis Sassou Nguesso, l’actuel chef de l’Etat congolais – et Winnie Mandela témoignent dans ce documentaire. Comment avez-vous réussi à les convaincre de vous confier leur témoignage sur pellicule ?

Mandy Jacobson : Nous étions déjà en contact avec certains d’entre eux à travers l’African Oral History Archive (AOHA). Cependant, nous avons passé beaucoup de temps avec eux, sans la caméra, pour les convaincre qu’il s’agissait de témoigner d’un pan de l’Histoire pour les futures générations. Ce n’est pas facile. Mais le travail de mémoire que nous faisons à travers l’AOHA a été un argument de poids. C’est toujours encore un peu le cas aujourd’hui, mais pendant des années, les Sud-Africains n’ont pas parlé de la guerre en Angola qui était surnommée chez nous la « Border war (la guerre de la frontière) ». C’est un secret de polichinelle, mais l’Afrique du Sud n’a jamais officiellement admis qu’elle soutenait Jonas Savimbi, le leader de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita).

Afrik.com : Que souhaitez-vous que l’on retienne de votre documentaire ?

Mandy Jacobson : « Plot for Peace » est seulement une histoire dans la grande Histoire. Je ne veux pas que ce documentaire soit perçu comme l’histoire d’un seul homme qui aurait réussi à faire libérer Nelson Mandela, tout simplement parce que ce n’est pas vrai. C’est juste une histoire fascinante.

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