Plainte de Bazoum à la Cour de justice de la CEDEAO : un acte désespéré ?


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Le Président du Niger, Mohamed Bazoum
Le Président du Niger, Mohamed Bazoum

Les avocats du Président Mohamed Bazoum ont saisi la Cour de justice de la CEDEAO pour obtenir une condamnation de l’État nigérien et en même temps une libération et une réhabilitation de leur client dans ses fonctions. Mohamed Bazoum est-il désespéré face à l’évolution d’une situation qui perdure depuis le 26 juillet ?

Dans cinq jours, cela fera exactement deux mois que les éléments de la Garde présidentielle chargés d’assurer la sécurité de Mohamed Bazoum se sont transformés en ses bourreaux, le détenant à la résidence, et confisquant le pouvoir. La position apparemment ferme de la CEDEAO qui, au départ, montrait clairement sa détermination à en découdre, coûte que coûte, avec les putschistes, même si c’est par la force des armes semble, avoir pris du plomb dans l’aile. Les dirigeants de la sous-région ne pouvant sans doute pas ignorer toutes les implications négatives d’une telle option. Tout comme ils ne peuvent pas passer par pertes et profits l’opposition manifeste de leurs peuples respectifs à toute intervention armée dans un pays frère pour, disent-ils, rétablir la démocratie.

Des négociations qui traînent

Et depuis, les négociations semblent marquer le pas. Même si on sait que dans les coulisses, la diplomatie est toujours active. Pendant ce temps, Mohamed Bazoum refuse de démissionner. Son épouse et son fils demeurent cloîtrés dans la résidence présidentielle, comptant les jours et peut-être se demandant à quand l’intervention militaire “salvatrice”. L’attente devient trop longue. Sans doute. Pendant ce temps, le CNSP demeure au pouvoir. Un pouvoir qui s’affermit de jour en jour. Ceci, malgré les réactions hostiles qui lui sont opposées par certains pays. Mohamed Bazoum décide donc de s’en remettre à la Cour de justice de la CEDEAO.

Une plainte pour quels résultats ?

Le 18 septembre 2023, les avocats du Président Bazoum ont déposé une plainte à la Cour de justice de la CEDEAO. Dans cette plainte, les conseils du Président déchu dénoncent « l’arrestation arbitraire » et « la violation de la liberté d’aller et venir » de leur client et de sa famille. C’est pourquoi l’un des avocats, Me Seydou Diagne, insiste : « Nous demandons (…) au vu de la violation des droits politiques, que l’État du Niger soit condamné au rétablissement immédiat de l’ordre constitutionnel par la remise du pouvoir au Président Bazoum qui doit continuer de l’exercer jusqu’à la fin de son mandat le 2 avril 2026 ». Selon Me Diagne, « l’État du Niger a l’obligation juridique d’exécuter la décision », si la partie plaignante obtient gain de cause. « Ce qui nous intéresse, poursuit-il, c’est d’obtenir une condamnation de l’État du Niger par une décision de justice ».

La quadrature du cercle

C’est là où un problème se pose. De quelle force de coercition dispose cette Cour de justice de la CEDEAO pour imposer la mise en œuvre de ses arrêts ? Et au-delà même de la CEDEAO, la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples. Ces juridictions sous-régionales ou même continentales n’ont aucune possibilité, dans les faits, pour exiger aux États la mise en œuvre de leurs décisions de justice. Les exemples de décisions royalement ignorées par de nombreux pays ayant pourtant ratifié les chartes instituant ces juridictions sont légion. Y aura-t-il une exception dans le cas du Président Mohamed Bazoum ? Rien n’est moins sûr.

À partir de ce moment, cette plainte apparaît comme un acte désespéré du Président privé de sa liberté d’aller et venir depuis bientôt deux mois. Ou alors, Mohamed Bazoum et ses avocats recherchent la condamnation formelle de l’État du Niger à offrir comme un motif, une sorte de casus belli, pour justifier l’intervention militaire qui, à leurs yeux, tarde. Avec toutes ses conséquences, évidemment.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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