Alors que le M23 et l’AFC gagnent du terrain et progressent vers Butembo, la deuxième plus grande ville du Nord-Kivu, le président Félix Tshisekedi a remanié à la hâte cette semaine l’état-major de l’armée en République démocratique du Congo. Outre Jules Banza Mwilambwe qui remplace Christian Tshiwewe comme chef d’état major des FARDC, le général Christian Ndaywel, sous le coup de plusieurs plaintes en Belgique, a été exfiltré de l’ex-Demiap, le renseignement militaire, dont il assurait depuis plus de deux ans la direction. C’est le général Jean Roger Mwinaminayi Makombo, jusqu’ici son adjoint, qui a été choisi pour le remplacer. « L’homme des basses œuvres » comme il est qualifié dans le milieu.
« On a remplacé Christian Ndaywel, qui n’était pas un ange, par quelqu’un de pire. Il fallait quand même le faire ! » C’est par ces mots que ce responsable d’un service de renseignement européen a – fraîchement – accueilli la nomination de Jean Roger Makombo à la tête du renseignement militaire en RDC, l’ex-Demiap (Détection militaire des activités anti-patrie, devenue État-major des Renseignements Militaires).
Ce jeudi 19 décembre, quelques jours seulement après l’échec des discussions à Luanda avec le Rwanda sur la paix à l’est, le président Félix Tshisekedi annonce un remaniement de son état-major. Il y a urgence. Le M23 et l’AFC, soutenus par leur parrain rwandais, se rapprochent dangereusement de Butembo, la deuxième plus grande ville après Goma de la province du Nord-Kivu, dont ils ne sont plus qu’à quelques encablures.
Exit Christian Tshiwewe qui devient conseiller militaire à la Présidence de la République, une sorte de placard doré qui n’avait plus été pourvu depuis le départ de Joseph Kabila. Pour le remplacer à la tête de l’état-major des FARDC, c’est Jules Banza Mwilambwe qui a été choisi. Celui-ci était jusqu’alors le numéro deux de la Maison militaire que dirige son « parrain », Franck Ntumba.
A la faveur de ce chamboule-tout (un simple jeu de chaises musicales, pour certains), Félix Tshisekedi en a profité pour éloigner le général Christian Ndaywel Okura de l’ex-Demiap, un service qu’il dirigeait depuis octobre 2022. Visé par trois plaintes en Belgique, le fils de l’historien Christian Ndaywel, désormais affecté au commandement de la force terrestre des FARDC (« un poste idéal pour réprimer d’éventuelles manifestations de l’opposition contre la Constitution », fait observer un opposant), est cité dans tous les coups tordus ces dernières années en RDC : de l’emprisonnement arbitraire des opposants (Mike Mukebayi, Salomon Kalonda, Franck Diongo…) ou des journalistes (Stanys Bujakera…) au décès plus que suspect de Chérubin Okende, proche de Moïse Katumbi.
« Toutes ces plaintes déposées en Belgique contre le général Ndaywel commençaient à être gênantes pour le président Félix Tshisekedi qui a beaucoup d’intérêts ici et qui tient beaucoup à avoir de bonnes relations avec nous », glisse un haut-diplomate, très proche d’Alexander De Croo.
Mais à Bruxelles comme dans d’autres capitales (et non des moindres), la satisfaction du départ de Ndaywel a été de courte durée. En cause, le profil de son successeur, Jean Roger Mwinaminayi Makombo. Cet ancien chef adjoint des renseignements militaires (« T2 ») en Ituri, puis au Sud-Kivu, était depuis 2022 le numéro 2 de l’ex-Demiap. Né à Kananga dans le Kasaï Occidental il y a une soixantaine d’années, sa carrière n’a véritablement décollé qu’avec l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi. De major en 2019, il connait une promotion fulgurante au point d’atteindre cinq ans plus tard seulement le grade de général.
« Il est l’homme des basses œuvres, du sale boulot », explique une source qui l’a longtemps cotoyé et qui suit depuis son parcours. « Du temps de Joseph Kabila, il avait été à plusieurs reprises arrêté pour corruption. Il n’acceptait de libérer les personnes qui devaient l’être que si elles lui donnaient de l’argent », se remémore-t-il.
Successeur de Kalev Mutond
Dans le milieu, Makombo est appelé « Mobutu ». Un surnom qui en dit long sur sa personnalité. L’homme est décrit comme rustre, zélé et impulsif, voire sadique. « Nous avons recueilli les témoignages de beaucoup de prisonniers et d’ex-prisonniers relatant les privations de nourriture ou encore le fait d’être entassé à dix ou vingt dans des cellules prévues pour deux à cinq personnes. A chaque fois, ils pointaient du doigt un responsable : Makombo », relate ce responsable d’une organisation respectée de défense des droits de l’Homme en RDC. « Cela n’augure rien de bon, surtout au moment où le régime pourrait mettre un nouveau tour de vis en raison du débat sur la Constitution. Les opposants risquent d’être traqués et les voix dissonantes muselées », s’inquiète-t-il.
Un sentiment partagé par cet agent d’un service de renseignement occidental. « On ne règle pas les problèmes avec ceux qui les posent. Or, une grande partie des problèmes du renseignement militaire proviennent de Makombo. C’est lui qui a contribué à ce que l’ex-Demiap remplace l’ANR dans l’imaginaire collectif. Pour moi, il est le vrai successeur de Kalev Mutond ». Un signe peut-être, tous deux ont des lunettes de soleil vissées en permanence sur le nez.
« Que ce soit Ndyawel ou Makombo, ils ont mis beaucoup de gens en prison sous des prétextes fallacieux, des innocents qui n’avaient rien à y faire », ajoute cet homme expérimenté. De fait, ces dernières années, l’ex-Demiap semble s’être muée en police politique au service du clan au pouvoir, pourchassant les opposants au régime sur la base d’éléments plus que douteux.
Au final, en voulant éloigner Ndaywel de l’ex-Demiap, Félix Tshisekedi a sans doute cru bien faire. Hélas, on sait depuis le philosophe Pascal que, parfois, « qui veut faire l’ange fait la bête ». C’est probablement le cas en l’espèce.