Comment a été photographiée la guerre d’Algérie ? Que reste-t-il aujourd’hui de la production d’images de l’époque ? Vous trouverez les réponses au Patrimoine photographique, à Paris, qui accueille jusqu’au 18 avril, une exposition essentielle et nécessaire, « Photographier la guerre d’Algérie ».
« Une fois l’indépendance de l’Algérie acquise, en 1962, la société française semble avoir gardé une mémoire visuelle sélective des sept années de guerre qui avaient conduit à cet événement majeur de l’histoire contemporaine. D’ailleurs, les Français ont longtemps paru ne pas éprouver le besoin de revisiter cette séquence noire de leur passé, à la différence des Américains qui transformèrent sans délai leur défaite au Vietnam en fait d’histoire. Il subsiste pourtant une masse importante d’images de toutes sortes qui renseignent sur la période et constituent autant de traces fragiles, friables, presque perdues. » C’est ainsi que s’ouvre l’exposition parisienne « Photographier la guerre d’Algérie » qui, à travers 158 photographies et documents, tente de retrouver cette mémoire enfouie. Et qui se présente comme le premier bilan complet sur la manière dont la guerre d’Algérie a été représentée.
Une guerre qui n’a dit son nom que très récemment, qualifiée à l’époque d’« événements ». Alors comment ont été photographiés ces « événements » ? Avec la même hypocrisie, le même aveuglement que leur nomination ? Oui et non. Il y a bien sûr, les photographies officielles de propagande française et le fonds très important des photos de l’armée mais on trouve aussi des reportages engagés dont celui du Hollandais Kryn Taconis datant de 1957, auto-censuré par l’agence Magnum, et qui est ici montré dans son intégralité. Le photographe, ancien résistant, prend effectivement le parti des combattants algériens. Son reportage est un plaidoyer pour une armée organisée qui manœuvre chez elle.
Fils et père
Même approche pour l’Américaine Dickey Chapelle, l’une des premières femmes photographes à intégrer la Navy pour couvrir le débarquement d’Okinawa, pendant la deuxième guerre mondiale. Cette correspondante de guerre prend contact dès 1957 avec des membres du FLN (Front de Libération Nationale) et va montrer, lors d’un reportage dans le maquis, l’organisation de la rébellion algérienne. A l’opposé de l’image de « bandits » diffusée alors par le gouvernement français.
L’exposition fait la part belle aux travaux personnels de grands photographes comme Raymond Depardon ou Marc Riboud, mais aussi aux différentes commandes de Paris-Match, qui couvrira avec régularité les « événements », et aux photos d’agence, notamment celles de l’AFP. On doit à cette dernière la magnifique photo intitulée « Fils et père ». Deux soldats FLN dans le maquis en 1955. Fiers, altiers, le regard noir : le père paraît immense. Est-ce parce qu’il est grand ou parce que son fils, armé à ses côtés, vient à peine d’entrer dans l’adolescence ?
Photographes amateurs
Enfin, à côté de cette production qui s’étale dans la presse magazine en plein essor, les photos amateurs des appelés offrent un pendant intéressant. Ça commence par des clichés des douches construites en pleine nature, du ravitaillement, des corvées… De jeunes hommes souriants en galoches se tiennent par les épaules, ils ont l’air bronzés. Mais ces parties de campagne entre frères de régiment tournent vite au cauchemar : photos de bombardement au napalm, d’humiliations lors des arrestations, de soldats posant devant des cadavres de combattants algériens devenus trophées de guerre. Les clichés sont sans appel.
Le constat le plus amer, lors de cette exposition, est le déséquilibre criant de la production d’images. Les Algériens en sont les grands absents, devant ou derrière l’objectif. Le rapport de force était inégal, la représentation de la guerre l’a été de la même manière. Seul le photographe rattaché à l’armée française, Marc Garanger, a capturé l’image de plus de 2 000 femmes, pour les besoins de nouvelles cartes d’identité. Ses clichés sont autant de témoignages de la résistance active et farouche des Algériennes. « J’ai reçu leur regard à bout portant, premier témoin de leur protestation muette, violente », raconte-t-il. Et ses photos parlent d’elles-mêmes.
Photographier la guerre d’Algérie, jusqu’au 18 avril 2004 au Patrimoine photographique, Hôtel de Sully – 62, rue Saint-Antoine – 75004 Paris – tlj sauf lundi et jours fériés de 10h à 18h30.