Philippe Ouédraogo : Thomas Sankara « analysait vite les choses, décidait vite »


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Thomas Sankara
Thomas Sankara

Nouvelle journée d’audition des témoins dans le cadre du procès de l’assassinat de Thomas Sankara. Trois personnes étaient à la barre. Mais, deux ont parlé, tandis que le troisième a fait la langue de bois.

Ce lundi 29 novembre, l’audition des témoins dans le cadre du procès de l’assassinat du père de la révolution burkinabè, le capitaine Thomas Sankara, s’est poursuivi. Philippe Ouédraogo, ancien ministre sous le Conseil national de la révolution (CNR), et membre du Parti africain de l’indépendance (PAI) au moment du drame du 15 octobre 1987, était à la barre.

Philippe Ouédraogo parle des points de friction en Sankara et Compaoré

Le témoin a rappelé avoir démissionné du gouvernement déjà en août 1984, et à partir de ce moment, les responsables de son parti s’étaient cantonnés dans un rôle de « spectateurs ». Mais, l’évidence, selon le témoin, c’était qu’à partir des mois d’août et septembre 1987, la tension était devenue palpable au sein du CNR, et pour lui, « un certain nombre d’éléments devenaient inquiétants pour la survie du régime ». Au nombre de ces éléments, il y avait la circulation des tracts qui diabolisaient d’une part et d’autre Thomas Sankara et Blaise Compaoré. Le témoin rapporte qu’il était à la Chambre de commerce, le 15 octobre 1987 lorsque les coups de feu ont tonné. D’après sa déposition, il n’a appris la mort du Président du Faso qu’au lendemain du drame.

Le 19 octobre, il avait été reçu au Conseil de l’entente par Blaise Compaoré qui lui a présenté sa version des faits. Le témoin a déclaré à la barre qu’il « ne croyait pas tout ce que Blaise Compaoré lui disait » ce jour-là. « Celui qui parle pense que celui qui l’écoute n’a pas l’intelligence d’analyser ce qu’il dit », fait observer Philippe Ouédraogo. Il raconte : « Arrivé, il (Blaise Compaoré, ndlr) a dit qu’il y avait des problèmes entre Thomas Sankara, lui, Lingani et Henri. Il a parlé de divergences à propos de la création d’un parti unique et que Sankara demandait la dissolution des autres partis, mais eux ils n’étaient pas d’accord ».

Entre autres points de divergences entre les deux premiers responsables de la révolution, il y avait la question des « 10 millions que Houphouët-Boigny a donnés à Blaise Compaoré (et à son épouse) lors de leur mariage (…) Il a dit que Sankara lui a demandé de verser l’argent dans la caisse, mais lui, il a fait savoir que son épouse ne comprendra pas pourquoi il fallait le faire », confie le témoin. Au total, de la discussion qu’il a eue avec Philippe Ouédraogo, ce 19 octobre, Blaise Compaoré « s’est absous de toute responsabilité dans cette affaire, mais ce qu’il dit n’est pas vrai ».

Même s’il a déclaré que « Thomas Sankara avait tendance à décider seul », le témoin Philippe Ouédraogo a fini sa déposition sur une note de regret : « Le 15 octobre a été une catastrophe », a-t-il laissé entendre, avant d’ajouter que « le dynamisme du Président (Thomas Sankara) a fait grandir le pays. La Haute-Volta n’était pas connue, mais Sankara a fait connaître le Burkina partout ». Pour lui, Thomas Sankara était un homme qui « analysait vite les choses, décidait vite et mettait en œuvre vite les choses ».

Ernest Nongma Ouédraogo fait la langue de bois

À la barre, Philippe Ouédraogo a cédé la place à Ernest Nongma Ouédraogo, commissaire de police à la retraite, et ministre de l’Administration du territoire et de la sécurité au moment des faits. Le parquet n’a rien pu tirer de cet homme qui, de par les responsabilités qui étaient les siennes au moment du coup d’Etat, devrait avoir beaucoup à dire. Mais à la barre, le témoin s’est hermétiquement fermé. Tout ce qu’on peut retenir de son passage à la barre, c’est qu’il a été mis aux arrêts pendant près d’un an après le drame. D’abord détenu à la gendarmerie, il a, par la suite, était transféré au Conseil de l’entente.

Mousbila Sankara exprime de profonds regrets

Le troisième et dernier témoin invité à la barre, ce lundi 29 novembre, est Mousbila Sankara, oncle de l’ancien Président, et ambassadeur du Burkina Faso en Libye au moment des faits. « Je ne peux pas dire grand-chose du 15 octobre 1987, commence le témoin, parce que je n’étais pas là. J’étais à la 42e session de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York. C’est en pleine réunion donc que j’ai appris ce qui se passait au Burkina Faso. Ma délégation et moi, nous nous sommes tout de suite démobilisés. J’ai essayé de joindre le Conseil de l’entente. Et quand j’ai finalement eu Blaise Compaoré, il me dit en larmes : on nous a eus, j’ai été débordé. Ce que je vais te demander c’est de rejoindre ton poste et de nous aider avec du matériel de maintien de l’ordre ».

C’est bien après avoir fait ce que Blaise Compaoré lui a recommandé et de lui avoir fait parvenir du matériel que Mousbila Sankara a compris qu’il s’est fait avoir : « Moi Mousbila, c’est ce qui me fait très mal. Je l’ai cru naïvement et j’ai fait venir du matériel en demandant au Niger et à l’Algérie de laisser traverser leur espace aérien pour que le Burkina Faso puisse entrer très rapidement en possession du matériel. Je ne savais pas que mon bec était dans l’eau », s’indigne le témoin. Lorsqu’il s’est rendu à l’évidence, il a démissionné de son poste, et est rentré dans son pays, le 27 novembre 1987. Le 14 décembre, il est arrêté et gardé à la gendarmerie jusqu’au 3 août 1989. Il était, selon ses propos, régulièrement torturé, sous les yeux de Jen-Pierre Palm. « A la Gendarmerie, on ne faisait que me frapper. Quand on me torturait Jean Pierre Palm était à côté et il riait », a-t-il affirmé.

Libéré, il fut repris, le 23 décembre 1989 et détenu jusqu’au 7 avril 1991, au Conseil de l’entente, où il a subi des tortures plus atroces que celles qu’il à connues à la gendarmerie. « Je peux dire que mon séjour à la gendarmerie était un séjour dans un hôtel cinq étoiles comparativement au Conseil de l’entente », a confié l’homme qui n’a pas oublié les noms de ses principaux bourreaux. Parmi eux, il y avait Boureima Keré, aide de camp de Blaise Compaoré à l’époque, le lieutenant Oumar Traoré et un certain Moumouni Ouédraogo. L’audience se poursuit, ce mardi 30 novembre, avec le même témoin à la barre.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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