À plus de 127 dollars le baril, ce vendredi à New York, le pétrole mérite plus que jamais d’être qualifié de manne. Les pays africains feront-ils bon usage de ces recettes inattendues ? Jean-Pierre Favennec, économiste à l’Institut français du pétrole (IFP) donne son avis.
Jean-Pierre Favennec est également directeur du Centre Economie et Gestion à l’Ecole du pétrole et des moteurs où il enseigne.
Afrik.com : Le pétrole a passé ce vendredi la barre des 127 dollars le baril à New York. C’est du jamais vu ?
Jean-Pierre Favennec : C’est une hausse record. Le prix du pétrole a été multiplié par 10 en neuf ans. En mars 99, il était à 10 dollars le baril. C’est quatre fois plus qu’en 1983 où il était à 25 dollars. En début d’année, le pétrole était 50% moins cher.
Afrik.com : Dans quelle mesure les pays producteurs de pétrole comme le Gabon, l’Algérie ou encore le Nigeria pourront-ils mieux profiter de ces recettes inattendues ?
Jean-Pierre Favennec : Le Nigeria n’est pas plus riche aujourd’hui qu’au moment de la découverte du pétrole dans les années 1960. A cette époque, il était autosuffisant, aujourd’hui, il ne l’est plus : tout est importé. En Angola, les recettes pétrolières ont servi à l’achat d’armes comme l’opposition, l’Unita (l’Union pour l’indépendance totale de l’Angola), s’est servi de celles du diamant.
Il y a trois au quatre ans, une initiative dénommée Extractive Industries Transparency Initiative , EITI (l’Initiative pour la Transparence dans les Industries d’Extraction est une
coalition de gouvernements, de sociétés, de groupes venant de la société civile,
d’investisseurs et d’organisations internationales. EITI soutient le renforcement de la
bonne gouvernance dans des pays riches en ressources naturelles à travers la
publication détaillée et la vérification des paiements faits par les sociétés et les
revenus des gouvernements venant du pétrole, du gaz et des activités minières) a été mise en place. En Mauritanie (nouveau venu dans le cercle des producteurs de pétrole en Afrique, ndlr), le gouvernement intermédiaire (établi après le coup d’Etat de 2005, ndlr) y a adhéré et des pays comme le Congo affirment appliquer les principes mis en avant par cette initiative. Maintenant, qu’est-ce qui est fait réellement ? C’est un autre débat. C’est toujours difficile de se prononcer sur le fait qu’il y aura un meilleur usage ou non des revenus pétroliers. Les flux de dollars sont effectivement de plus en plus importants. Au Moyen-Orient, ils ont donné naissance à d’importants fonds souverains comme celui d’Abu Dhabi qui dispose de 800 milliards de dollars, soit la moitié du PNB français.
Afrik.com : De tels fonds existent-ils en Afrique ?
Jean-Pierre Favennec : A ma connaissance, non. A part peut-être le fait qu’ils puissent être comparés à l’accord qui a été signé par la Banque Mondiale, avec le Tchad, pour financer l’oléoduc Tchad-Cameroun, et qui a été démonté depuis (il prévoyait que 85% des revenus pétroliers soient affectés à des secteurs prioritaires dont l’éducation, la santé et les infrastructures. Dix autres pour cent devaient être bloqués sur un compte à l’étranger pour les générations futures. Les cinq derniers pour cent étant directement reversés aux populations de la région de Doba traversé par le pipeline).
Afrik.com : A-t-on mesuré, au travers d’études, l’impact qu’aurait eu une meilleure gestion des ressources issues de l’exploitation du pétrole en Afrique ?
Jean-Pierre Favennec : De nombreuses analyses critiques ont été plutôt faites sur cette problématique dans les différents pays que vous avez cités. S’il est vrai que l’Algérie n’arrive pas à résorber un chômage massif, il n’en demeure pas moins que ce pays s’en sort mieux depuis une dizaine d’années. 98% des exportations de l’Algérie sont constituées par le gaz et le pétrole et les prix du pétrole ont été très bas. Le prix du gaz étant indexé sur celui du pétrole, c’est à peine si l’Algérie ne payait pas pour qu’on lui achète son gaz compte tenu des coûts d’extraction qui sont plus élevés. Pendant très longtemps, le budget algérien était fait sur la base d’un baril à 20 dollars. La hausse du cours du pétrole lui a permis, ces dernières années, de rembourser des dettes qui s’étaient par trop accumulées. L’Algérie dispose aujourd’hui de 100 milliards de dollars d’excédents qui doivent certainement être gérés par la Banque centrale. Cependant, c’est un pays qui a toujours eu du mal à définir une politique d’industrialisation, du moins de développement d’activités stratégiques.
Afrik.com : Peut-on espérer que les pays africains seront plus alertes face à cette hausse du prix du baril qui va certainement se poursuivre ?
Jean-Pierre Favennec : C’est une manne, certes considérable, mais qui ne date que de quelques années. Le prix du pétrole était très bas dans les années 90. Tout le monde est conscient du fait que l’on doit faire un meilleur usage des revenus pétroliers. Les pays producteurs africains y sont sensibles. Néanmoins, j’estime qu’on ne pourra véritablement se prononcer sur cette question que dans un ou deux ans.