Dix-sept pays africains* produisent du pétrole dans des proportions différentes. Mais dans la plupart des cas, les revenus qu’ils en tirent ne servent pas à améliorer le sort des populations et finissent dans les poches personnelles des dirigeants. Tout dernier à entamer la production de son pétrole, le Ghana a décidé de suivre le chemin inverse. Etat des lieux des systèmes de détournement.
« Un défi majeur sera de savoir comment faire pour que les revenus du pétrole servent à transformer l’économie, doper la croissance sans sacrifier la stabilité macro-économique et accentuer les inégalités ». C’est sur cette note mesurée et prudente que le ministre ghanéen des finances, Kwabena Duffuor, a évoqué les perspectives pétrolières de son pays, lorsqu’il a présenté, en novembre dernier, le budget 2011 de son pays, devant les parlementaires réunis en assemblée. Le 17 décembre, le Ghana est entré dans le club des pays africains producteur de pétrole. C’est un petit producteur, puisque le gisement baptisé « Jubilee » fournira seulement quelque 50 000 barils par jour, d’ici la fin de l’année. Son exploitation a été confiée à la société anglo-irlandaise Tullow Oil.
Elle rapportera au pays quelques 584 millions de cedis (406 millions de dollars), soit 6% de son budget. Devant les députés, le principal argentier du Ghana a juré la main sur le cœur, qu’il ferait en sorte que son pays évite « les pièges » dans lesquels sont tombés certains pays africains, après la mise en exploitation de l’or noir sur leur territoire. Le Ghana souhaite donc conserver, même avec le pétrole, sa réputation établie de l’une des démocraties les plus stables du continent, en mettant les ressources de son pétrole au service de son développement.
Une sage décision que n’ont malheureusement pas adoptée la plupart de ses précurseurs continentaux dans le domaine du pétrole. Près de cinq décennies d’exploitation pétrolière n’ont en effet malheureusement pas permis à de nombreux pays africains de relever le niveau de vie de leurs citoyens. De sorte que la Libye du colonel Kadhafi fait pratiquement figure d’exception. En dépit d’un système politique fermé et aujourd’hui contesté par les armes, et bien que la famille Kadhafi maîtrise les ressorts de l’économie, il est indéniable que le pétrole, qui représente 30% du PIB, a profité au peuple libyen. Le niveau de scolarisation des jeunes y est très élevé (94%); ces trente dernières années la mortalité infantile a fortement baissé, pendant que l’espérance de vie, de 73 ans, s’y rapproche de celle des pays occidentaux. Avec un PIB par habitant de l’ordre de 10 000 dollars, la Libye est considérée à juste titre comme l’un des Etats les plus riches d’Afrique.
Pétrole et corruption
Ailleurs, l’argent du pétrole a davantage échoué dans les réseaux de corruption, enrichissant les clans du pouvoir au détriment des populations. Les émeutes qui ont secoué ces derniers jours l’Egypte et l’Algérie, deux pays comptés parmi les plus grands producteurs africains du pétrole sont venus rappeler de façon cinglante l’exaspération des populations confrontées à une misère toujours plus croissante. Ici, c’est dans le registre des crimes économiques et non dans celui du développement, que le pétrole fait le plus parler de lui. L’année dernière, Mohamed Meziane, le patron de Sonatrach, le géant algérien des hydrocarbures qui a réalisé un chiffre d’affaires de 71 milliards de dollars en 2008 a été débarqué en catastrophe, au même moment que plusieurs de ses principaux collaborateurs. L’instruction judiciaire ouverte sur les comptes et pratiques de la société qu’il gérait, et qui assure 98 % des recettes en devises de son pays vise des pratiques de corruption en tout genre, sur- et sous-facturation, évasion fiscale, contrats passés de gré à gré.
WikiLeaks
Lorsqu’on descend vers le sud du continent, la situation semble s’empirer. Huitième producteur mondial de brut et premier à l’échelon africain, le Nigeria, longtemps rendu instable par les coups d’Etat à répétition a vu l’argent de son pétrole régulièrement détourné par les clans du sommet de l’Etat. Une note obtenue par WikiLeaks et dévoilée par le quotidien Le Monde révèle l’ambiance qui a longtemps caractérisé les rapports entre les responsables nationaux du secteur pétrolier et les multinationales du secteur. « Les acheteurs de brut doivent payer de gros pots de vins se montant à des millions de dollars, au directeur général de la NNPC [compagnie nationale] Yar’Adua, le conseiller économique en chef Yakubu ou la première dame Turai Yar’Adua, pour pouvoir faire partir leurs pétroliers », y déclare l’ancienne vice-présidente de Shell-Nigeria, Ann Pickard.
Pollution du Delta nigérian
Dans le même registre, la justice américaine a condamné l’année dernière le groupe pétrolier français Technip à une amende colossale de 338 millions de dollars. Motif : Technip s’est livré à la corruption au Nigeria durant 10 ans pour des contrats de plus de six milliards de dollars, a conclu la justice américaine. En un demi-siècle d’exploitation, le pétrole a rapporté environ 600 milliards de dollars au Nigeria. Les habitants du Delta nigérian, riche en pétrole d’excellente qualité n’ont récolté eux, que les méfaits de l’exploitation de cette surabondance pétrolière. L’Onu estime à plus de 6 800 le nombre de fuite des oléoducs dans la région, entre 1976 et 2001. Plus de 3 millions de tonnes de pétrole ont été déversées dans l’environnement, détruisant l’écosystème des 31 millions d’habitants de la région. «Les habitants sont contraints de se laver, de boire et de cuisiner avec des eaux polluées. Ils mangent du poisson -s’ils ont la chance d’en trouver encore- contaminé par les hydrocarbures et d’autres toxines. Leurs terres agricoles sont détruites», constatait l’année dernière, une enquête d’Amnesty international. Par ailleurs, les frustrations et la misère ont rendu la région politiquement instable. De nombreux groupes armées dont le Mouvement d’émancipation du delta du Niger (Mend), y ont vu le jour, et multiplient raids et enlèvements sur les plateformes pétrolières.
Caisse noire au Cameroun
Voisin du Nigeria, le Cameroun dont les réserves pétrolières baissent d’année en année n’échappe pas à cette ambiance délétère. Pendant des décennies, l’argent de l’or noir y a été géré hors budget de l’Etat, dans des caisses noires tenues par la présidence de la république. Le scandale de l’Albatros, du nom de l’avion présidentiel dans lequel Paul Biya et certains membres de sa famille ont échappé de peu à un accident le 24 avril 2004 révèle un aspect du siphonage des ressources issues de la vente du pétrole au Cameroun. Au début des années 2000, pratiquement en faillite, l’Etat camerounais conclut un drastique programme d’ajustement structurel avec les bailleurs de fonds internationaux, pour obtenir en échange des remises sur sa dette. Dans ce contexte, le FMI et la Banque mondiale voient d’un mauvais œil que Paul Biya veuille s’offrir un avion neuf pour ses déplacements personnels. Pour contourner cet obstacle majeur, le président instruit ses proches d’approcher l’avionneur Boeing, sous le couvert de la Camair, l’ancienne compagnie aérienne nationale. L’avion doit dans un premier temps être immatriculé au nom de celle-ci, avant d’être transféré à l’usage du président. Les chroniques judiciaires du tribunal de grande instance de Yaoundé révèlent que près de 36 millions de dollars seront décaissés de la Société nationale des hydrocarbures (SNH) pour financer cet achat. Un pactole décaissé en plusieurs tranches qui seront l’objet de détournement et de tentatives de détournement. D’où l’incarcération de plusieurs gros bonnets des affaires et de la politique camerounaise, à l’instar de Yves Michel Fotso un ancien patron de la Camair, de Jean Marie Atangana Mebara ancien Secrétaire général de la présidence et de Jérôme Mendouga, ancien ambassadeur à Washington.
Biens mal-acquis
La situation est identique, sinon pire, au Gabon voisin, longtemps considéré comme un émirat pétrolier au centre de l’Afrique. Quarante-deux ans de règne sans partage de l’ancien président Omar Bongo ont laissé ce pays d’à peine un million et demi d’habitants économiquement exsangue et adepte des perfusions financières internationales. Pourtant, même avec des réserves en baisse, le Gabon figure encore au 37e rang mondial des producteurs de pétrole, avec 234 000 barils par jour. Loin de veiller au bien-être de ses concitoyens, feu Omar Bongo s’est davantage investi à financer les politiques français de gauche comme de droite avant l’argent du pétrole de son pays. Tout en multipliant ses possessions personnelles à l’étranger. De sorte que Libreville, la capitale, subit des coupures régulières d’eau et d’électricité, pendant que l’ancien président a été visé dans la plainte des ONG internationales pour biens mal-acquis.
En Angola, au Congo Brazzaville, et en Guinée équatoriale, les populations ne profitent pas mieux des milliards de l’or noir. Dans un rapport rendu public en mars 2010 et intitulé Time for transparency (l’heure est à la transparence), l’Ong britannique Global Witness a épinglé les pratiques de corruption dans l’univers pétrolier des trois pays. Le Congo Brazzaville traîne le niveau d’endettement par habitant le plus élevé du monde. Le montant total de la dette interne et externe du gouvernement y est de 11,5 millions de dollars (plus de 6,5 milliards de Fcfa). Pendant ce temps, ses dirigeants se repaissent de l’argent du pétrole. Le procès de 37 anciens cadres supérieurs de la compagnie française Elf (devenue TotalElfFina puis Total) pour « abus de biens sociaux » a permis d’établir que le brut congolais était expressément sous-facturé. Une fraction du prix du baril était ensuite prélevée et, après quelques pérégrinations dans l’opaque système international, finissait sur des comptes off-shore des politiques congolais. Ce que « le peuple congolais sait de ce que reçoit (le) pays de l’or noir, c’est le prix du pétrole mesuré, non pas en barils ou en dollars, mais en souffrance, en misère, en guerres successives, en sang, en déplacements de populations, en exil, en chômage, en retard des salaires, en non-paiement des pensions », se plaignaient les chefs des églises congolaises, dans une lettre ouverte adressée au Président Sassou Nguesso en 2002. Comme le Cameroun, la République du Congo bénéficie aujourd’hui de l’initiative Pays pauvres très endettés (PPTE). A Paris, son président est l’objet d’une enquête judiciaire pour biens mal-acquis.
Angolagate
En Angola, où la mortalité infantile atteint un enfant sur quatre avant l’âge de cinq ans et où un million de personnes doit compter sur l’aide alimentaire internationale pour survivre, plus d’un milliard de dollars disparaîtrait des revenus pétroliers sans justification, depuis quinze ans. Les autorités helvétiques ont mis à l’index le président Dos Santons lui-même dans ce scandale. Pendant ce temps, le scandale de « l’Angola gate » a mis en lumière l’implication de politiques français dans le siphonage des recettes pétrolières de ce pays, via des contrats d’armement. Un de ces contrats conclu lors de la guère civile d’Angola concernait la faramineuse somme de 790 millions de dollars gagés sur les recettes futures du pétrole.
« Le roi » Obiang Nguema
La Guinée Equatoriale du président Teodoro Obiang Nguema qui a obtenu sa carte de membre des pays producteurs du pétrole au début des années 2000 a vite attiré le regard de la communauté internationale en matière de corruption. Alors que le pays est classé troisième producteur de l’Afrique sub-saharienne, le pétrole est avant tout une affaire du clan Obiang Nguema. Dès l’année 2004, alors que le pays vient de voir sa producteur monter à 360 000 barils / jour, une enquête du Sénat des Etats-Unis révèle que la Riggs Bank, une banque américaine reçoit la plupart des revenus du pétrole. Les sénateurs expliquent qu’au moins 35 millions de dollars ont été détournés par Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, sa famille et de hauts responsables de son régime. Une accusation vite démentie par le principal mis en cause. Cependant, la Riggs Bank aurait servi d’interface financière à l’achat, pour le compte de la famille présidentielle, de résidences évaluées à plusieurs millions de dollars. Pendant ce temps, la grande majorité des Equato-guinéens croupit sous la misère, en dépit d’une augmentation exponentielle du PIB et d’une croissance à deux chiffres.
L’indispensable transparence dans les transactions
Global Witness a plaidé pour plus de transparence dans les transactions financières entre les multinationales et les Etats. L’ONG a lancé un appel en direction des agences de crédit à l’exportation, des organismes bilatéraux et multilatéraux, des banques et des institutions financières internationales comme la Banque mondiale pour qu’ils observent cette nécessaire clarté dans leurs rapports avec les pays africains producteurs de pétrole.
Le Ghana dont la production devrait s’accroître avec la mise en exploitation l’année prochaine des gisements d’Owo et de Tweneboa a décidé de s’inscrire dans cette logique de bonne gouvernance. A condition que ses politiques résistent à la tentation.