D’importantes réserves de pétrole ont été récemment découvertes au Ghana. Un véritable jackpot, dirait-on. Cela n’a pas manqué de susciter de multiples discussions dans les cercles tant académiques que politiques. Si le pétrole peut être une bonne nouvelle, il peut aussi s’avérer devenir une « malédiction des ressources ». Qu’en sera-t-il au Ghana ?
Primo, le pétrole ghanéen pourrait permettre d’éviter certaines crises et faciliter les affaires. Du fait de sa forte spécialisation, le Ghana fut terriblement affecté par une dégradation des termes de l’échange qui a commencé en 1999 et qui s’est intensifiée en 2000, à travers à la fois la chute du prix du cacao et l’augmentation du prix du pétrole. Le pays fut plongé dans une crise économique. Avoir son propre pétrole réduit donc les canaux de transmission par lesquels une crise venue d’ailleurs pourrait affecter négativement le pays, mais aussi rend disponible les devises dont le secteur privé par exemple a besoin.
De la manne pétrolière…
Secundo, le pétrole pourrait booster la croissance. Le pays connut une croissance par habitant de 1,8% entre 1984 et 2008. Si ce même taux se maintient, toutes chose restant égales par ailleurs, le revenu par habitant d’un ghanéen ne doublera qu’en 2048 pour arriver à 2640$. Il faudrait un taux de croissance per capita de 7% pour que le revenu par habitant double d’ici 2020. Or, le programme Vision 2020 vise le revenu intermédiaire pour un ghanéen moyen en 2020, soit un revenu moyen par habitant de 6440,5$ : il faudrait un miracle pour que le Ghana croisse à un taux exponentiel à deux chiffres à l’horizon 2020. La manne pétrolière pourrait dans ce contexte constituer un coup de fouet important.
Tertio, le pétrole est un moyen d’éviter l’endettement. Selon une étude récente de Harald Finger et Azim Sadikov, il existe trois grands moyens (ressources pétrolières, restructuration et croissance économique associée à des mesures d’ajustement budgétaire nationales) pour opérer les réductions les plus importantes de la dette. Et de tous les trois, les ressources pétrolières se sont révélées les plus efficaces. A cause d’une amélioration sensible des termes moyens de l’échange, les exportateurs de pétrole ont vu leurs soldes financiers primaires augmenter plus que les non exportateurs puisqu’un cours du pétrole élevé augmente les recettes budgétaires, et fait baisser davantage leur endettement. Donc, avec un peu de discipline, qui manque à certaines nations exportatrices de pétrole, le Ghana trouverait ici une arme intéressante.
… à la malédiction des ressources
Quarto, on ne peut cependant pas échapper au fameux problème de la « malédiction des ressources naturelles » et de la démocratie en Afrique. Récemment, The Economist suggérait de relativiser les performances démocratiques du Ghana, et ce à cause de son passé. D’autres analystes brandissent la relation entre les pays africains et le pétrole : ce dernier a été une pesanteur dans la marche vers la démocratie – en particulier pour l’Angola, le Nigeria, la Guinée équatoriale et le Soudan. Selon Freedom House, aucun pays africain exportateur de pétrole n’est libre.
Dans leur article «International Commodity Price Shocks, Democracy, and External Debt», Rabah Arezki et Markus Brückner concluent qu’il existe une différence significative dans la gestion de hausses de prix entre les démocraties et les autocraties. Dans les pays autocratiques, avec absence de responsabilité et où les gouvernants ne sont pas ou peu contraints de rendre des comptes, les recettes inattendues, dues à l’amélioration des termes d’échange, ne servent pas à réduire la dette extérieure. En outre, ces pays connaissent une hausse du risque de défaut de paiement quand la manne disparaît. Cela est simple à comprendre : l’argent généré par la manne sert davantage à garnir, in fine, les comptes privés des dirigeants. Cet accaparement induit naturellement une mauvaise allocation des ressources. En conséquence, on constate d’une part que le PIB réel par habitant n’augmente pas pendant les périodes de flambée des prix des produits de base et, d’autre part, une dégradation de l’état de droit. Tout le contraire de ce qui se passe dans les pays démocratiques.
Le Ghana tiendra-t-il le choc ?
Certes, le Ghana a relativement ralenti dans sa marche vers plus d’institutions formelles efficaces que sous Jerry Rawlings, comme en témoignent quelques indicateurs institutionnels, mais l’espoir semble être permis. De 2004 à 2010, le pays de Nkrumah n’a enregistré, selon l’Indice de perception de la corruption, que 0,5 point, soit 3,6 à 4,1 sur une échelle de 0 à 10. Alors qu’entre 1983 à 1990, le pays avait gagné 3 points sur une échelle de 0 à 6. Cette note de 4,1 reste supérieure à la moyenne africaine mais inférieure à celle des pays ne souffrant pas de la « malédiction de ressources naturelles » alors qu’ils sont producteurs et exportateurs du pétrole. Il reste cependant un des pays africains les mieux positionnés en termes de démocratie et de liberté économique. En 2010, l’indice de démocratie de l’Economist Intelligence Unit le place en 77ème position sur 167, avec une note de 6,02 sur 10 ; il était, en 2008, 94ème avec une note de 5,35 sur les mêmes échelles. En matière de liberté économique, selon l’indice de Heritage Foundation et du Wall Street Journal, il est à la 87ème position sur 179 pays au niveau mondial et 8ème sur 46 en Afrique subsaharienne. Et le pays vient de gagner dix places en termes de facilité des affaires entre 2010 et 2011 (67ème sur 183 au niveau mondial et 5ème au Sud du Sahara en 2010 selon le Doing Bussiness).
Le Ghana se trouve ainsi à la croisée des chemins. Va-t-il se comporter comme les autocraties ou est-il réellement devenu un pays démocratique ? La gestion de son pétrole nous donnera le verdict. En conséquence, le pétrole ghanéen sera peut-être un jackpot mais surtout un véritable test pour le pays.
Oasis Kodila Tedika est analyste sur UnMondeLibre.org.