Lanciné Camara vient de lancer la pétition « Appel africain à l’Union européenne ». Une pétition qui a notamment pour but de faire cesser le soutien du chef de l’Etat français, Jacques Chirac, à « certains dictateurs » africains. Le directeur de publication du Devoir Africain et président de l’Union internationale des journalistes africains revient sur le pourquoi de son initiative et sur ses attentes.
« Soigner efficacement le paludisme politique savamment entretenu par le ‘docteur Chirac’ ». C’est le but de la pétition « Appel africain à l’Union européenne », destinée à mettre la France en face de ses responsabilités : « Le Président Chirac, en soutenant certains dictateurs, encourage l’appauvrissement de bon nombre de pays africains et, du même coup, permet à l’extrême droite et à M. Le Pen de semer la confusion en faisant croire que ceux qui fuient les régimes de terreur du Togo, du Congo-Brazzaville, etc., pour se réfugier en France sont des ‘envahisseurs’ », peut-on lire sur le texte initial, qui devrait bientôt être diffusé à l’échelle mondiale. Explications de Lanciné Camara, père de l’initiative, ainsi que directeur de publication du Devoir Africain et président de l’Union internationale des journalistes africains.
Afrik.com : Avez-vous rédigé seul la pétition ?
Lanciné Camara : J’ai écrit le texte initial et Jacques Chimenade, journaliste Solidarité et Progrès et Nouvelle Solidarité, m’a aidé à apporter des ajustements.
Afrik.com : A qui avez-vous déjà envoyé la pétition ?
Lanciné Camara : Nous l’avons envoyée aux parlementaires européens de Strasbourg (France, ndlr) et Bruxelles (Belgique, ndlr). En France, nous avons envoyé la pétition à des partis politiques : le parti communiste, le parti socialiste, à certains membres de l’Union pour la majorité présidentielle (UMP, au pouvoir) et au Front national (extrême-droite). Les plus grands médias français ont aussi dû en recevoir une copie, de même que quelques organisations, comme la Fédération des travailleurs d’Afrique noire immigrés. Pour le moment, nous ne l’avons pas envoyée au Président Chirac. Je pense qu’il lit la presse et qu’il finira bien par l’apprendre…
Afrik.com : Dans le texte initial, vous faites allusion à des « dictateurs » africains. Quels sont-ils ?
Lanciné Camara : Je ne peux pas les citer tous, mais il y a Faure Gnassingbé (Togo), Denis Sassou Nguesso (Congo), Lansana Conté, Azali Assoumani (Comores) ou encore Robert Mugabe (Zimbabwe).
Afrik.com : Comment qualifieriez-vous l’attitude du Président Chirac face aux « dictateurs » africains que vous dénoncez ?
Lanciné Camara : C’est une attitude de complaisance et de complicité. Le fait qu’il félicite Faure Gnassingbé pour son élection témoigne du soutien qu’il a toujours apporté à son père décédé, dont il a toujours dit qu’il était son ami. C’est une manière de soutenir un régime abominable qui s’est rendu coupable de crimes graves. Pour ce qui est de l’affaire du Beach au Congo, le gouvernement français, pour conserver de bons rapports avec le Président Sassou Nguesso, qu’il fait passer pour un très grand patriote, classe les dossiers, alors qu’ils sont de véritables crimes contre l’humanité. Le Président Chirac développe une politique de mafia qui ne dit pas son nom. Il tient un double langage, à la limite de la manipulation. Le Président Chirac n’est pas le seul à avoir une attitude condamnable. Il y a toujours, dans les pays européens, beaucoup de gens qui soutiennent, directement ou indirectement, les dictateurs.
Afrik.com : Qu’attendez-vous de cette pétition ?
Lanciné Camara : Nous demandons un arrêt total des ventes d’armes aux pays pauvres. Les armes qui ont été vendues au Liberia, Sierra Leone et maintenant au Togo, et entre temps en Côte d’Ivoire, ne servent qu’à ce que les populations s’entre-tuent. Nous demandons aussi que les dictateurs africains qui ne font rien pour leur pays soient balayés.
Afrik.com : Quelle aide pourrait vous apporter l’Europe ?
Lanciné Camara : L’Europe peut nous aider à sensibiliser sur ces points. Elle est une voix qui compte beaucoup, c’est pourquoi nous nous tournons vers elle en priorité, avant de nous tourner vers le Japon ou les Etats-Unis. Si elle pénalisait les pays qui fournissent des armes, si elle donnait l’exemple, les Etats-Unis ou le Japon pourraient marcher dans ses traces. Comment l’Europe pourrait-elle plaider pour la paix si cette paix se base sur la destruction d’autres pays ? Comment l’Europe pourrait-elle accepter en son sein la France, si elle cautionne un régime qui pratique tout le contraire de ce que l’Union prône ?
Afrik.com : Qu’allez-vous faire si la pétition ne change rien ?
Lanciné Camara : Si dans six mois le comportement de Jacques Chirac ne s’est pas amélioré, ne s’est pas modéré, s’il n’y a pas de retour au bon sens, nous appellerons la masse et les journalistes français à se rendre directement avec nous à l’Elysée. Là, nous exigerons de voir le Président. Au niveau de l’Europe, si les choses ne changent pas, nous établirons et diffuserons, là aussi dans six mois, une liste de tous ceux qui déstabilisent l’Afrique et la pillent de ses matières premières.
Afrik.com : Vous faites aussi allusion au vote de la constitution européenne qui sera soumise au peuple français par référendum le 29 mai prochain. Pensez-vous que le « oui » ou le « non » aura une incidence sur le comportement du Président Chirac ?
Lanciné Camara : Nous ne sommes ni pour le « oui », ni pour le « non ». Si l’un ou l’autre choix peut sauver l’Afrique, alors c’est l’option que nous choisirons. Mais si le « oui » l’emporte en France, celui de Jacques Chirac n’aura aucune valeur s’il poursuit dans la voie dans laquelle il est engagé.
Afrik.com : Dans le texte initial de la pétition, vous écrivez que Jean-Marie Le Pen, à la tête du Front national, transforme ceux qui fuient leur pays en guerre en « envahisseurs ». Que faut-il faire pour cesser l’arrivée de réfugiés ?
Lanciné Camara : Tant qu’il y aura la guerre, les gens seront obligés de fuir les régimes fascistes de leur pays pour se réfugier en France. Si la France veut moins d’étrangers, elle doit soutenir la paix et le progrès.