Petite sociologie du tribalisme


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Le tribalisme est une péjoration de l’ethnie. Si les tribus n’existaient pas, le tribalisme n’existerait pas non plus. Tout ce qui distingue est sujet à caricature ainsi es Bamilékés aiment-ils l’argent au mépris du confort le plus élémentaire ; les douala sont vantards ; les hommes bulu sont des tire-au-flanc, les femmes bassas sont invariablement celles qui survivent à leur conjoint, les eton sont alcooliques et vindicatifs, etc.

Les stéréotypes évidemment ne sont pas toujours négatifs, en tout cas ils ne constituent absolument pas le tribalisme, ni son terreau. Au vrai, le tribalisme n’est pas, au Cameroun, une affection maligne. Il y a moins de tribalisme sur place que de racisme en France, en Allemagne, aux Etats-Unis d’Amérique ou ailleurs.

Fru Ndi, l’opposant anglophone, a obtenu en 1992 bien plus de voix que n’en disposait cette partie-là du pays. N’étaient les fraudes il aurait pu être président de la république ; Ahidjo a été craint, mais aussi aimé en son temps, il était du Nord. Les leaders de la partie méridionale du pays l’avaient préféré au détriment d’André-Marie Mbida, originaire du Sud.

Le bikutsi se danse au Nord aussi bien qu’à l’ouest. Il y a toujours un seuil supportable de tribalisme en deçà duquel nous sommes encore, ceux qui tirent sur cette corde le font faute d’arguments valables pour légitimer leurs échecs ou leur ambition. L’on ne peut pas nier aussi que, placé à un poste de responsabilité, (presque) tout camerounais a pour réflexe de s’entourer d’abord des siens : cela repose davantage sur un système de préférences personnelles (obligations morales ?) plutôt qu’une haine systématisée de l’autre, il s’agit de préjugés banals davantage qu’un endoctrinement formalisé, d’ethnocentrisme plus que de tribalisme. Dans notre mosaïque culturelle et linguistique, qui compte plus de deux cent ethnies, être tribaliste signifie très exactement être fou.

Qu’est-ce que c’est d’être Bamiléké ? Pourquoi le devenir ?

Nier la prédominance bamiléké dans les milieux es affaires, ce serait comme nier la prééminence des bétis (gentiment appelés nkwa par certains bamiléké qui les trouvent fainéants, profiteurs, assoiffés de pouvoir, alcooliques, désorganisés etc.) dans la fonction publique et la haute administration.

Pour autant il serait périlleux d’en tirer des conclusions hâtives sur l’esprit d’entreprise des uns et l’esprit de paresse des autres. Les bamilékés sont partout, cela s’entend, leurs chefferies traditionnelles d’essence totalitaire sont aujourd’hui appréciées comme des curiosités culturelles enrichissant notre « folklore ». Dans les affaires, ils ont les plus grandes quincailleries, contrôlent la presse et la télévision, les transports, les plus grandes écoles et universités privées, des usines, des plantations que justifient des terres fertiles et un peuple qui ne rechigne pas à la besogne, les tontines, les réseaux d’immigration, si l’on parlait au Cameroun de l’émergence d’une classe bourgeoise, cette classe aurait un nom : les bamilékés. Tout a été dit sur eux, y compris par eux-mêmes. Leur dynamisme a été soutenu par les premières administrations camerounaises à coup d’exemptions fiscales et douanières ou de caution à des emprunts bancaires, au lendemain des indépendances.

Certains acteurs avaient parlé de pacification. Les autorités voulaient sans doute réparer les massacres qui avaient été perpétrés contre les ressortissants bamilékés entrés dans le maquis, bien avant les indépendances et considérés par nos maîtres d’alors comme un handicap. « Le Cameroun s’engage sur les chemins de l’indépendance avec, dans sa chaussure, un caillou bien gênant. Ce caillou, c’est la présence d’une minorité ethnique : les Bamiléké » avait dit le colonel Lamberton (les bamilékés dans le Cameroun d’aujourd’hui, Revue de la Défense National, Paris, Mars 1960, pp 161-177), celui-là même qui avait également dit à propos d’autres Camerounais qu’il convenait de « corriger la mentalité revendicatrice et l’esprit individualiste (orgueil et égoïsme) du Bassa ».

Ce qu’il y a de curieux dans l’histoire, c’est de voir régulièrement certains agitateurs descendre en flammes ceux qui nous gouvernent, en appelant au secours l’ancienne puissance colonisatrice, à laquelle on doit pourtant, avant tout partage des responsabilités, un certain esprit de tribalisme et cette tendance à la surinterprétation des faits sociaux sous le prisme ethnique. Plus tard, les Camerounais eux-mêmes ont pris part à ce mouvement de stigmatisation, en consacrant l’autochtonie sur fond de craintes phobiques exprimés par les Pahouins et de vieux contentieux coloniaux agités par les bamilékés. Au-delà de la mythologie qui se construit, qui sont en réalité ces bamilékés ?

Engelbert Mveng pensait que ce qui caractérise ce peuple « c’est à la fois une ardeur au travail qui ne compte guère beaucoup de concurrents sous les tropiques, un esprit d’économie et de prévoyance qui ne va pas sans une certaine âpreté au gain, une intelligence pratique rare, un individualisme qui s’allie paradoxalement à une vie communautaire sans fissure ». En fait, ajoute le professeur Jean-Baptiste Onana « l’éthonyme désigne les populations semi-bantou qui peuplent majoritairement les hauts plateaux de l’Ouest camerounais. Au-delà de leur unité culturelle, il s’agit en réalité d’un agglomérat de peuples apparentés qui s’expriment dans de multiples dialectes, tout en affirmant chaque fois une identité spécifique, distincte de celle qui leur est commune ».

L’enseignant résume parfaitement la présentation que nous en faisons, mais conclue un peu maladroitement qu’on devait dire « les peuples bamiléké ».

LA LETTRE (les éléments de langage) ET LA LOI (la constitution)

S’il y a un seul peuple camerounais, comment pourrait-il y avoir plusieurs peuples bamiléké ?

N’osant plus dire peuplades, on opte pour populations, toujours au pluriel. Pourquoi ne parle-t-on pas de la population du Cameroun, mais des populations, comme en témoigne l’union des populations du Cameroun (UPC)? Il y a dans l’usage du pluriel une arrière-pensée ségrégationniste, une population est un ensemble de personnes habitant un territoire donné, en introduisant le « s », on a le sentiment d’assister à un renvoi analogique aux peuplades, aux tribus, aux ethnies, qui elles sont toujours plurielles dans notre contexte. Parle-t-on de populations américaines, françaises, égyptiennes,chinoises… ?

Pour protéger les minorités, les Camerounais ont inventé une solution fort controversée : l’autochtonie, une forme de ségrégation territoriale. Dans un pays qui en réalité n’est qu’une addition de minorités que soude entre elles le sentiment de leur spécificité en Afrique, un pays où l’autochtonie est un statut juridique aux contours flous, ce concept attise les maladies de tribalité.

A la limite, il n’existe qu’une seule minorité, qui a par ailleurs le privilège unique de pouvoir se déclarer autochtone, c’est la minorité pygmée ; à l’extrême rigueur l’autre minorité est la minorité anglophone, d’où l’importance de n’avoir qu’une seule langue officielle, puisque c’est leur langue, celle de leurs anciens maîtres, qui les met en minorité.

EN FIN DE COMPTE

En fait de sociologie, c’est à une apologie de la société camerounaise, de sa diversité et de sa richesse que nous avons tendu. Nous appelons de nos vœux l’avènement d’une société nouvelle, plus morale, plus dynamique, moins essentialiste et moins ethnocentrée.

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