Patrice Lumumba passe pour le saint patron qui confère la légitimité du pouvoir aux chefs d’Etats congolais. A dix-sept mois des élections, Joseph Kabila est allé, à Lubumbashi, se recueillir sur les lieux du martyre de l’ancien Premier ministre. On ne prend jamais assez de précautions.
Par Octave Kambale Juakali
L’assassinat de Patrice Lumumba, le premier Premier ministre de la république démocratique du Congo a toujours constitué un tabou politique dont il est mal indiqué de débattre. Aussi la décision du président Joseph Kabila d’aller passer les journées du 16 et 17 janvier à Lubumbashi est-elle commentée de diverses façons dans l’opinion congolaise. Le 16 janvier marquait le troisième anniversaire de l’assassinat de Laurent Désiré Kabila et le 17 janvier le 43e anniversaire de l’assassinat de Patrice Lumumba. Le hasard a fait que, sur le plan politique, le destin des deux hommes soit plus ou moins lié. Ne fut-ce que par l’assassinat alors qu’ils étaient en fonction.
Patrice Lumumba avait été proclamé héros national sous Mobutu qui avait besoin de ce tremplin pour son ascension politique. De même, Laurent Désiré Kabila a également été proclamé héros national sitôt après sa mort, en pleine guerre, dans une République divisée. Les deux journées commémoratives ont été célébrées officiellement en dépit des protestations et de la mauvaise humeur des ex-rebelles qui avaient combattu Kabila-père. Azarias Ruberwa, vice-président de la République et secrétaire général du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), le plus important mouvement rebelle qui a combattu Laurent Désiré Kabila ne s’est, en effet, pas rendu, comme ses collègues vice-présidents de la république, à l’une ou l’autre des messes d’actions de grâce dites à cet effet dans les différentes églises de la capitale. « Logique pour logique, il est difficile que le RCD ait une quelconque vénération à l’endroit d’un monsieur qui l’a combattu quatre années durant a déclaré un député de l’opposition qui a requis l’anonymat. De là à lui contester la qualité de héros national, il n’y a qu’un pas ».
Pèlerinage au Katanga
Après les cérémonies religieuses à la mémoire de la mort de son père, Joseph Kabila a tenu à faire une sorte de pèlerinage sur les lieux présumés du martyre de Patrice Lumumba et de ses compagnons d’infortune, Joseph Okito et Maurice Mpolo, en janvier 1961. Ces lieux, notamment la maison où les suppliciés furent enfermés avant le drame, non loin de l’aéroport de la Luano à Lubumbashi vont être proclamés patrimoine de l’histoire nationale et un mémorial dédié à Lumumba sera construit sur place. Joseph Kabila a réussi à faire ce qu’aucun de ses prédécesseurs, même pas son père, n’avait tenté : rouvrir officiellement le dossier de l’assassinat de Patrice Lumumba.
Le geste est assez osé dans la mesure où il pourrait faire hérisser des poils en Belgique où, en principe, se trouve la clé du secret de la mort de Lumumba. A moins que, comme cela se murmure dans certaines chaumières politiques, ce ne soit là qu’un coup électoraliste dans la perspective des élections prévues pour juin 2005. « Cela ne doit étonner personne que Joseph Kabila utilise Lumumba en cette période électorale, estime Julien Mkyoba, journaliste. Dans dix-sept mois, il y a les élections et le président de la République est candidat à sa succession. Qu’il ait eu l’idée d’aller se recueillir sur les lieux du martyre de Lumumba est de bonne guerre car il est sûr d’attirer à lui la sympathie des Congolais qui se réclament encore de Lumumba ».
Joseph Kabila a-t-il été inspiré par le discours de son homologue sudafricain lors de sa visite d’Etat à Kinshasa, les 13 et 14 janvier derniers ? En effet, dans une séance académique devant les parlementaires congolais, Thabo Mbeki n’a cessé de parler de l’héritage de Lumumba que les Congolais ont gâché. « Avec Lumumba, disait-il, le Congo est devenu le phare de l’histoire, source de la renaissance africaine. Ne perdez pas cet idéal ». Le message semble vite passé.