Les infirmières bulgares et le médecin palestinien accusés d’avoir contaminé 426 enfants avec le virus du sida, en Libye, ont été condamnés à mort ce mardi. Leur avocat a annoncé qu’ils allaient faire appel. La communauté internationale s’était mobilisée depuis la nouvelle procédure judiciaire, enclenchée en mai 2006, pour dénoncer un procès kafkaïen devenu au fil des années l’enjeu d’une bataille diplomatique.
Mardi matin, la justice libyenne a condamné à mort les cinq infirmières bulgares et le médecin palestinien accusés d’avoir sciemment inoculé le virus du sida à 426 enfants, en 1998, à l’hôpital Al Fateh de Benghazi. L’un de leurs avocats, Othman Bizanti, a indiqué qu’ils allaient faire appel de la décision devant la Cour suprême. « Probablement des responsables libyens pensent-ils avoir réussi quelque chose : avoir montré de la fermeté. Mais à l’évidence, pour l’ensemble de l’opinion publique internationale, cela montre une seule chose : que ce procès n’a été ni juste, ni équitable et que tous les éléments qui prouvaient l’innocence des infirmières n’ont pas été pris en compte », a déclaré mardi Emmanuel Altit, avocat français des accusés.
Ce que confirme Luis Martinez, chercheur au Ceri (Centre d’étude des relations internationales de Science Po) et spécialiste de la Libye. Pour lui, la décision est « conforme à la juridiction libyenne. Dès l’instant où le procès n’a pas été ouvert et où la défense n’a pas été en mesure d’être assurée normalement, il n’y avait pas de quoi changer l’avis de la Cour », explique-t-il.
Chejana Dimitrova, Nasya Nenova, Valentina Siropolu, Christiana Valcheva, Valia Tcherveniachka et d’Achraf Alhajouj clament leur innocence depuis 1999, date à laquelle ils ont été emprisonnés. En février 2004, ils ont même affirmé à Amnesty International avoir fait des aveux sous la torture. Quatre mois plus tard, la justice les condamnait une première fois à la peine capitale. Leur appel, accepté par la Cour suprême, a donné lieu à une nouvelle procédure en 2006. Depuis, la communauté internationale scientifique s’est mobilisée pour dénoncer un procès kafkaïen.
Les preuves scientifiques
En 2003, la justice libyenne avait demandé un rapport sur les causes des infections au professeur Luc Montagnier, codécouvreur du virus du sida, et au microbiologiste italien Vittorio Colizzi. Il concluait au manque d’hygiène et à la négligence au sein de l’hôpital pour enfants de Benghazi, des seringues ayant notamment été utilisées à plusieurs reprises. Mais leurs conclusions n’avaient pas tardées à être contredites par des experts locaux, selon lesquels la souche retrouvée était inconnue dans la région. Une affirmation à son tour démentie en octobre dernier dans la revue Nature par un chercheur de l’université d’Oxford.
Début novembre, 114 Prix Nobel ont adressé une lettre ouverte au « Guide » de la Jamahiriya, le colonel Mouammar Kadhafi, pour plaider la cause des accusés. Ils rappelaient notamment qu’« aucune preuve indépendante et scientifique émanant d’experts internationaux n’a pu être utilisée devant la cour » – les demandes d’expertises internationales de la défense ont été rejetées. Ils insistaient également sur le fait que l’infection au sein de l’hôpital « avait commencé avant l’arrivée des infirmières et du médecin », en mars 1998. Ce qu’une analyse moléculaire réalisée par des experts et publiée début décembre dans la revue Nature a démontré.
« La Libye ne se sent pas menacée par l’Union européenne »
Trop tard, le procès « des infirmières bulgares » est déjà devenu l’enjeu d’une bataille diplomatique entre la Libye, pourtant décidée à sortir d’une longue période d’isolement, et les délégations européennes, bulgares ou françaises, qui se succèdent à Tripoli. Pour libérer les prisonniers, Tripoli aurait depuis quelques mois commencé à négocier une compensation financière pour indemniser les familles des enfants malades, dont une cinquantaine sont déjà décédés. La somme réclamée serait équivalente à celle versée par la Libye aux familles des victimes des attentats de Lockerbie et du DC 10 d’UTA.
« Les Libyens ne veulent pas lâcher comme ça. Ils sont maintenant dans une situation de force, estime Luis Martinez. Ils ne se sentent pas du tout menacés par l’Union européenne, que la Bulgarie vient d’intégrer et qui est complètement désunie sur la question de la Libye. Reste à savoir s’ils iront jusqu’à commettre ce qu’il faut bien appeler un assassinat. » Mouammar Kadhafi chercherait-il par ailleurs à tirer la couverture à lui en graciant les accusés ? L’hypothèse est crédible, estime le chercheur français, même si le « Guide » devrait alors veiller à ce qu’un tel geste « n’apparaisse pas comme un recul devant les pressions internationales ».
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Droits photo : Ensemble contre la peine de mort