A la veille de la reprise des négociations euro-méditéranéennes sur la pêche, le chef de la délégation de l’UE fait le point des désaccords subsistant entre l’Europe et le Maroc. Edward Spencer rappelle qu’aucun bateau européen ne navigue dans la zone actuellement.
» Tu m’aides à développer mes infrastructures, je t’autorise à venir pêcher chez moi « . Tel est grossièrement, l’accord entre l’Union Européenne et le Maroc. Accord rompu. Question de temps et de gros sous : le Maroc n’entend pas attendre que ses ressources soient épuisées pour développer ses infrastructures propres. L’Europe se refuse à réduire drastiquement sa flotte craignant une facture sociale trop… salée. Interview du négociateur à Bruxelles, Edward John Spencer, à la veille du prochain round de négociations.
M. Edward Spencer est chef d’Unité Atlantique Centre/Est, Méditerranée et Antarctique à la Direction générale de la pêche au sein de la Commission Européenne. A ce titre, il est l’homme des négociations pêche entre le Maroc et l’Union Européenne. Plus aucun bateau communautaire n’est en effet présent dans les eaux marocaines depuis que le royaume a décidé de ne pas renouveler l’accord de coopération qui le liait à l’Europe.
Si les négociations sont aussi dures, c’est qu’elles vont au-delà d’un simple accord commercial. Car la collaboration en matière de pêche entre Rabat et Bruxelles est la pierre angulaire d’un vaste plan de coopération et de développement des potentiels de la rive sud, dont il appartient à chacune des parties d’en fixer les modalités. Pas simple.
Afrik : Les négociations sur la pêche entre l’Union européennes et le Maroc ont encore été repoussées au 12 décembre. Pourquoi ces tractations sont-elles aussi dures ?
Edward Spencer : Les négociations n’ont pas été repoussées. Bien au contraire. Les rythme des négociations sur ce dossier très complexe est très intense afin de gagner du temps. Désormais chacun va faire ses propositions et nous allons voir quelle est la flexibilité des deux parties. Voilà ce qu’il va se passer demain. J’ai personnellement participé à trois négociations avec nos amis Marocains en 1991, 1994, 1995, et je peux vous assurer que les discussions étaient également difficiles.
Afrik : Peut-être, mais vous aviez signé. Aujourd’hui qu’est-ce qui coince ?
E.S. : Nos interlocuteurs marocains sont très sensibles au maintien des ressources halieutiques. Ils veulent développer le secteur de la pêche nationale tout en préservant ce patrimoine. Selon les études officielles que nous possédons sur l’année 1999, les bateaux de l’UE ne représentent que 17% du total des prises. Aujourd’hui, le Maroc invoque encore la surexploitation alors que plus un seul bateau de l’Union ne navigue dans les eaux territoriales de Rabat. Les mêmes documents indiquent que dans la même période les Marocains ont augmenté sensiblement leurs prises.
Afrik : C’est donc un conflit de diagnostic qui vous oppose aux Marocains ?
E.S. : Nos partenaires détiennent des analyses scientifiques propres que nous ne possédons pas, effectivement.
Afrik : Les leur avez-vous réclamées ?
E.S. : Oui. Mais nous avons préféré ne pas insister. Ces analyses scientifiques leur appartiennent. De toute façon, même dans les évaluations des Marocains, les stocks de crevette et de merlu sont stables. Donc, les eaux marocaines où les bateaux de l’UE, je le rappelle, ne naviguent plus, ne sont pas surexploitées.
Afrik : Quelle est selon vous la vraie raison de cette crispation ?
E.S. : Les accords de pêche avec le Maroc se situent dans un contexte plus large de politique d’aide au développement des pays du Maghreb, dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen. L’enjeu, c’est de se mettre d’accord sur les modalités de cette coopération. L’entrée des bateaux européens, principalement Espagnols et Portugais, dans les eaux marocaines est conditionnée à une politique d’aide au développement. L’ancien accord prévoyait 125 millions d’Euros par an durant cinq années, d’aide au développement du secteur pour le Maroc. En échange, le Maroc acceptait la présence de plus de 500 navires communautaires. Aujourd’hui Rabat veut faire passer ce nombre en dessous de 200 en deux ans. Pour nous c’est trop court, tant pour développer les pêcheries côtières au Maroc que pour réduire de façon aussi drastique nos pêcheries industrielles et engager les plans de reconversion adéquats. Nous ne pouvons pas réduire les ¾ de notre présence dans les eaux territoriales en 24 mois et, dans le même temps nous lancer dans des financements ambitieux comme la construction de nouvelles infrastructures portuaires ou de chaîne du froid.
Afrik : Qui dit baisse plus rapide de la présence des bateaux européens, dit aussi hausse des aides dans les mêmes proportions ? C’est ce que souhaitent aussi les Marocains ?
E.S. : Hum… Le montant de l’aide au Maroc est décidé politiquement. On n’en change pas le montant aussi facilement. D’autant qu’au Conseil de l’UE, certains Etats poussent à un équilibre entre les coûts des aides et les bénéfices qu’elles apportent.