Les ressources halieutiques sénégalaises sont en danger. Les bateaux européens n’hésitent pas à adopter la nationalité sénégalaise pour piller, à l’instar des nationaux, les précieuses eaux du pays. Des pratiques qui pourraient compromettre à terme tout un pan de l’économie sénégalaise.
Situation paradoxale pour la pêche sénégalaise. Les eaux territoriales particulièrement poissonneuses voient leurs ressources halieutiques se raréfier dangereusement. Les mesures destinées à protéger la pêche nationale d’une concurrence étrangère sont en passe de se retourner contre elle. Les agents chargés de veiller à la préservation des ressources n’ont pas les moyens d’assurer leur mission…
Autant de sujets de préoccupation pour le Syntopm ( Syndicat national des travailleurs de l’océanographie et de la pêche maritime) qui tient opportunément à faire entendre sa voix, au moment même où le Sénégal négocie âprement un nouvel accord de pêche avec l’Union européenne. Son secrétaire général, Bassirou Diarra, a vivement dénoncé au cours d’une conférence de presse, » des pratiques de pêche non durables, irresponsables et irrationnelles « , qui représentent une réelle menace pour les potentialités du pays.
Des navires » naturalisés «
Dans la ligne de mire du syndicat, non pas d’abord les navires européens, mais les bateaux sénégalais eux-mêmes. Sous prétexte de coûts trop élevés, ceux-ci débarquent les observateurs chargés de surveiller la conformité des pratiques de pêche avec la licence. Ce qui leur permet, en toute impunité, de passer outre la réglementation sur le maillage qu’ils réduisent de 70 mm à 60 mm, et l’interdiction de pêcher dans les zones de reproduction. Contrairement aux navires sénégalais, les navires étrangers sont tenus à une réglementation rigoureuse : obligation d’embarquer des observateurs, de pêcher au-delà des 15 milles de la ligne de base (au lieu de 7 milles pour les nationaux) et d’avoir un maillage supérieur à 70 mm. Sans compter les frais de port et de licence supérieurs.
Dans ces conditions, la tentation est grande pour les navires européens d’adopter la nationalité sénégalaise. Et ils sont nombreux à franchir le pas. Un pavillon de complaisance qui les autorise à leur tour à contourner la législation. En 2000, 41 navires sur 48 arraisonnés pour infraction étaient sénégalais et en 2001, 53 sur 57. » Une proportion qui ne reflète pas la réalité, se hâte de préciser Bassirou Diarra, car nombre d’entre eux ont acquis cette nationalité. Ils conservent un capitaine étranger et exportent directement le poisson capturé sans création de valeur ajoutée pour le pays. » Ces pratiques se développent d’autant plus que les amendes pour infraction qui s’élèvent déjà à près d’un milliard de francs cfa ne sont pas acquittées et que les navires arraisonnés sont souvent relâchés sans sanction particulière.
Les observateurs laissés pour compte
Les observateurs sont les grands perdants de toutes ces manoeuvres. Recrutés par le ministère de la Pêche et formés par l’Ecole nationale de formation maritime, ils sont paradoxalement rémunérés par les armateurs. Ceux-là même qu’ils sont chargés de surveiller. Double raison pour eux de rechigner à leur présence à bord. Mais la précarité des observateurs ne s’arrête pas là. Payés seulement lorsqu’ils sont en mer – autant dire trois ou quatre mois par an – ils ne bénéficient d’aucune protection sociale. » Nous avons besoin d’un statut, déclare Bruno Joseph Basse, observateur. Nous devons être payés par le gouvernement et avoir un salaire mensuel plutôt que d’être rémunérés au coup par coup. Cela nous permettrait au moins d’être affiliés à l’Ipres (Institut de prévoyance et de retraite sénégalais). Nous voulons également des primes de risque, compte tenu des dangers de la mer et des relations parfois houleuses avec les commandants. Un de mes amis est porté disparu depuis plusieurs jours sans qu’on sache pourquoi… »
La fonction est donc mal reconnue alors que les observateurs constituent le seul rempart contre les abus et le maillon essentiel pour préserver la pêche au Sénégal. Un secteur important, premier à l’exportation, employant directement ou indirectement 60 000 personnes et représentant 2% du PIB (Produit Intérieur Brut). M. Thioub, directeur de la DPSP (Direction de la protection et de la surveillance des pêches) et employeur des observateurs, assure que le projet d’arrêté sur le statut des observateurs a recueilli un large consensus au sein du ministère de la Pêche. Reste à obtenir du ministère des Finances ou du ministère de la Fonction publique les fonds pour financer leur prise en charge. » Nous saisirons l’opportunité du prochain conseil interministériel pour faire valoir le projet, affirme M. Thioub. Mais c’est une question délicate. » Affaire à suivre.