Suite au meurtre du réalisateur néerlandais Theo Van Gogh, le 2 novembre, par un jeune Maroco-néerlandais, la situation se dégrade de jour en jour pour les communautés marocaine et musulmane des Pays-Bas. Le point avec Jamal El Kattabi, président de l’Association des Marocains aux Pays-Bas.
Theo Van Gogh, réalisateur néerlandais provocateur, connu pour ses positions anti-islam, a été poignardé dans une rue d’Amsterdam le 2 novembre dernier. Son meurtrier présumé est Mohammed Bouyeri, un jeune Maroco-néerlandais de 26 ans, proche d’un groupe d’islamistes intégristes. Cet assassinat fait le lit des thèses racistes et nationalistes de l’extrême-droite néerlandaise. Des deux côtés, c’est la radicalisation : plusieurs incendies de mosquées et d’églises ont eu lieu suite au meurtre. De son côté, la communauté marocaine, évaluée à 300 000 personnes (sur 16 millions d’habitants), se sent en danger. L’analyse de la situation, par Jamal El Kattabi, président de l’Association des Marocains aux Pays-Bas pour la défense des droits de l’Homme.
Qui est l’assassin présumé du réalisateur ?
Jamal El Kattabi : Mohammed Bouyeri est un Néerlandais, né aux Pays-Bas, et dont la famille est d’origine marocaine. Il s’agit d’un jeune de 26 ans, dont le parcours ne prédestinait aucunement à devenir extrémiste. Jusqu’à 23 ans, il mène une vie bien remplie comme les jeunes de sa génération. Sa mère meurt, son père tombe malade et une parente aurait plongé dans la débauche. Il aurait alors petit à petit basculé vers l’islamisme radical. En somme, le parcours type de certains terroristes impliqués dans des attentats un peu partout dans le monde.
Quelle est aujourd’hui la situation de la communauté marocaine aux Pays-Bas ?
Jamal El Kattabi : La situation est critique, surtout à Amsterdam où le réalisateur a été tué. La peur règne parmi les Marocains. Les regards des Néerlandais ont changé depuis cet assassinat. Le sentiment de rejet grandit par rapport à la communauté marocaine. Un récent sondage a montré que 80% des Néerlandais sont pour un durcissement de l’intervention de l’Etat au détriment des libertés individuelles. Ce qui est une première dans un pays où la liberté d’expression fait partie des traditions.
Comment les Néerlandais manifestent-ils ce sentiment de colère ?
Jamal El Kattabi : A l’heure actuelle, il n’y a pas eu de vraies manifestations de racisme, mais les agressions verbales sont courantes. La culture de l’extrémisme prend de l’ampleur. Les politiciens de droite en profitent pour pousser à plus de dureté dans le traitement des étrangers. Pour eux, l’assassinat du réalisateur Theo Van Gogh est la preuve qu’il faut opter pour « une politique de minorité » et non encourager l’intégration. Beaucoup utilisent un langage indécent et vont jusqu’à dire que « la culture musulmane est basée sur le meurtre et que les musulmans sont derrière la prolifération d’un terrorisme structurel » ! Les esprits sont chauffés par les médias aussi.
Les incendies de mosquées dans plusieurs villes montrent que le commanditaire est un groupe organisé…
Jamal El Kattabi : C’est vrai. C’est la première fois que ces incendies sont d’une telle ampleur. Il faut savoir aussi qu’après l’assassinat du réalisateur, le parti d’extrême droite a pour la première fois obtenu l’autorisation d’organiser une manifestation de protestation où il y avait, entre autres, des skin-heads. Il n’avait jamais eu cette autorisation auparavant, car la loi interdit toute manifestation publique qui prône la discrimination.
Et du côté de la communauté musulmane, comment se manifeste l’intolérance ?
Jamal El Kattabi : Les Pays-Bas abritent quelque 500 nationalités et ethnies. La communauté marocaine est toujours pionnière quand il s’agit de dénoncer ce qui se passe en Palestine ou en Irak. Je remarque aussi que certains Marocains essaient d’attiser cette intolérance car ils n’acceptent pas encore le concept de liberté dans la société néerlandaise. Dans les rues, certains critiquent la façon de s’habiller des femmes.
Quel est le poids des extrémistes islamistes aux Pays-Bas ?
Jamal El Kattabi : Ces groupes se trouvent dans toute l’Europe. Partout, il y a des personnes qui recrutent. Ils utilisent Internet, leur outil de communication de prédilection. Aux Pays-Bas, ceux qui n’ont pas de souci pour gagner leur vie se tournent vers la défense d’une cause particulière. Il y a beaucoup de mosquées aux Pays-Bas et elles se multiplient. Les imams font la prière en néerlandais pour les émigrés de deuxième génération. C’est justement cette population qui est la plus convoitée.
Quel est le profil des extrémistes ?
Jamal El Kattabi : Il y a beaucoup de jeunes dans ces groupes. La plupart sont nés aux Pays-Bas et y ont fait leurs études. Ils intègrent des organisations islamiques où l’on débat de la situation en Palestine et en Irak. Ces groupes se rassemblent librement car l’autorisation des autorités n’est pas obligatoire aux Pays-Bas. Ils louent des salles et organisent des rencontres.
À votre avis, quelle leçon tirer de ces incidents ?
Jamal El Kattabi : Nous avons dénoncé l’assassinat du réalisateur, même si nous ne sommes pas d’accord avec son langage provocateur à l’égard de l’islam. Je crois qu’il faut avoir un minimum de respect envers les autres. Je pense que le débat du futur portera sur les limites de la liberté d’expression chez toutes les composantes de la société néerlandaise. Les amis du réalisateur assassiné ont reconnu, dans un communiqué, qu’il fallait faire montre d’une plus grande compréhension des étrangers et de leurs attentes.
Par notre partenaire L’Economiste, propos recueillis par Nadia Lamlili