Le président camerounais, Paul Biya, fête ce mardi 6 novembre ses 30 ans au pouvoir. Il est devenu président, en 1982, en promettant l’émergence du pays. Six mandats plus tard, la population est pauvre, muselée et exclue du pouvoir socio-politique. Interview d’Idriss Linge, journaliste camerounais au Journal Du Cameroun qui publie ce même jour un dossier spécial sur cet anniversaire boudé par la grande majorité des Camerounais.
Afrik.com : Après 30 ans au pouvoir, quel est le bilan de Paul Biya ?
Idriss Linge : Les pays étrangers peuvent toujours souligner que Paul Biya a mis en place un cadre de paix au Cameroun, qu’il n’y a pas de conflit particulier dans le pays. Cependant, toute la population a peur de son ombre. La contestation est encadrée, réprimée, et la colère est majoritairement partagée. Le pouvoir semble hostile à l’émergence de toute manifestation populaire. Il opère de fortes et permanentes intimidations. Sur le plan économique, le Cameroun connaît bien sûr la crise qui n’est pas seulement liée au contexte international, mais également aux programmes structurels du gouvernement. L’administration, inefficiente, n’a aucune crédibilité. De 1982 à 2012, il y a eu près de 9000 milliards de budget d’investissement environ soit 300 milliards par an environ de budget pour aucune infrastructure d’envergure. Même les hommes d’affaires sont corrompus. En fait une minorité au pouvoir a tout verrouillé et défini les règles de la promotion sociale.
Afrik.com : Comment Paul Biya a-t-il pu rester trois décennies au pouvoir ?
Idriss Linge : Grâce notamment à l’achat des acteurs et organes de la contestation. Très souvent, certains membre du gouvernement sont accusés de payer des médias de la presse privée pour soutenir et défendre le régime. Pour aboutir à l’alternance, il faut que les jeux politiques soient ouverts. Or, la Constitution est verrouillée, les modalités d’organisation des élections ne sont pas indépendantes. La Cour suprême est régie par la Cour supérieure de la magistrature qui est, elle-même, dirigée par Paul Biya. Le président a donc tous les moyens pour se maintenir au pouvoir à vie. Sans compter le soutien des élites locales et étrangères qui ont intérêt à ce qu’il reste au pouvoir. Pour le déloger, il faudrait une bataille de longue haleine.
Afrik.com : Dans quelle situation se trouve actuellement le Cameroun ?
Idriss Linge : Le peuple s’est désolidarisé du politique. Sur une population de 22 millions d’habitants, seulement 3 à 4 millions ont voté en 2011. Le Cameroun traverse une mutation importante. Les débats politiques sont tous devenus des débats d’intérêts. Même s’il n’y a pas d’instabilité dans le pays, au sein même du gouvernement, se développent des forces destructrices qui n’hésitent pas à acheter des médias privés pour attaquer le gouvernement. Par ailleurs, le ministre des Travaux publics a été la victime d’une campagne médiatique, qu’on dit orchestrée par d’autres pontes du régime. Hormis cette compétition politique, le Cameroun connaît une paix fragile. Le peuple n’est pas suffisamment cultivé pour impulser une transition politique. Et puis sont également pointés du doigt les privilèges accordés aux Betis, le groupe ethnique dont est originaire le président Biya.
Afrik.com : Est-ce que les Camerounais célèbrent cette date d’anniversaire ?
Idriss Linge : C’est une célébration à sens unique. Qui ne concerne que le parti au pouvoir. Dans la rue principale de Yaoundé (la capitale politique du pays, ndlr), les jeunes sont plus préoccupés par leurs bagarres quotidiennes que par les 30 ans au pouvoir de Paul Biya. Ils ne savent même pas que cette date est symbolique. Dans les zones rurales, les politiques organisent un grand rassemblement dans lequel ils distribueront à boire et manger. Et si vous interrogez les jeunes qui y participent, ils vous diront « On a mangé, on a bu et on garde tous nos problèmes ».