Le chanteur Guadeloupéen, crooner du zouk et ancien sociétaire de Kassav’, sera enterré ce mercredi, au Moule, sur son île natale. Il nous a quittés samedi, emporté par un cancer. Avec Kassav’, groupe antillais à l’origine du zouk, il a participé à la publication d’une quinzaine d’albums dont plusieurs sont devenus disques d’or. Il en a sorti une dizaine d’autres sous label personnel. L’amour, la communication de l’espoir qui ont été le fil conducteur de son existence, transparaissent au travers de cette œuvre qu’il lègue à la postérité.
« Si tu coupes les racines, tu entraves la croissance de l’arbre », a souvent chanté Jocelyne Beroard, la voie féminine de Kassav’. L’histoire de cœur de Patrick Saint-Eloi, c’est d’abord son attachement à sa Guadeloupe natale, cette île des Antilles, où il naît un jour de grand soleil il y a 52 ans, et qui avec la Martinique voisine constituent dans la définition affectueuse qu’en donne Kassav’, deux « joyaux tombés de la bourse des étoiles et posés sur la mer ». Jeune, Patrick est bercé par la générosité du climat caribéen, la douceur de la mer toujours chaude qui l’entoure. C’est sans doute cela qui dès ses premiers pas dans la vie façonne la douceur de son tempérament réservé, sa grandeur d’âme. « C’était un garçon exemplaire qui s’occupait toujours bien de la maisonnée », témoignait, il y a une vingtaine d’année, sa maman aujourd’hui éplorée.
Dans son Cahier d’un retour au pays natal, le poète martiniquais Aimé Césaire montrait une grande nostalgie pour l’Afrique. C’est le berceau de l’humanité. C’était aussi le lieu d’embarquement des esclaves qui ont en partie peuplé les Antilles. Pour Patrick, l’Afrique compte certes, mais ses racines profondes à lui plongent dans la terre de la Guadeloupe. « C’est là que le navire nous déposa, et j’en remercie le ciel. Si vous me demandez pourquoi jamais je n’en repartirai, je vous répondrais : parce que je l’aime », proclame-t-il de sa voix douceur de miel dans An ba chen’la, une des chansons qu’il interprète sur l’album Kassav’ en 1983. L’île est toute petite, il le sait. Mais pour lui, elle est grande de la grandeur de cœur de chacun de ses habitants qui fait sa part d’effort pour l’embellir et l’anoblir. « Les grains du riz font le sac de riz », leur rappelle-t-il.
La déchirure du départ pour Paris et le retour au pays natal
À 17 ans, Patrick doit quitter cet univers, qu’il considère comme son petit coin de paradis, pour Paris où il espère pouvoir gagner sa vie en faisant de la musique. Il n’échappe pas à la déchirure et à la nostalgie, qu’ont déjà connu avant lui nombre d’antillais, attiré en métropole par l’administration française, à travers le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer (Bumidom). Le pays lui maque, il est comme privé du carburant affectif qui le faisait fonctionner. C’est ce qu’il décrit dans la chanson Ola ou yé, Eva, publié sur le premier opus qu’il cosigne avec son ami Jean-Philippe Marthely. Dans cette chanson qui raconte l’histoire d’un soupirant à la recherche de sa dulcinée qui a choisi de partir, il dit : « Cette série de séparations a brisé toute une génération. Si tu n’étais pas partie, aujourd’hui tu ne serais pas perdue ». Cependant, en dépit de la distance, l’amour encore reste le plus fort. « Même si tu fais le tour du monde, sous le soleil du lieu ou tu t’arrêteras, je serais là à t’attendre ».
Jocelyne Beroard a souvent confié qu’elle prenait toujours « un peu de terre du pays » avec elle à chaque voyage. Elle a finalement fait son « retour au pays natal », comme Patrick qui dès 2002, date de son départ de Kassav’, s’est réinstallé à la Guadeloupe, qu’il ne quittera plus que pour les vastes prairies célestes. Son retour lui permet notamment de soutenir les stars montantes de la musique locale, comme le chanteur de dancehall, Daly, avec qui il signe en duo T.W.O.P, une nouvelle chanson célébrant sa passion pour son île. « J’aime ma petite Guadeloupe à moi », déclame-t-il dans ce titre de dancehall épicé de zouk.
Une passion pour la femme
Patrick Saint-Eloi, c’est ensuite une histoire d’amour de la femme. Jamais sans doute la femme créole n’aura été tant magnifiée dans des chansons destinées au grand public. Souvent perçu comme une langue de colère, le créole ici se revêt dans sa bouche d’une aura de noblesse, devenant pour beaucoup, y compris loin de son espace d’expression, une sorte de langue nationale des cœurs épris d’amour et de partage. Dans une interview, le jeune chanteur Guadeloupéen Admiral T affirmait ainsi que, tel que chanté par Jocelyne et Patrick, le créole avait acquis une autre saveur, empreinte de douceur et d’affection. Dans maman kréyol, Patrick rend hommage à la femme antillaise dont l’appellation « femme debout » aujourd’hui reprise par des politiques comme Ségolène Royale traduit le courage et le dévouement.
Son riche répertoire regorge de titres devenus des classiques, dans le répertoire de la chanson sentimentale antillaise. Patrick a su dire avec poésie la dignité de la femme antillaise et son affection pour elle : « L’odeur de la vanille toujours m’indique ta présence » (West Indies) ; « Le sel de la mer assaisonne tes lèvres et rendent tes baisers plus goûteux » (Hello Dous). « Même si un grand venait à t’emporter, comme l’alizée qui entraîne un chapeau, je saurais attendre pour gouter le bonheur de ton retour (Pas douté). « On tombait amoureux sur Rev an Mwen. Quand on était déçu, on pouvait toujours se consoler en écoutant Pa douté ou encore Tchimbé La », témoigne Jean-Claude, un fan de Patrick effondré par la nouvelle de sa disparition.
Un inconditionnel du zouk
C’est fort de ce déploiement affectif que Patrick travaille à entretenir le zouk, rythme qu’il a contribué à créer. Lorsque Jacob Desvarieux et Georges Decimus lancent: « Le zouk est notre seul médicament » (Zouk la se sel medikaman nou ni), Patrick ajoute : « Si vous voulez de la tendresse, le zouk vous en donne ; un peu de rage ou de colère, le zouk possède cela aussi » (Ba nou zouk la). Alors qu’on commence à dire que cette musique s’essouffle, il répond : « Même si le zouk venait à passer de mode, dans le hit parade de nos cœurs, il restera toujours en tête» (Poezi étenel).
Cette sollicitation du cœur chez Patrick Saint Eloi prend enfin une dimension transcendantale, au fur et à mesure de la maturité de l’artiste. Ce n’est plus seulement envers la femme ou les Antilles qu’il déclame son affection. Dans un monde en perte de repères, en proie aux doutes et dans lequel le repli ethnique s’accompagne de plus en plus d’intolérance et de violence, il se mûe en messager universel de la paix. « C’est la paix qui sauvera le monde. Quelle que soit la langue qu’il parle, respecte ton prochain. Quelle que soit sa croyance, accepte-le », invite-t-il en 2002, dans Pou la pé, publié sur l’album Swing Karaïb. Dans ce même opus, il nous rappelle que notre ingratitude envers la mère nourricière qu’est la terre provoquera notre perte : « Maman la terre en a assez de se voir salie, meurtrie par nos bêtises. Un jour, elle refusera de nous nourrir et nous irons cherchez à manger sur une terre aride », nous avertit-il.
En Afrique on ne meurt pas. La mort est considérée comme un voyage pour l’autre royaume, celui des ancêtres où on peut se reposer et se ressourcer. Dans Silans, Patrick disait : « Silence, les promesses ne se font pas sans parole/ Silence, le ciel nous a doté d’une bouche pour parler/ Silence laisse une petite place pour la musique/ Silence, accorde moi une pause pour souffler.. . Sur une partition la vie danse ». Patrick a pris une pause pour souffler. Mais que d’amour il nous a laissé !