Les Algériens attendent beaucoup de la visite de François Hollande à Alger. Après cinquante de relations compliquées, le président du « changement » réussira-t-il à lancer un nouveau départ entre la France et l’Algérie ? Quels aspects revêtent cette visite ? Dans un entretien exclusif, l’historien Pascal Blanchard, par ailleurs documentariste, chercheur au laboratoire Communication et Politique du CNRS et président du groupe de recherche Achac sur la colonisation, l’immigration et le postcolonialisme, répond à nos questions. Il fut l’un des premiers chercheurs français à souligner l’importance des imaginaires dans l’élaboration d’une pensée coloniale. Il est auteur de nombreux ouvrages, dont les derniers en date sont « La France noire » (La découverte, 2011) et « Ruptures postcoloniales. Les nouveaux visages de la France » (La Découverte, 2010). Entretien exclusif.
Afrik.com : Comment interpréter la visite de François Hollande en Algérie ?
Pascal Blanchard : Cette visite revêt un nombre d’enjeux incroyable. Ce que l’on attend d’elle, c’est qu’elle ne ressemble pas à celles de ses prédécesseurs qui ont souvent abouties à des déceptions. Les relations entre les deux pays sont très compliquées depuis l’indépendance, personne n’a encore réussi à les stabiliser. Pourtant les Algériens représentent la première communauté d’immigrés en France. Mais on en attend beaucoup aussi du côté algérien, je pense notamment à faciliter le retour des « harkis » sur la terre de leurs ancêtres ou la possibilité d’y enterrer leurs morts.
Afrik.com : François Hollande a tendu la main aux Algériens en mettant de côté le projet de révision de l’accord d’immigration de 1968 et en reconnaissant la répression du 17 octobre 1961. Est-ce de sa part une opération séduction ou bien une aspiration réelle à renouer avec l’Algérie ?
Pascal Blanchard : François Hollande peut paraître froid en reconnaissant ce que ses prédécesseurs n’ont pas voulu faire. Ce n’est pas forcément une bonne chose. On peut croire qu’il n’accorde pas assez d’importance à ce genre de sujet. On le sent moins concerné par l’approche idéologique de la question, et historiquement parlant ce n’est pas un point positif. Mais mutuellement, les deux pays ont beaucoup de choses à apporter. Et les Algériens ont aussi beaucoup de travail à faire sur leur propre histoire. Ils savent nous faire la leçon, et ils ont raison, mais quand vous lisez les manuels scolaires algériens, la manière dont l’histoire est racontée, en oubliant les trois quarts car elle n’arrange pas le pouvoir, ne facilite pas la tâche. On bloque encore sur un tas de sujets alors que les Algériens peuvent être des partenaires importants de la France. En Algérie il y a une volonté d’en finir avec ce contentieux historique, ça me parait évident. Une volonté que l’on constate au sein de la population et de l’opinion. Pour y parvenir il est important de pacifier ces relations compliquées. Mais il ne faut pas se leurrer, la volonté première de renouer avec l’Algérie est surtout économique, vient ensuite le devoir de mémoire.
Afrik.com : C’est la raison pour laquelle une quarantaine de chefs d’entreprises figure parmi l’importante délégation qui accompagne le président français dans son voyage durant lequel un accord définitif va être conclu entre Renault et l’Etat français ?
Pascal Blanchard : les relations économiques entre la France et l’Algérie existent depuis longtemps et sur un tas de domaine. Quant à la signature du contrat entre Renault et l’Etat algérien, vous remarquerez que le principal parc automobile algérien provient de France. Le pouvoir algérien est extrêmement lié à l’économie. La question fondamentale est de savoir comment trouver le chemin qui marquera le début d’un long fleuve tranquille. On devrait voir apparaitre un certain nombre de projets dans le processus de normalisation des échanges.
Afrik.com : L’Algérie est le deuxième plus gros détenteur de réserves officielles de change après l’Arabie Saoudite (205 milliards de dollars). A priori, l’Algérie n’a pas un besoin urgent de l’aide française. Quel intérêt aurait donc l’Etat algérien à booster ses relations avec l’hexagone ?
Pascal Blanchard : Vous avez raison, tout comme le Qatar n’a pas besoin de la France mais qui pourtant investi dans notre pays. L’Algérie vient surtout travailler sur des projets de collaboration ou de partenariat sur certains programmes. Par contre, sur la modernisation du pays il y a du travail. Et là, les entreprises françaises peuvent jouer un rôle. Les chinois ont été présents sur des projets de construction en Algérie. Les Français peuvent l’être aussi. Tout cela est du pur business.
Afrik.com : Il se murmure que François Hollande est très proche de l’Algérie, notamment pour y avoir vécu lorsqu’il était étudiant. Nous avions pour habitude de voir des présidents français davantage proche du Maroc…
Pascal Blanchard : Sauf qu’actuellement la priorité n’est pas au Maroc mais en Algérie. Les échanges bilatéraux ou entre services de renseignement entre français et marocains marchent très bien. Le problème, c’est l’Algérie. Le but est de stabiliser les relations entre ce pays et la France. Il est donc normal que François Hollande travaille davantage sur ce point, quitte à être plus proche. Et puis, il a d’assez bonnes relations avec les Algériens. C’est un président qui n’a aucun passif avec l’Algérie. C’est exceptionnel pour un président français. Il y a pas mal de personnalités importantes qui accompagnent François Hollande dans ce voyage dont on peut espérer qu’il aboutisse à de nouvelles relations diplomatiques.
Afrik.com : Pensez-vous que le nouveau président français réussira là où tous ses prédécesseurs, de Giscard à Sarkozy, ont échoué ?
Pascal Blanchard : Je ne sais pas. En tout cas, hollande, qui était sacrément attendu, arrive à un moment intéressant. Ses prédécesseurs ont connu la guerre d’Algérie et la période postcoloniale. Aujourd’hui, le contexte n’est plus le même. Des deux côtés de la rive, on sent une volonté d’avancer et de forger un territoire commun. Hollande est entouré de ministres fortement impliqués dans le dossier de réconciliation, tels que Yamina Benguigui, Kader Arif ou encore Laurent Fabius. L’environnement dans lequel baigne la présidence française peut contribuer à rendre ce voyage efficace et positif. Et puis, il y a toute une génération d’Algériens qui en a marre de ce vieux contentieux. Aujourd’hui, on ne sait même plus ce que l’on doit ou non revendiquer auprès de la France. La guerre d’Algérie est de l’ordre du passé, elle n’a plus de référent dans le présent. J’ai soumis l’idée à un ministre français de réunir des historiens français et algériens afin d’écrire une histoire commune, en dépassant les enjeux locaux. Le président Abdelaziz Bouteflika pourrait adhérer à cette dynamique. Regarder le présent plutôt que le passé. Hollande peut passer entre les gouttes de pluie et installer de nouvelles bases entre la France et l’Algérie.