L’Association de lutte contre la triche (ALT) se bat depuis juin 2006 à Kisangani, en RDC, contre les partisans du moindre effort. Cette structure congolaise estime que la triche est hautement néfaste car, si elle commence à l’école, elle se poursuit dans la sphère professionnelle. Constant Mutamba, son président, nous explique le fonctionnement d’ALT et les problèmes qu’elle rencontre au quotidien.
Tricheur un jour, tricheur toujours. C’est en partant de ce constat que l’Association de lutte contre la triche (ALT) s’est formée en juin 2006 à Kisangani (Nord-Est de la République Démocratique du Congo). A l’origine de l’initiative, de jeunes élèves qui ne supportaient plus de voir leurs camarades tricher pour réussir. Une tactique dangereuse pour l’avenir du pays car, selon eux, la méthode découverte à l’école sera de nouveau appliquée dans le milieu professionnel. ALT se compose d’un comité central de six responsables et de petites cellules implantées dans certaines écoles de la capitale de la province Orientale. Son président, Constant Mutamba, un jeune homme de 18 ans, motivé, revient sur les actions menées contre toutes les formes de tricherie et les nombreuses difficultés rencontrées au quotidien sur le terrain.
Afrik.com : Comment les élèves trichent-ils ?
Constant Mutamba : Il y a tout un arsenal de formes de tricherie. Il y a la pratique d’ouvrir les cahiers quand le professeur est distrait. Dans les lycées, là où il y a beaucoup de filles, il y a ce que nous appelons les « points sexuellement transmissibles ». Ce sont les points que les filles obtiennent en ayant des rapports avec leurs professeurs. A part ça, il y a la corruption. L’enfant qui sait qu’il n’a pas bien travaillé se précipite pour voir son enseignant et lui remet quelque chose en termes de subsides. A cause de la pauvreté, le professeur qui vit dans une situation criante ne peut pas dire un mot à l’élève qui triche car c’est lui donne à manger. La sœur jumelle de la pauvreté, c’est la tricherie.
Afrik.com : Les élèves ne sont-ils pas pauvres eux-mêmes pour pouvoir subvenir aux besoins des enseignants ?
Constant Mutamba : C’est vrai, les élèves ne sont pas riches. Mais ici, les élèves ont leurs activités personnelles à côté. Ils travaillent.
Afrik.com : Quelles actions menez-vous contre la tricherie ?
Constant Mutamba : Nous avons des cellules dans plusieurs écoles. Elles ont pour mission de nous rapporter ce qui se passe dans leur école en matière de tricherie. Et ce à tous les niveaux : des élèves, des professeurs, des chefs d’établissement… Lors des examens ou des interrogations, notre représentant essaye de prendre le nom de ceux qui trichent. Après, il convoque une réunion avec les membres de l’association pour débattre sur les cas des tricheurs. Leurs noms sont mis de côté et, s’ils récidivent deux ou plusieurs fois, on ne sensibilise plus : on recours à l’autorité suprême de l’école pour faire pression et que l’élève soit puni. Nous essayons aussi de faire des conférences de conscientisation auprès des gens. Vendredi et samedi dernier, nous avons mené une campagne dans la plupart des écoles de Kisangani, où nous avons distribué des tracts et sommes passés de salle en salle. Des chefs d’établissements n’ont pas voulu de nous car eux-mêmes s’y retrouvent dans cette pratique délétère.
Afrik.com : Des chefs d’établissement sont impliqués ?
Constant Mutamba : Il est difficile pour certains de punir les tricheurs qui sont pris en flagrant délit parce qu’eux-mêmes s’adonnent à la tricherie. De même que certains inspecteurs au niveau provincial. C’est pour cela que l’association a des problèmes pour pouvoir travailler et respirer normalement. Pour eux, nous sommes en train de les déranger et certains nous le disent carrément.
Afrik.com : Comment est perçue votre action par les autre élèves ? Ne vous considèrent-ils pas comme des traîtres ?
Constant Mutamba : Nous sommes injuriés et traités de tous les noms. On nous a sérieusement menacés. Après les émissions de télévision dans lesquelles nous passons, certains nous attendent au bord des routes pour nous menacer et nous tabasser. J’ai été moi-même tabassé. Plusieurs membres quittent l’association parce qu’ils ont peur. Et parfois je me retrouve seul.
Afrik.com : Avez-vous déjà songé à abandonner ?
Constant Mutamba : Dès lors que l’on a le souci de développer le pays, on ne peut pas arrêter. C’est une lutte de longue haleine dans le but de privilégier l’intérêt commun.
Afrik.com : Quelles sont, selon vous, les conséquences de la triche sur le plan scolaire ?
Constant Mutamba : Au niveau scolaire, le niveau des élèves est en tout cas au plus bas. Vous allez voir un finaliste qui a du mal à parler le français, qui est la langue nationale, parce qu’il s’est adonné à la tricherie.
Afrik.com : Et sur le plan professionnel et étatique ?
Constant Mutamba : D’ici 20 ans, le pays va connaître un problème de crise de compétence. C’est pour cela que nous militons pour un changement. Nous n’avons plus de bons cadres parce qu’ils n’ont pas été bien encadrés à l’école et qu’ils n’ont pas bien été initiés au travail. Parce qu’ils trichaient déjà à l’école, quand ils se lancent dans les entreprises de service public, ils essayent d’autres formes de tricherie, comme le détournement d’argent. Ou alors, un chef ou un directeur d’entreprise va essayer de prendre une partie du salaire de son employé en disant que ce sont eux qui l’ont placé là où il est. Ce n’est pas loyal. Au niveau étatique, nous n’aurons plus de dirigeants sérieux et compétents, mais des démagogues.
Afrik.com : Avez quels moyens fonctionnez-vous ?
Constant Mutamba : Nous ne sommes pas soutenus. Nous travaillons seuls avec les moyens du bord. Je suis parfois obligé de payer les collègues qui travaillent avec moi, alors que ce que nous faisons est pour le bien commun.
Afrik.com : J’imagine donc que la publicité de sensibilisation que vous vouliez mettre en place n’a pas pu être tournée ?
Constant Mutamba : Nous avons introduit une demande à la mairie, mais le maire n’arrive pas à nous répondre. Or, faire une publicité demande de l’argent et nous sommes étudiants. Mais soyez sûre que si nous avions les moyens, la publicité serait déjà sur le marché.
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