En Côte d’Ivoire le problème politique actuel et la crise gouvernementale, provoqués par le projet de loi sur l’égalité homme/femme, démontrent l’urgence qui s’impose aux partis politiques ivoiriens, et africains en général, d’expliciter clairement les valeurs, les projets de société et l’idéologie qu’ils incarnent. Ils leur commandent de clarifier leurs identités respectives et de déclarer les intérêts et les collectivités de la société globale qu’ils représentent! Le régime de la démocratie constitutionnelle pluraliste et l’objectif de croissance et de développement économiques l’exigent.
Le compromis entre des intérêts contradictoires et divergents, le débat et la confrontation des idéologies et des projets de société structurent la vie politique dans une démocratie constitutionnelle pluraliste. Les structures et la croissance économiques sont aussi le résultat de certaines options de valeurs. Elles supposent la valorisation de certaines conduites, d’un certain type d’hommes, de certains modes de vie. Le peuple souverain a donc besoin d’une présentation claire et pédagogique des principes formels et des objectifs structurants des partis politiques pour s’engager politiquement et économiquement, adhérer aux partis selon les valeurs politiques économiques sociales et morales qu’ils défendent et se prononcer en toute lucidité lors des élections.
Entre le PDCI RDA, le RDR, l’UDPCI, le MFA, le LIDER et le FPI pour ne citer qu’eux, qui est conservateur ? Qui est libéral ? Qui est socialiste ? Qui est d’extrême droite et d’extrême gauche ? Quels sont les intérêts, les idéologies et les projets de société respectifs qu’ils incarnent? Les ivoiriens, en particulier, et les Africains en général, sont impatients de le savoir. Car ce questionnement est pertinent pour tous les partis politiques dans tous les Etats d’Afrique Noire. Il est d’autant plus important et urgent que le cas du Front populaire ivoirien (FPI) de Gbagbo Laurent, qui affichait l’étiquette socialiste avec un numéro 2 libéral, tout en agissant comme un parti ethno-nationaliste d’extrême droite ayant des affinités et des liens avérés avec le Front national français a semé la confusion dans l’esprit de plus d’un électeur en Côte d’Ivoire ! Un silence collectif sur ces questions d’intérêt général capitales concernant l’identité, les valeurs et les objectifs défendus par les partis politiques est cependant étrangement de mise en côte d’Ivoire et en Afrique Noire.
Or les crispations et tensions politiques ivoiriennes actuelles et passées sont en réalité provoquées par l’affrontement entre les visions du monde, les valeurs et les objectifs politiques contradictoires des partis et des élites. Le débat politique partisan qui devrait concerner ces valeurs et ces projets de société et aider en cela à les clarifier est pourtant occulté et détourné exclusivement sur l’occupation de l’espace du pouvoir qui mobilise encore les violences et les passions. Il est à déplorer que le débat suscité en Côte d’Ivoire par la crise gouvernementale provoquée par la fronde du groupe parlementaire PDCI s’oriente invariablement vers le thème de la soi-disant inefficience du gouvernement, de l’incapacité présumée de certains de ses ministres et à la limite d’un prétendu autoritarisme du Président de la république qui ne supporterait pas la contradiction en dépit de l’explication fournie par le PDCI qui fonde sa position sur une question de valeurs et de conception divergente de la hiérarchie dans l’unité sociale de base qu’est la famille ! La dissolution du gouvernement exprimerait donc bien plutôt une incompatibilité fondamentale entre des projets politiques et des valeurs au sein de l’alliance gouvernementale relativement à la conception du libéralisme.
La crise politique ouverte par cette opposition semble engendrée par un conflit fondamental entre deux idéologies contradictoires et deux projets de société divergents sinon antinomiques. Or le silence des élites politiques quant à la racine idéologique de cette opposition pousse l’opinion publique à en chercher l’explication dans la confrontation personnelle des chefs qui a toujours motivé le combat politique ivoirien dans un espace sociologiquement structuré par la personnalisation du pouvoir et par le culte de la personnalité au détriment des valeurs et des projets de société. Quelle importance accorde-t-on à l’égalité de tous les êtres humains dans la démocratie constitutionnelle libérale ivoirienne ?
La démocratie libérale moderne ivoirienne peut-elle s’accommoder de l’inégalité entre l’homme et la femme fondée sur les valeurs de la société traditionnelle ? L’opposition du groupe parlementaire du PDCI RDA et de l’UDPCI au RDR exprimerait-t-elle alors un affrontement entre une bourgeoisie conservatrice qui a gardé les valeurs des aristocraties et des royautés anciennes dont elle est l’héritière et une élite libérale progressiste produite par les transformations socio-économiques de la Côte d’voire et en phase avec les nouvelles valeurs requises par la modernité telle par exemple celle de l’égalité de l’homme et de la femme ? L’opposition du groupe parlementaire PDCI RDA et UDPCI au projet de loi semblerait alors traduire un conflit idéologique entre deux partis aux projets de société divergents et représentant des groupes sociaux différents aux intérêts contradictoires !
Un parti capitaliste conservateur et ethno-nationaliste entretenant une conception de la société et de la famille fondée sur les prérogatives de l’homme et du pater familias s’y opposerait à un parti libéral cosmopolite dont la conception de la société et de la famille est centrée sur l’égalité de tous les citoyens. Ainsi ce qui semble être une querelle de clocher provoquée par un conflit entre deux personnalités politiques et deux partis qui se disputent le pouvoir sur fond de promesses électorales est en réalité un conflit de projet de société et un affrontement idéologique implicite entre deux partis structurés par des valeurs et des visions du monde opposées. Ces derniers qui s’étaient unis pour prendre le gouvernement devraient pourtant rechercher au profit de l’intérêt général et dans l’intérêt supérieur de la République, des compromis sur les valeurs et les projets de société qu’ils défendent.
Cette occultation du débat idéologique risque de renforcer la crise ivoirienne qui a résulté de la personnalisation de la lutte politique quand l’on a présenté le président actuel comme un étranger qui venait ravir la présidence de la République aux autochtones. Il convient donc, urgemment, de mettre au centre du réajustement politique, culturel et intellectuel qu’appelle la démocratie libérale, le débat sur les valeurs, les projets de sociétés et les intérêts spécifiques des groupes sociaux que les partis sont censés incarner et défendre. Le renforcement et la pérennité de la démocratie constitutionnelle-pluraliste ainsi que le consensus social qui conditionnent la possibilité du développement économique, dépendent de cette définition claire et de cette explicitation pédagogique des valeurs et des projets société.
Car tels sont la raison d’être des partis politiques, le mobile, et l’âme de la lutte politique dans une République. Que sont respectivement les valeurs et les projets de sociétés pour une communauté humaine , sinon l’esprit et l’objectif collectifs qui permettent d’unifier la diversité sociale en un ensemble organique mobilisé vers une fin commune consensuelle !Que sont les valeurs d’une société humaine, sinon la conscience de soi et la personnalité qui en assurent la continuité dans le temps ! On saisit alors l’importance de la problématique des valeurs et des projets de société puisqu’il s’agit d’engager le débat qui permettrait de reconstruire une conscience de soi à la communauté, indispensable à sa maîtrise du temps et de l’espace et à son orientation !
Il faut donc restaurer et légitimer la confrontation des idées et la discussion politiques requises par la démocratie constitutionnelle pluraliste. Il est indispensable de rendre pédagogiquement accessible aux populations les concepts politiques de la modernité, les objectifs spécifiques que poursuivent la droite et la gauche politique ivoirienne et africaine et d’ouvrir le débat idéologique. Le citoyen X pourrait adhérer au parti qui incarne les valeurs et projets de société correspondant à ses convictions et répondant à ses intérêts. En refondant ainsi les partis politiques sur les projets de société, les idéologies et les valeurs qui transcendent la personne des chefs des partis on briserait la dérive constante des partis politiques ivoiriens et africains dans le culte fétichiste de la personnalité qui explique pour une part les problèmes politique d’alternance et de renouvellement des couches dirigeantes que connaissent la Côte d’Ivoire et l’Afrique. Et l’on rendrait enfin possible une croissance et un développement économiques structurés par des valeurs consensuelles.