Vivre, donner la vie, faire des projets. Lorsque l’on est drépanocytaire, ces mots sont encore plus lourds de sens. Et de conséquences. Trois malades témoignent de leur quotidien et de leur vision de l’avenir.
Régine Esther Azana est célibataire, sans enfants. Cette Congolaise de 45 ans a perdu un frère et une sœur à cause de la maladie. Employée à l’Office national du tourisme de son pays, elle est actuellement en France pour se faire soigner.
Afrik : Pourquoi n’avez-vous pas d’enfants ?
Régine Esther Azana : Il est déconseillé d’avoir des enfants lorsque l’on a la drépanocytose. Il m’aurait fallu avoir d’importantes transfusions pour avoir un beau bébé. Or, elles sont surtout réservées aux cas les plus graves de la maladie. J’ai donc décidé d’y renoncer. Lorsque j’étais plus jeune, je me disais que ma santé allait s’améliorer. Mais mes règles se sont arrêtées car j’étais trop anémiée. C’est difficile de ne pas avoir la possibilité de mettre au monde un être, de le voir grandir. Les enfants font partie de l’équilibre d’une femme africaine. C’est un soutien fort en période de problèmes. Mais je peux adopter. Il n’est pas trop tard.
Afrik : Vous travaillez à l’office national du tourisme en République Démocratique du Congo. Comment avez-vous géré votre maladie ?
Régine Esther Azana : Je cachais ma maladie. Pendant longtemps, j’ai gardé le silence pour ne pas être marginalisée. Je mettais ma déficience de côté pour l’oublier. Je me comportais comme si j’étais normale. Je croyais vraiment que j’allais tenir le coup. Mais le personnel a fini par se rendre compte que quelque chose n’allais pas. Aujourd’hui, j’ai mûrit et je n’ai plus envie de me cacher.
Afrik : Comment voyez-vous l’avenir ?
Régine Esther Azana : Personne ne sait s’il va se réveiller le lendemain. Je suis chrétienne et je pense que l’avenir appartient à Dieu. Je suis heureuse de croire qu’il y a un être supérieur qui peut faire des miracles. Et j’ai raison d’avoir la foi : j’ai 45 ans et je suis encore en vie. Et c’est vieux pour une malade drépanocytaire. Ce n’est pas facile tous les jours, mais tout le monde a sa petite croix à porter.
Max Nabinala, 27 ans, est centrafricain. Les médecins ont diagnostiqué sa drépanocytose lorsqu’il avait quatre ans. Il est aujourd’hui à la tête de l’Association Centrafricaine d’Aide aux Drépanocytaires (ACAD).
Afrik : Comment abordez-vous l’avenir ?
Max Nabinala : Avec beaucoup d’optimisme ! Je considère que ce n’est pas parce que je suis drépanocytaire que mon existence n’a aucune valeur. Je garde un esprit très positif. Je sais qu’un jour tout ira mieux. J’ai foi dans un avenir où le drépanocytaire pourra embrasser la vie comme les autres. Je tiens fermement à la vie.
Afrik : Pourriez-vous avoir des enfants avec une femme drépanocytaire ?
Max Nabinala : C’est une décision délicate. Cette maladie est génétique et peut donc se transmettre aux enfants. Mais parfois l’amour est tellement fort qu’il rend aveugle. Toutefois, avant de marier, je préférerais que la femme que j’ai choisie fasse le test de dépistage. Le mieux est de vivre avec une femme qui n’a pas de gène défaillant. Je ne supporterai pas de voir mes enfants souffrir comme j’ai souffert sans pouvoir les soulager. Cette pensée me fait horreur.
Afrik : Comment aidez-vous les drépanocytaires ?
Max Nabinala : J’ai monté l’Association Centrafricaine d’Aide aux Drépanocytaires (ACAD, ndlr) en 2001. Je reçois beaucoup de parents. J’axe mon action sur la prévention et l’éducation. Certains ne connaissent toujours pas cette maladie. Or, environ 30% de la population est touchée. Actuellement, je me bats pour obtenir des médicaments génériques. Nous avons l’autorisation mais n’avons pas encore les produits.
Christine Nyakana, diplomate ougandaise travaillant à l’ambassade du Ghana en France, est mère de deux enfants. Elle est atteinte de la forme hétérozygote de la drépanocytose (AS) et ne souffre donc d’aucun symptôme clinique. Elle a appris qu’elle était porteuse du gène après que son fils eut été testé positif après de nombreux examens. Il souffre de la forme homozygote de la maladie. Ses crises sont d’une extrême violence. Sa fille n’est pas malade.
Afrik : Comment vivez-vous la maladie de votre fils ?
Christine Nyakana : Lorsque j’ai appris qu’il était malade, j’étais désespérée, effondrée. Aujourd’hui, il a treize ans et je suis toujours très anxieuse. Quand il pleut, je me dis qu’on va m’appeler pour venir le récupérer car l’humidité provoque les crises. Je ne souhaite à personne de vivre ce que nous vivons. Nous souffrons tous beaucoup. Surtout, mon fils bien sûr. Il peut jouer pendant des heures, se coucher, s’endormir et se réveiller en criant de douleur. Les crises sont si imprévisibles…
Afrik : Comment votre fils vit sa maladie ?
Christine Nyakana: Il dit souvent qu’il en a assez. Il est jeune et il ne peut rien faire comme les autres. Je me souviens qu’il a dû être rapatrié d’un séjour à la montagne à cause d’une crise. Depuis sa naissance, il a été hospitalisé plus de 60 fois. Du coup, il ne veut aller à l’hôpital qu’en cas de grosse crise.
Afrik : Auriez-vous accepté d’avoir des enfants si vous aviez su avant que vous aviez un gène défaillant ?
Christine Nyakana : Peut-être. Mais si je m’étais décidée à en avoir, j’aurais prévenu les médecins pour être conseillée. Certaines de mes amies ont été enceintes de bébés drépanocytaires. Leur médecin leur a donné deux options : mener leur grossesse à terme ou avorter. Elles ont choisi la deuxième solution pour ne pas accoucher d’un être qui va souffrir toute sa vie. Avoir un enfant drépanocytaire, c’est vraiment une très grosse responsabilité. Une décision à ne pas prendre à la légère. Même si je ne regrette pas d’avoir eu mon fils.
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