
Le militant politique algérien Rachid Nekkaz a été brièvement détenu à Marrakech après des déclarations sur l’histoire marocaine et le Sahara occidental. Cet incident met en lumière les préoccupations croissantes concernant la liberté d’expression dans le royaume chérifien sur des sujets considérés comme tabous.
Le militant politique algérien Rachid Nekkaz a été arrêté et interrogé par les autorités marocaines à Marrakech, lundi soir 17 mars, à la suite d’une vidéo publiée sur YouTube. Dans cette vidéo devenue virale, il proposait une interprétation de l’histoire de la mosquée Koutoubia et s’exprimait sur la question du Sahara occidental, déclenchant une réaction immédiate des autorités.

Une controverse autour de sujet tabous
Dans sa vidéo, Nekkaz affirme que la célèbre mosquée Koutoubia de Marrakech aurait été construite en 1146 par Abdelmoumen, un dirigeant historique qu’il qualifie d’« Algérien ». Né près de Tlemcen vers 1100, Abdelmoumen aurait, selon lui, scellé une alliance stratégique avec le théologien Ibn Toumert afin d’unifier l’ensemble du Maghreb sous une seule bannière religieuse et politique.
Ses propos sur le Sahara occidental, qu’il a qualifié de « territoire occupé illégalement par les Marocains depuis la Marche Verte de novembre 1975 », ont particulièrement ému les autorités marocaines. La Sûreté nationale du district de Jamaâ El Fna a procédé à son arrestation, invoquant des motifs liés à « la diffusion d’informations trompeuses » et à une présumée « falsification de faits historiques portant atteinte à l’intégrité territoriale et au patrimoine marocain ».
La liberté d’expression et ses limites au Maroc
Cette arrestation s’inscrit dans un contexte plus large de restrictions concernant certains sujets au Maroc. Comme le souligne l’Association marocaine des droits humains (AMDH), défendre les droits fondamentaux dans certaines régions, notamment au Sahara occidental, reste une ligne rouge que peu osent franchir.
Sous la direction d’Aziz Ghali, l’AMDH a développé un travail de documentation des atteintes aux droits humains dans l’ensemble du territoire marocain, y compris dans les zones contestées. « Les droits humains ne s’arrêtent pas aux frontières des conflits territoriaux », martèle Ghali, dont l’organisation fait face à des obstacles administratifs et des campagnes de diffamation pour ses prises de position.
L’arrestation de Nekkaz met en lumière ce que l’AMDH qualifie de paradoxe : alors que le Maroc se présente comme un État de droit en voie de démocratisation, certains sujets restent tabous et l’expression d’opinions divergentes peut entraîner des mesures répressives. Les médias indépendants et les observateurs internationaux se voient régulièrement refuser l’accès à certaines régions, tandis que les manifestations pacifiques sont souvent dispersées et les militants des droits humains font l’objet de surveillance.
Le Sahara occidental sujet tabou
Le cas de Nekkaz s’inscrit dans une problématique plus large où, selon les défenseurs des droits humains, l’utilisation de lois vaguement définies sur la diffusion de « fausses informations » ou « l’atteinte à l’intégrité territoriale » servirait à limiter la liberté d’expression sur des sujets considérés comme sensibles.
Mais le cas Nekkaz s’inscrit dans une stratégie plus large de contrôle de l’information concernant le Sahara occidental. Récemment, une délégation de juristes espagnols a été expulsée alors qu’elle s’apprêtait à enquêter sur la situation des droits de l’homme dans ce territoire. Les avocates Dolores Travieso Darias et Flora Moreno Ramos, ainsi que le technicien Silvestre Suárez Fernández, ont été empêchés de quitter l’avion à leur arrivée à Laâyoune.
Cette expulsion n’est pas un cas isolé : en février dernier, trois députés européens ont également été interdits d’accès à Laâyoune, et des incidents similaires se multiplient avec des observateurs internationaux. Le Maroc justifie ces mesures au nom de sa « souveraineté nationale », considérant toute mission d’observation indépendante comme une potentielle promotion de « thèses séparatistes ». Cette situation illustre la difficulté persistante d’accès à l’information et de surveillance indépendante des droits humains dans la région, créant un vide qui alimente les controverses.
Finalement, après audition et consultation du parquet, droit a été remis en liberté, mais cette arrestation soulève des questions importantes sur l’équilibre entre sécurité nationale et libertés fondamentales. Comme le rappelle l’AMDH : « Notre engagement pour les droits humains ne peut être à géométrie variable. Soit nous défendons les droits de tous, soit nous perdons notre crédibilité et notre raison d’être ».