Les élections présidentielles en Guinée ont donné le chef de l’Etat sortant, Lansana Conté, vainqueur avec 95,63% des voix. Le score de son unique challenger, Mamadou Bhoye Barry, a juste fait office de faire-valoir avec 4,37% des votes. Mamadou Bâ, Président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) et du Front républicain pour l’alternance démocratique (Frad) s’exprime sur un scrutin qu’il juge sans valeur ainsi que sur les conséquences du maintien au pouvoir d’un homme malade.
L’élection présidentielle du 21 décembre dernier était factice. C’est le sentiment de l’opposition guinéenne une semaine après les résultats officiels du scrutin. Lansané Conté (du Parti de l’unité et du progrès), au pouvoir depuis vingt ans et très malade, a été réélu pour sept ans, plébiscité par 95,63% des votes. Autant dire que pour son unique adversaire de l’Union pour le progrès national, Mamadou Bhoye Barry, l’essentiel était de participer. Véritable farce pour Front républicain pour l’alternance démocratique (Frad). L’organisation, qui rassemble les cinq principaux partis d’opposition [[<*>Le Rassemblement pour le peuple de Guinée (RPG, d’Alpha Condé), l’Union du peuple de Guinée (UPG, de Jean-Marie Doré), l’Union des forces républicaines (UFR, de Sidya Touré), l’Union pour le progrès et le renouveau (UPR, Siradiou Diallo) et l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG, de Mamadou Bâ)]], avait appelé au boycott de l’élection, estimant que le sort était joué d’avance. Mamadou Bâ, Président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) et du Front républicain pour l’alternance démocratique (Frad) revient sur la tenue d’un vote selon lui entaché d’irrégularités et prédit un avenir encore plus sombre pour le pays.
Afrik : Dans quel climat se sont déroulées les élections ?
Mamadou Bâ : L’atmosphère était très calme. Les Guinéens savaient très bien quelle serait l’issue de l’élection. Ils ont suivi notre consigne de boycott et ne sont pas sortis de chez eux. Il n’y avait pas de queues pour aller voter. Alors le taux de participation officiellement annoncé (82,76%, ndlr) est complètement fictif. Il se rapprocherait plus des 10%.
Afrik : Pensez-vous que les électeurs ont réellement boycotté le scrutin ou qu’ils sont restés chez eux par dépit ?
Mamadou Bâ : Boycotter ou ne pas se déplacer parce qu’on ne croit pas que le changement soit possible revient au même. Même cause, même effets.
Afrik : Aux élections de 1993 et 1998, Lansana Conté avait remporté les élections avec des scores beaucoup moins élevés, respectivement 51 et 56% des voix. Pourquoi cette année le pourcentage a-t-il atteint 95,63% ?
Mamadou Bâ : En 1998, nous nous étions rassemblés et nous sommes sûrs de l’avoir battu, même s’il a gardé le pouvoir. Cette fois-ci, il avait déclaré qu’il voulait être plébiscité. Il est très sûr de lui. Il sait qu’il ne verra pas d’autres chiffres que ceux qu’il veut voir. C’est pour ça, outre le fait qu’il soit malade, qu’il n’a pas fait de campagne lui-même. Il a d’ailleurs annoncé, avant la tenue du scrutin, qu’il voulait que le taux de participation atteigne les 85%, ce qui a fait la Une des journaux. Tout le monde sait que son élection n’est pas crédible. Après tant d’années au pouvoir, ce n’est pas possible d’avoir une telle popularité. Mais cela lui importe peu.
Afrik : Lansana Conté a été investi par le Parti de l’Unité et du Progrès, semble-t-il, contre sa volonté. Serait-il moins accroché au pouvoir ?
Mamadou Bâ : Lansana Conté est très malade. Dans quelques temps, il ne pourra plus gérer le pays. Mais il veut rester au pouvoir jusqu’à sa mort pour échapper aux poursuites. Il a notamment dépensé l’argent de l’Etat à des fins personnelles et vendu des terrains, des sociétés et des immeubles sans passer par les procédures légales.
Afrik : Considérez-vous que Mamadou Bhoye Barry faisait le poids face à Lansana Conté ?
Mamadou Bâ : Il n’a aucun poids politique. Je le connais depuis dix ans mais je ne l’ai jamais vu avec des militants. Comme s’il n’avait pas de partisans. Le peu de voix qu’il a remporté (4,37%), il les a eues dans mon fief, Pita, dans la région du Futa Jalon (à 400 km de la capitale, ndlr).
Afrik : L’opposant Sidya Touré, de l’Union des forces républicaines, a déclaré à l’annonce des résultats que la scène politique n’était qu’un « pluralisme virtuel ». Partagez-vous ce sentiment ?
Mamadou Bâ : Le pluralisme existe officiellement. Mais dans les faits, Lansana Conté ne reconnaît aucun parti et ne tient pas compte des formations d’opposition. Dans ce sens, la diversité politique est bien virtuelle. Mais Lansana Conté ne respecte pas non plus son propre parti. Il ne gouverne qu’en fonction de sa formation militaire (le Président réélu est Général, ndlr). Il a lui-même déclaré qu’il donnait les ordres et que les autres devaient obéir.
Afrik : Il n’y a pas eu d’observateurs internationaux lors de l’élection présidentielle. Pourquoi ?
Mamadou Bâ : La Cedeao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, ndlr), l’Union africaine, l’Union européenne et les Nations Unies ont entamé des négociations avec le gouvernement pour que les élections se déroulent dans de bonnes conditions. Ils souhaitaient un recul de la date des élections car le délai imparti était trop court pour les organiser. D’autant plus que c’était la période de Noël et qu’il n’était pas facile de trouver des observateurs disponibles. L’opposition demandait notamment la neutralité de la Commission électorale nationale, qui est sous tutelle du ministère de l’Administration du Territoire, l’accès aux médias publiques, la liberté de circuler dans le pays et le droit de tenir des réunions. Les autorités guinéennes n’ont rien voulu céder. La communauté internationale a jugé cette attitude inacceptable et a décidé de se retirer. Il n’y a donc pas eu d’observateurs internationaux, ni nationaux d’ailleurs.
Afrik : Pourquoi les Guinéens n’ont pas manifesté contre la tenue des élections comme l’ont fait ceux de la diaspora ?
Mamadou Bâ : Les Guinéens ont montré leur mécontentement en France, aux Etats-Unis ou encore en Allemagne parce qu’ils peuvent le faire librement. D’ailleurs, la section du Front républicain pour l’alternance démocratique à Paris, dont je suis responsable, encourage la diaspora guinéenne à prendre ce genre d’initiatives. Ici, toute personne qui manifeste ou se plaint peut être abattue par les services de police. Hommes, femmes, enfants. Peu importe. Il y a toujours trois ou quatre morts à chaque mouvement de protestation.
Afrik : Dans quelle situation se trouve aujourd’hui la Guinée ?
Mamadou Bâ : Ici, on ne parle pas de chômage, mais de non-emploi. Pendant les vingt ans où il est resté au pouvoir, Lansana Conté n’a pas construit une usine ou une plantation et n’a attiré aucun investissement extérieur. L’insécurité est l’autre problème majeur. Nous avons beaucoup de rebelles du Liberia, de Sierra Leone et maintenant de Côte d’Ivoire qui viennent se reposer tranquillement ici. Ils attaquent les gens pour se ravitailler et la police guinéenne ne fait rien. Elle s’adonne même au racket, parfois en plein jour.
Afrik : Quel avenir voyez-vous pour la Guinée après la réélection de Lansana Conté ?
Mamadou Bâ : Il n’y aura toujours pas de travail, ni de ressources. Les investisseurs continueront à nous bouder et les Guinéens à placer leur argent à l’étranger. Il faut dire que la monnaie est dévaluée tous les ans de 20 à 25%. Il n’y a aucune perspective. Il n’y a rien à faire. Sauf peut-être un soulèvement populaire comme cela s’est produit au Liberia et en Sierra Leone. Mais la conséquence d’une telle action créera un désordre qu’il ne sera pas facile de rétablir. Nous sommes dans une impasse totale.