En présence de nombreuses personnalités, le documentaire « Abeti Masikini, le combat d’une femme » a été diffusé vendredi après-midi, à l’Auditorium de la Mairie du 4ème arrondissement de Paris. Un évènement à l’initiative de l’association internationale des droits de l’Homme (AIDH), pour rendre hommage à la grande diva congolaise, considéré comme l’une des plus grandes chanteuses africaines de notre époque.
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A Paris
Elles n’auraient raté ça pour rien au monde. De nombreuses personnalités telles que la représentante de la Francophonie, Fatigu Matoko, le président du syndicat international des journalistes africains, Lanciny Camara, ou encore la docteure en architecte, Jhoyce Oto, attendent patiemment la diffusion du documentaire Abeti Masikini, le combat d’une femme, réalisé par Laura Kutika et Ne Kunda Nlaba. Mais il y a encore quelques réglages techniques à faire. Il faut aussi patienter le temps que le guitariste de la chanteuse congolaise Hezmie Bellini, qui se prépare à monter sur scène, juste avant la diffusion du film, accorde sa guitare.
De son côté, Bastaine Moubamba, secrétaire général de l’Association internationale des droits de l’Homme (AIDH), à l’initiative de l’évènement, invite la présidente de l’organisation, Françoise Traverso, à dire quelques mots. Cette dernière remercie toutes les personnes présentes d’être venues, réclamant une minute de silence pour Papa Wemba, récemment décédé, avant de convier Hezmie Bellini à venir chanter une des chansons phares du roi de la rumba.
Le film peut enfin commencer ! Dès le début, il provoque beaucoup d’émotion dans le public. La chanteuse congolaise Princesse ne peut retenir ses larmes : « Sa vie, c’est la mienne », chuchote-t-elle, la voix étouffée par les sanglots.
Une des images du film, quelques minutes avant sa diffusion
« Elle était en avance sur son temps »
Il faut dire qu’Abéti Masikini, même décédée, ne laisse personne indifférent. Et le documentaire soigneusement écrit retrace son parcours, mais aussi son combat pour faire connaître la musique congolaise à l’international. Toutes les personnes interviewées dans le film à son propos, dont son ami et biographe Matoko Nguyen, son mari Gérard Akueson ou encore Papa Wemba, sont unanimes sur la talentueuse chanteuse à la voix d’or qu’elle était. Tous affirment qu’elle était en avance sur son temps, modernisant la musique congolaise, inspirant plusieurs générations de musiciens. C’est sans doute pour cela qu’elle était souvent incomprise par ses compatriotes et fait l’objet de rumeurs infondées. Ceux qui l’ont connue mettent aussi l’accent sur son combat pour l’émancipation des femmes africaines. C’était en effet une entrepreneure, une vrai chef d’entreprise, qui dirigeait pas moins de 30 salariés, dont ses choristes, ses danseuses et musiciens. C’était aussi une travailleuse acharnée, très exigeante, perfectionniste, qui commençait très tôt le matin et finissait le soir, très tard.
C’est donc sur les pas d’une femme hors norme, tombée injustement dans l’oubli pendant un temps, que le documentaire nous mène. De son vrai nom Elisabeth Finant Aki, Abeti Masikini, issue d’une famille aisée, est née en 1954 à Kisangini. Elle est la fille de Marie Masikini et de Jean- Pierre Finant, député et premier Gouverneur de la Province Orientale d’origine belge et futur lumumbabiste qui sera par la suite assassiné.
Reine de la soukouss, adulée en Occident comme en Chine
Elle s’intéresse très tôt à la musique et dès l’âge de neuf ans, son père, un grand mélomane, l’y encourage. A l’âge de 17 ans, celle qui se fait alors appeler Betty Finant monte son premier groupe avec son petit-frère Jean Abumba, brillant guitariste-chanteur, commence à se produire dans les clubs. En 1972, elle s’entoure, sous l’impulsion de son mari et producteur Gérard Akueson, de talentueux musiciens qui formeront le célèbre groupe, dans les années 1970/1980, « Les Redoutables d’Abéti ». L’orchestre accompagne la diva congolaise lors de ses concerts et tournées aux quatre coins du monde, jusqu’en France où elle devient une véritable star. Chose très rare à cette époque pour une chanteuse africaine. Dès le 19 février 1973 à l’Olympia, à Paris, Abéti et son groupe enchantent le public. La chanteuse signe par la suite son premier contrat discographique européen avec Pierre Cardin. De fil en aiguille, elle se révèle au public occidental, qui l’adopte entièrement. Deux ans plus tard, 3 000 spectateurs l’acclament au Carnegie Hall de New-York (USA) où son soukouss très rythmé fait un triomphe. Plusieurs propositions américaines suivent, mais Abéti, qui doit respecter les contrats signés en Europe, retourne à Paris et enregistre un disque chez Pathé Marconi avant d’entamer une tournée africaine.
(De gauche à droite) Matoko Nguyen, Gérard Akueson et et les réalisateurs du film
?Pendant toute la période des années 1970, elle se produit aussi régulièrement au ciné Palladium de Kinshasa, enregistrant, en 1977, l’album Motema Pasi repris plus tard par Chu Mi Yin, l’une des vedettes de la chanson chinoise, se définissant comme « La nouvelle Abeti chinoise ». Il lui faut attendre 1986 pour que se monte une véritable tournée internationale. Elle donne son plus grand concert au Zénith de Paris, en 1988, avec comme invités Nzongo Soul et Bernard Lavilliers avant d’effectuer une tournée dans toute la Chine, l’année suivante. C’est finalement à Kinshasa qu’elle donne son dernier concert, le 15 Décembre 1990. Elle décède à l’âge de 40 ans, le 28 Septembre 1994 d’un cancer du col de l’utérus, à l’hôpital de Villejuif, en France.
Ses derniers instants décrits dans le film sont très émouvants, rappelant la cruauté de la vie, qui a emporté une chanteuse au sommet de son art, à tout juste 40 ans.
« Abéti est une bénie, la preuve est qu’on parle d’elle encore en 2016»
Après ce saut dans le temps, le retour à la réalité est rude. Mais les applaudissements du public sont intenses à la fin du film. « Où sont les réalisateurs », demande alors la présidente de l’AIDH, qui vient de constater qu’« ils sont tout au fond de la salle !», les invitant à rejoindre la scène. Gérard Akueson et Matoko Nguyen sont aussi conviés à faire de même. Les réalisateurs rendent de nouveau hommage à Abéti, soulignant leur fierté d’avoir réalisé ce film. « Vous vous rendez-compte! Ce n’est pas n’importe quel artiste qui pouvait se produire à l’Olympia à cette époque, surtout pour une chanteuse africaine. Elle a rencontré de grandes personnalités comme Mireille Mathieu et était accompagnée lors de ses déplacements par une multitude de gardes du corps », tient à rappeler son époux Gérard Akueson. « Elle était exceptionnelle car à l’époque, l’industrie musicale était déjà difficile d’accès pour les hommes, alors pour les femmes, c’était encore pire ! Mais elle a réussi à surpasser toutes ces barrières par sa volonté de réussir », souligne son biographe, Matoko Nguyen.
La présidente de l’AIDH Françoise Traverso entourée des participants à l’évènement
« C’était une star d’une dimension internationale »
Des témoignages suivis dans la foulée d’une table ronde animée par Jhoyce Oto, à laquelle participent entre autres Lanciny Camara et la présidente de l’AIDH. « Elle était une star d’une dimension internationale. Je l’aimais beaucoup personnellement », affirme Jhoyce Oto, avant de donner la parole à ses interlocuteurs. « Abéti est une femme bénie puisque la preuve est qu’on en parle en 2016. Partout où il y a la paix, il y a la femme. Regardons l’exemple du Liberia, il a fallu que les femmes viennent au pouvoir pour que la guerre s’arrête. Les femmes doivent être impliquées à la politique du continent car on en a besoin. », selon Lanciny Camara. « Nous avons aussi besoin des hommes pour nous accompagner dans nos combats, c’est très important, souligne quant à elle la présidente de l’AIDH. Abéti a pu aller aussi loin grâce au soutien de son mari ».
Le public, qui applaudit de nouveau la clôture de l’évènement, est invité à déguster des mets préparés par l’AIDH. Une dégustation bien méritée après une journée riche en émotion.