Hervé Bourges publie cette semaine un essai atypique et dynamique sur la langue française, enjeu du XXIème siècle. A mille lieux des déclinologues et des passéistes, il prouve en onze chapitres à la fois vifs et déroutants que la Francophonie est bien vivante, et qu’elle porte en elle une force de renouvellement et de création trop souvent ignorée. Un livre à lire d’urgence et une leçon à appliquer.
Le hasard, ou la providence, font que j’écris ces lignes depuis le Mont Fébé, à Yaoundé, face au panorama immense de la capitale du Cameroun, l’autre ville aux Sept collines, en un lieu qui fut justement l’un des quartiers généraux d’Hervé Bourges. A peine arrivé en ces lieux, j’ai ouvert son livre « Pardon my French » tout juste paru aux éditions Karthala, dans la collection « Disputatio » et je l’y ai retrouvé tout entier.
Fidélité et engagement
Je l’imagine écrivant lui-même en ces lieux, à l’époque des « Cinquante Afrique », à l’époque où il s’ingéniait ici à créer la première école supérieure de journalisme africaine, il y a presque un demi-siècle. Inspiré par le tapis d’ombre et de lumières de la ville, je le vois écrivant et agissant, et je suis frappé à chaque page par l’énergie qui se dégage de son livre, une jeunesse de ton, une liberté de pensée, une force d’engagement tout à la fois : des décennies sont passées, mais c’est la même conviction, les mêmes valeurs défendues, la même confiance, dans une fidélité toujours renouvelée aux mêmes combats essentiels.
« Le français est une langue identitaire, partageuse, porteuse de valeurs universelles ». Ce livre en est la démonstration brillante et joyeuse, souvent déroutante, toujours convaincante. C’est ainsi qu’il faut défendre la langue française, enjeu qui dépasse désormais de toute part la France, enjeu d’humanisme et de pensée, exigence intellectuelle et bataille fraternelle à la fois. « Le bruit incessant de la rumeur et de la médisance, le gouvernement par les sondages et les réseaux sociaux, la mondialisation de l’indifférence, le nivellement de la pensée, le snobisme de l’anglophilie, mènent à la prééminence de l’émotion sur la raison et à l’appauvrissement de la langue ». Voilà l’ennemi défini : le juste combat est celui de la langue française comme langue de la raison et du dialogue, c’est la langue de Senghor et de Caillois, la langue de Césaire et de Kateb Yacine, celle de Voltaire aussi, bien sûr.
Le combat juste
Hervé Bourges n’est pas et ne sera jamais un « donneur de leçon » : c’est un observateur attentif et critique, soucieux de révéler ce qu’on oublie du passé, ce que l’on ignore du présent, ce que l’on peut esquisser de demain. « Pardon my french » est un livre atypique et judicieux : sans rien qui pèse ou qui pose, rebondissant d’un continent à l’autre, de Villers-Cotterêts à Montréal, de François Ier à Charles de Gaulle, en passant par le Créole qui est aujourd’hui l’une des principales langues de New-York, et de Dakar aux Vanuatu.
C’est aussi un livre dialogique qui ouvre de multiples perspectives en accueillant en son sein un grand nombre de paroles et de textes méconnus, où s’exprime la vitalité de la langue, de François Rabelais à Edouard Glissant… Inépuisablement journaliste et curieux, Hervé Bourges nous convie à un banquet mondial où de multiples voix se font entendre, ouvrant des pistes de réflexions renouvelées.
Des actes concrets
Avec une ambition constante : faire que les médias, la presse, la radio, la télévision, Internet, soient les vecteurs d’une langue résolument contemporaine et innovante, une langue dans laquelle le monde à la fois ouvert et multiple du XXIème siècle puisse trouver son expression juste. Et la première destinataire de cet exercice roboratif d’énergie linguistique est la France : « Une France capable s’assumer son histoire, d’éviter de passer sans cesse de l’apologie éhontée de la colonisation à une repentance obsessionnelle, ou d’osciller entre une défense vétilleuse et une braderie généralisée de sa langue, capable de vouloir que celle-ci puisse redevenir une des expressions de la modernité… Il ne suffit pas de proclamer la diversité culturelle comme idéal, il faut en apporter la preuve. »
Et Hervé Bourges d’appeler à des actions concrètes : « la création de politiques migratoires spécifiques aux pays francophones, la création d’Universités virtuelles de la Francophonie, le comblement de la fracture numérique, la création d’un vrai volontariat francophone, la diffusion hertzienne numérique de la chaîne TV5, la mise en place d’un partenariat public-privé pour un bouquet de chaînes francophones diversifiées (qui seraient offertes gratuitement par satellite aux pays francophones à commencer par le Maghreb)… » Et j’en passe, les suggestions offensives sont légion…
On quitte « Pardon my french » de bonne humeur, plus riche de tout ce qu’on y a découvert, optimiste, fier d’être francophone, et résolument combatif. C’est sans doute la lecture la plus urgente du moment, elle redonne le moral et elle fixe le cap vers l’avenir. « Pardon my French » est une œuvre de liberté. Hervé Bourges, ou l’éternelle jeunesse, celle de la langue, de la pensée, et de l’action.