La star de la musique africaine, Papa Wemba, a été mise en examen ce jeudi dans le cadre d’une affaire de » trafic d’êtres humains « . Le chanteur aurait introduit au moins 300 clandestins congolais en France et en Belgique en les faisant passer pour des musiciens. Il encourt jusqu’à 10 ans de prison.
Ce jeudi 20 février, une légende vivante de la musique africaine, Papa Wemba, est tombée. Shungu Wembadio Pene Kikumba a été mis en examen par le parquet de Bobigny (France). Motif : aide au séjour irrégulier en bande organisée, obtention indue de faux-documents administratifs, usage et trafic de faux. En clair, la star congolaise est fortement soupçonnée d’avoir organisé un trafic d’immigrants clandestins par l’intermédiaire de son groupe, Viva la Musica. Simultanément, un mandat d’arrêt international a été émis par le parquet de Bruxelles sur la personne de Papa Wemba, après l’arrestation de 15 clandestins congolais à l’aéroport de Zaventem la semaine dernière. Ces hommes, qui se disaient membres du groupe du chanteur, n’avaient en réalité aucune compétence musicale. Ceux qui n’ont pas été renvoyés chez eux ont été placés entre les mains de la justice belge pour » trafic d’êtres humains « .
Bourde policière
Arrêtée à son domicile d’Aulnay-sous-bois (banlieue parisienne), la star africaine est donc, depuis 48 heures, placée en garde à vue. Suite à sa mise en examen, Papa Wemba sera, à l’appréciation du juge français, placé en détention provisoire ou remis en liberté sous contrôle judiciaire. » Pour le moment, nous ne savons rien, nous ne savons même pas s’il va bien « , s’inquiètent ses proches. Une bourde des services de police aurait précipité son arrestation. Un fax des services français concernant l’enquête a atterri malencontreusement dans les locaux de Viva la Musica. Belges et Français se renvoient la balle. On ne sait pas qui est à l’origine de la gaffe, mais c’est en tout cas ce qui a conduit les autorités à mettre le chanteur au plus vite sous les verrous. Selon Jozef Coplin, porte-parole du parquet de Bruxelles, le dossier belge devrait prochainement être transféré au juge en charge de l’affaire à Bobigny. C’est donc en France que le prince du Soukouss sera jugé.
Pas de prostitution
A Next Music, sa maison de production, on est encore sous le choc. » On est vraiment très étonnés « , lâche simplement Simon Veyssière, son responsable de promotion. La presse belge s’est déchaînée sur l’Elvis africain. Le Soir évoque même des réseaux de prostitution. Information démentie par les responsables de l’Ocriest* qui ont mené l’enquête en France. » Nous avons ouvert l’enquête fin 2001. Papa Wemba a fait rentrer des gens sur le territoire en les faisant passer pour des musiciens, des accompagnateurs, des techniciens, etc. Nous pouvons affirmer avec certitude qu’il a ainsi fait rentrer au moins 300 personnes. Je pourrais même vous donner les noms. Mais parler de réseaux de prostitutions, c’est faire un amalgame qui n’a pas lieu d’être « , assure Monsieur Gréard, chef de service adjoint. Les services français ne sont pas peu fiers » C’est la première fois que l’on démantèle un réseau qui a ce mode opératoire « , se félicite-t-on au ministère de l’Intérieur.
Arrêtons tous les chanteurs
Pourtant, de l’avis des connaisseurs de l’univers musical congolais, l’affaire Papa Wemba a quelque chose d’injuste. » A ce moment-là, qu’on arrête tous les chanteurs congolais ! C’est un système. Les tourneurs et les producteurs qui font l’interface avec les scènes européennes obligent les chanteurs à faire passer des gens clandestinement ! Et comme les chanteurs ont besoin de faire des concerts en Europe, parce que c’est ça qui leur rapporte de l’argent : ils acceptent. Papa Wemba a eu tort de ne pas dénoncer ce système à la justice, mais il n’est pas » coupable « . Il a simplement été naïf « , estime Lilo Miango, initiateur de la presse musicale en RDC. Miango dirige également la plus importante agence de production d’émissions pour la Radio-télévision de Kinshasa. » Je connais bien Papa Wemba et je connais bien le Congo. Tout le monde a envie de partir de là-bas et il y a ces négriers qui en profitent… »
Le système congolais
Ces » négriers « , ce sont les caïds du trafic de ngulu. En linguala, cela veut dire » cochon « . C’est ainsi que les » passeurs » appellent leurs compatriotes prêts à payer très chers pour un visa sur le territoire européen. Dans l’affaire Wemba, on parle de sommes entre 3000 et 5000 euros (entre 2 et 3,2 millions de F CFA). » Mais là, on est dans le domaine du luxe. Visa européen et passeport. S’il s’agit juste d’un visa et d’un document administratif congolais, c’est moins cher. Je reviens du Congo et j’ai pu constater que les choses se font très simplement là-bas. Notre consulat fonctionne plus ou moins bien. Mais le problème vient surtout de ce que tout s’achète et se vend. Les gens sont prêts à payer très cher pour fuir la pauvreté « , commente Anne-Marie Lizin. Cette sénatrice socialiste belge présente ce jeudi au Sénat un rapport sur la fraude des visas. Pour elle, le cas Wemba n’est qu’un exemple parmi d’autres. A la télé congolaise, il y a même des spots qui tentent de dissuader les Congolais d’avoir recours à ce système. Nombreux sont ceux qui avancent de grosses sommes pour…se voir reconduits aussi sec à la frontière.
Papa Wemba est-il un vendeur de rêve ou une victime du système ? A l’Ocriest, on est formels : » Pour nous, il est personnellement à la tête du réseau. » Ce sera néanmoins à la justice de statuer sur son cas. Le Pape de la sape encourt jusqu’à 10 ans de prison. Ce qui est certain, c’est que, tant du côté français que du côté belge, la méfiance pour les ressortissants congolais monte d’un cran. Et à la question de savoir si d’autres chanteurs africains pourraient être arrêtés pour des motifs similaires, Monsieur Gréard répond simplement que… cela dépend de la place disponible en garde-à-vue.
* Ocriest : Office central de répression de l’immigration irrégulière et de l’emploi des étrangers sans titre
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La chronique du dernier disque de Papa Wemba, Bakala dia kuba.