P comme Printemps


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Miniature persane et Bal à Bougival
Miniature persane (coll. N. Khouri-Dagher) et Bal à Bougival (Auguste Renoir)

« L’Apprentissage » : P comme Printemps. Un livre délicieux sur Internet, sous forme d’abécédaire, pour dire en 100 mots comment la France adopte ses enfants de migrants. « Lettres persanes » d’aujourd’hui qui seraient écrites par une enfant de migrants, petit manifeste sur la double identité culturelle des Français d’origine étrangère, l’initiative de la journaliste/auteur Nadia Khouri-Dagher a séduit Afrik.com qui a décidé de vous offrir deux mots par semaine. A savourer, en attendant la parution du livre…

De A comme Accent à Z comme Zut, en passant par H comme Hammam ou N comme nostalgie, 100 mots pour un livre : L’apprentissage ou « comment la France adopte ses enfants de migrants ». Une oeuvre que la journaliste/auteur Nadia Khouri-Dagher a choisi de publier d’abord sur Internet. Un abécédaire savoureux qu’Afrik a décidé de distiller en ligne, pour un grand rendez-vous hebdomadaire. Une autre manière d’appréhender la littérature…

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PRINTEMPS

Pour les jardiniers du Square Saint-Lambert, à Paris

Aujourd’hui j’ai vu, pour la première fois de la saison, les arbres en fleurs, dans le square près du métro. Cette vision des prunus avec leurs fleurs roses et légères sur les branches nues, car les feuilles n’ont pas poussé encore, m’a remplie de joie: le printemps est là! Nous sommes mi-mars, et à chaque pareille période en France je ressens désormais, comme une jubilation secrète et immense, toute l’euphorie du printemps.

A 15 ans, la description de l’explosion du printemps par Victor Hugo, dans Les Misérables, m’avait impressionnée. Sans avoir jamais relu l’ouvrage de 1500 pages, c’est de ce passage, pourtant guère central au récit, dont je me souviens surtout. Je venais d’un pays où le soleil brille toute l’année, où les arbres, pins des montagnes, oliviers en terrasse, bananiers des plaines côtières, ne se dépouillent pas pendant de longs mois d’affilée, et cette description d’une nature qui s’éveille à nouveau et se métamorphose me semblait tout simplement magique. Je réalise aujourd’hui qu’elle l’est.

J’ai longtemps souffert du temps qu’il faisait à Paris, comme de nombreux émigrés, surtout après mes dix années d’adulte passées au Sud de la Méditerranée et en Afrique. Les hivers me semblaient insupportables, physiquement éprouvants, voire démoralisants. Mais j’ai peu à peu découvert que les Parisiens étaient souvent les premiers à se plaindre du mauvais temps, avant même ceux venus de régions ensoleillées. Même les couvertures de magazines et les devantures de pharmacie exhortaient le peuple, en cette saison appelée basse, à « garder le moral », « garder le tonus », « vaincre l’hiver » – comme des mots d’ordre militaire pour un ennemi à combattre.

Aujourd’hui, c’est la joie des printemps qui m’a permis d’apprivoiser le climat d’Occident. Car si nos arbres de Méditerranée ne se dénudent pas, si nos bougainvillées exhibent douze mois par an leurs couleurs insolentes, si nos lauriers jasmins et chèvrefeuilles ne se découvrent pas au froid, j’ai découvert, en France, tout le bonheur des floraisons de saison. La joie de l’éphémère. La pleine mesure du temps. Le bonheur du printemps.

Lorsque je cours le matin, dans le jardin public parisien près de chez moi, et dès février, j’aime guetter les premiers signes de la sortie de l’hiver, premiers bourgeons des rhododendrons, feuilles nouvelles des hortensias, printemps en gestation, promesses de beautés. En plein mois de janvier, quand le froid est là, le ciel livide, les arbres nus, et que tout le monde se plaint de tout ça, je goûte la joie d’avoir, dans ce jardin, mes pins parasols méditerranéens toujours verts et souriants, mes sapins touffus du Jura, région que mon amie Ariane m’a fait découvrir et que j’aime beaucoup, et même la verte pelouse, résistante aux frimas, devient cadeau en cette nature nue, concentré de plaine, concentré de champ, concentré de vert en cette saison nue, comme dans un jardin zen.

Comme une leçon de vie, les hivers parisiens m’ont appris que, « après la pluie, le beau temps » se goûte pleinement. Mais surtout, qu’au cœur des hivers, se cachent des printemps, pour qui veut bien les voir. Car en hiver dans mon jardin, comme dans tous les jardins parisiens, il y a aussi des fleurs, fleurs d’hiver dont les jardiniers de ces contrées ont le secret: je ne connais pas leur nom, et j’appelle « lilas d’hiver » les fleurs roses odorantes du buisson aux branches rouges, près du bac à sable; « jasmin d’hiver » les fleurs à collerette blanche et au parfum de miel sous le grand néflier; « fleurs de cerises du Japon » les délicates fleurs mauves du jeune arbre près du kiosque à bonbons. Et mes roses magnifiques, les plus belles de toutes les fleurs du jardin, en d’hiver d’été, au parfum enivrant, sont encore là en décembre, quand tout le monde les croit mortes.

Les hivers parisiens m’ont appris à goûter chaque fleur de la vie comme un cadeau. L’hiver à Paris, froid et nu et glacial, a fait naître en moi une passion pour les fleurs, printemps que j’ai domestiqué et que j’accueille chez moi, avec mes géraniums au balcon et mes bouquets en vase, douze mois dans l’année.

Lire l’interview de Nadia Khouri-Dagher

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