Ouverture et limitation des mandats : Idriss Déby a-t-il changé ?


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Idriss Déby Itno, le chef de l’Etat tchadien, est décidément un homme complexe. Celui qui vient d’être à nouveau investi par son parti, le Mouvement patriotique du salut (MPS), pour la Présidentielle du 10 avril prochain, a annoncé son intention d’« adapter » les institutions en modifiant la Constitution pour limiter le nombre de mandats présidentiels.

« La réintroduction du principe de limitations des mandats présidentiels dans la Constitution doit être posée, car il y va de la vitalité de notre jeune démocratie ». Une déclaration hardie, de la part de celui qui avait fait modifier la Constitution en 2004 dans l’autre sens, afin de faire sauter les verrous l’empêchant de se présenter de nouveau. Pourtant, à bien y regarder, cette volte-face n’a rien de saugrenue.

Idriss Déby Itno se défend d’être un cynique ou un opportuniste. Devenu un homme fort de l’Afrique sahélo-saharienne et de l’Afrique centrale, il est apparu en première ligne dans plusieurs crises du continent. C’est donc tout naturellement qu’il vient d’être désigné pour un an à la présidence de l’Union Africaine (UA), qui reconnaît ainsi son expertise et lui confie des questions aussi sensibles que la lutte contre le terrorisme et la médiation dans les pays en crise dans la sous-région, notamment au Burundi ou au Soudan du Sud.

L’importance de s’occuper des « crises sécuritaires »

Interrogé sur son rôle à la tête de l’UA, M. Déby Itno reconnaît l’importance de s’occuper des « crises sécuritaires », même s’il ne s’agit pas de son seul rôle à la tête de l’Union : « Vous ne pouvez pas parler de développement sans la paix et la stabilité. Quand une partie du continent est malade, c’est l’ensemble qui en souffre. Donc, il faut qu’on sorte de ce cycle de violence et d’instabilité pour pouvoir s’occuper du développement. Bien sûr, le développement est aussi une priorité, mais cela va de pair. Nous allons agir sur les deux », a-t-il déclaré dans une interview récente.

Et Idriss Déby Itno sait de quoi il parle. Arrivé au pouvoir en chassant le tristement célèbre Hissène Habré en 1990, il est élu Président pour un premier mandat en 1996, puis pour un second mandat en 2001, un troisième en 2006 et le quatrième en 2011. Entre 2005 et 2010, il doit faire face à la Guerre civile tchadienne, dont les origines remontent à la crise de 2004, lorsque des milices Janjawid, impliquées dans le conflit du Darfour, lancent des raids sur des villes et villages de l’est du Tchad. Le pays, qui faisait déjà face à un afflux de réfugiés en provenance de la République centrafricaine, doit également accueillir 200 000 réfugiés provenant du Darfour. Dans un contexte d’instabilité politique aggravé par les guerres dans les pays voisins, des mouvements rebelles tchadiens actifs depuis les années 1990 contestent l’autorité du Président.

En 2016, six ans après la fin de la guerre civile, le Président estime que le calme est revenu de façon durable et que le principe de limitation des mandats présidentiels peut donc être réintroduit dans la Constitution. Les conditions politiques ayant évolué, la législation doit à nouveau s’adapter

Celui-ci décide alors de modifier la Constitution afin d’assurer à l’Etat tchadien la possibilité de réélire un Président fort (lui, en l’occurrence), possédant une expérience du pouvoir et à même d’assurer la continuité de l’Etat. Sortir le pays du cycle de violence, chercher la paix et la stabilité pour rendre possible le développement étaient déjà ses priorités à l’échelle nationale. En 2016, six ans après la fin de la guerre civile, le Président estime que le calme est revenu de façon durable et que le principe de limitation des mandats présidentiels peut donc être réintroduit dans la Constitution. Les conditions politiques ayant évolué, la législation doit à nouveau s’adapter.

Il faut dire que le Président tchadien a l’habitude de surprendre. Lors de sa première élection, en 1996, il ouvre le gouvernement à une partie de ses adversaires. Alors que certains ont vu dans ce geste une menace pour la consolidation de son autorité, il vient de réitérer son attitude conciliatrice en nommant le député Albert Pahimi Padacké Premier ministre. Candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2006 (il arriva en troisième position avec 7,82 % des voix), M. Padacké s’apprêtait à se présenter contre Idris Déby Itno à la Présidentielle du 10 avril prochain.

Ouverture et volonté de dialogue du Président manifestes

A nouveau, certains ont voulu voir dans sa nomination un effort du Président pour court-circuiter l’opposition et s’assurer le succès lors du scrutin. Ce serait oublier trop vite que M. Padacké n’avait obtenu que peu de suffrages en 2006 et qu’il était également un adversaire peu dangereux cette année. En revanche, l’ouverture et la volonté de dialogue du Président sont de plus en plus manifestes, et la nomination d’Albert Pahimi Padacké s’inscrit dans le droit fil de cette politique d’apaisement et de modernisation. Un leitmotiv qui n’est pas nouveau chez Déby, simplement plus visible en période de paix, quand il n’est pas relégué au second plan par des impératifs sécuritaires, l’essentiel étant d’assurer la sécurité des citoyens.

Par Mathilde Grandjean

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