Les Amazones d’Afrique réunissent trois des plus grandes voix du Mali, qui jouent ici l’esprit d’équipe et non de concurrence : Oumou Sangaré, Mamani Keita et Mariam Doumbia (du duo Amadou et Mariam). AFRIK.COM a rencontré Oumou Sangaré à Marseille, à la veille de son concert, heureuse de se produire dans cette ville souvent baptisée « Porte de l’Afrique ». Marseille où le public apprécie énormément les musiques d’Afrique… et de tous les Suds !
A Marseille
Les Amazones d’Afrique ont enflammé la scène du festival La Fiesta des Suds, qui se tenait à Marseille du 14 au 17 octobre 2015. Premier groupe africain à être composé uniquement de femmes, Et le plus remarquable est qu’aux percussions et à la kora, instruments traditionnellement masculins en Afrique, ce sont aussi des femmes qui assurent, avec Madina N’Diaye à la kora et Mouneissa Tandina à la batterie. Sans oublier les choristes Pamela Badjogo et Mariam Kone. Dans cet entretien, Oumou Sangaré revient sur la vie musicale au mali et évoque sa carrière.
AFRIK:COM : Cela signifie quoi pour vous d’être une chanteuse très populaire au Mali, en 2015 ?
Oumou Sangaré : C’est la volonté de Dieu. Mais aussi, ma popularité vient, je crois, des sujets très sensibles que j’ai abordés dans mes chansons, comme les mariages forcés ou la polygamie, même si j’ai aussi beaucoup chanté l’amour, bien sûr. Et j’ai abordés ces sujets dès mon premier album, en 1990.
Avez-vous rencontré des résistances, dans la société malienne, du fait de ces chansons ?
Non, chose bizarre, non. J’ai dénoncé ces histoires, mais dans la douceur, avec la musique, avec des mots choisis. Et ça a frappé tout le monde, tout le monde a aimé, donc le succès est venu d’un coup !
Y a-t-il des femmes qui viennent vous voir, par exemple après un concert, pour vous dire «Merci Oumou, vos chansons m’ont fait du bien, m’ont donné de la force» ?
Beaucoup ! Et c’est ça qui m’a poussée à créer des entreprises : parce que je rencontre tellement de femmes qui veulent être comme moi, qui veulent réussir comme moi. Dans mes chansons, j’encourage la femme à être autonome, à travailler. Je le chante depuis plus de 20 ans, et j’ai jugé nécessaire de poser des actes concrets. C’est pourquoi j’ai pensé à créer un hôtel, une concession de voitures : j’ai créé ma propre marque de voitures, «Oum Sang», elles sont fabriquées en Chine et vendues au Mali (voir l’article d’Afrik https://www.afrik.com/oum-sang-la-star-africaine-oumou-sangare-donne-son-nom-a-des-automobiles-chinoises ). Mais de nombreuses femmes m’ont dit : « Oumou, on veut faire comme toi, mais il faut de l’argent ». J’ai réfléchi, je leur ai dit « Vous avez parfaitement raison »/ Et je suis allée prendre 10 hectares de champs, et maintenant je cultive, je fais de l’élevage, du maraîchage, de l’agriculture en somme, pour créer des emplois pour ces femmes. Et là, ces femmes ont compris que si je chante, ce que je chante vient du cœur. Parce que beaucoup d’yeux sont braqués sur moi, je suis devenue une sorte de modèle, donc il faut montrer de très bons exemples. Je n’ai pas arrêté d’encourager la femme africaine à se prendre en mains, c’est normal que je sois la première à le faire !
D’où vous vient cette formidable énergie d’entreprendre ? Votre mère avait-elle une énergie à revendre, dont vous avez hérité ?
Ma mère est une brave femme – elle vit encore. C’est une dame de fer, qui s’est retrouvée seule avec 6 enfants, mes frères et sœurs et moi : elle a été abandonnée par un mari polygame qui l’a laissée seule avec 6 enfants. Vous connaissez l’Afrique, il n’y a pas d’aide sociale, c’est chacun pour soi et Dieu pour tous. Elle s’est battue, moi j’étais l’aînée, et j’ai grandi à côté d’une maman brave comme ça, qui m’a donné beaucoup d’énergie. Toute mon énergie vient d’elle.
Lorsque vous avez commencé à chanter, vous a-t-elle encouragée, ou bien au contraire, comme souvent dans les familles, vous a-t-elle dissuadée de mener une carrière artistique ?
Je n’ai pas eu de problème parce que sa maman, ma grand-mère, déjà était une star de la chanson : Noumou Téné Diakité. Un de mes frères a essayé de s’opposer, en disant « il ne faut pas chanter, chanter ce n’est pas bien, ce sont les femmes libres qui chantent, celles qui n’ont pas d’éducation ». Mais ma mère m’a défendue, et elle a toujours été à mes côtés pour me défendre.
Au Mali y a-t-il des chansons très anciennes, que l’on chantait il y a un siècle par exemple, et qui sont devenues des « classiques » toujours chantés aux fêtes et aux mariages ?
Oui, il y en a beaucoup, et les griots chantent beaucoup de ces chansons-là. Moi je ne fais pas partie d’une famille de griots, mais je viens d’une région, le Wassoulou, au Sud-Ouest du Mali, qui est culturellement très riche, et qui a donné beaucoup de stars qui n’ont pas eu la chance d’être connues à travers le monde, comme moi. Et les chansons qui m’inspirent sont celles de cette tradition. Ce que je chante, ce n’est que du wassoulou. Je chante en bambara – la langue wassoulou c’est du bambara, mais avec un accent, comme le français parlé à Montréal – mais dès qu’on entend la musique, on sait que c’est du wassoulou. Et mon hôtel à Bamako s’appelle Le Wassoulou !
Ecrivez-vous les paroles et la musique de vos chansons ?
Oui, à part quelques chansons traditionnelles que je reprends, toutes les chansons sont écrites par moi : paroles et musique. Parfois, je fais venir des compositeurs de musique, mais le plus souvent, je compose moi-même, accompagnée d’un joueur de n’goni (guitare traditionnelle du Mali, ndlr).
L’islamisme qui essaye de s’imposer dans certaines régions du Mali a-t-il une incidence sur la chanson dans ce pays, ou sur vous en particulier, comme on le voit dans le film «Timbuktu» d’Abderrahmane Sissako ?
Non. On chante librement. On est nés musulmans, de parents musulmans, mais on n’est pas des musulmans radicaux. Ces gens-là sont venus nous trouver musulmans, mais on ne va pas abandonner notre religion et suivre des gens qui apportent autre chose dans notre religion, ce n’est pas possible. Ce qu’ils proposent n’a rien à voir avec la religion. La religion c’est dans le cœur. Ils ont essayé d’empêcher les gens de chanter, dans le Nord, mais ça n’a pas marché.
Vous avez chanté, il y a plusieurs années, au festival Africolor, à Saint-Denis en région parisienne, et des milliers de Maliens étaient venus vous écouter. Qu’est-ce que cela vous fait de chanter devant des Maliens expatriés, lorsque vous chantez à l’étranger ?
Moi ça me fait énormément plaisir, mais je crois que les émigrés, ça leur fait encore plus chaud au cœur que moi. Parce que lorsqu’ils me voient sur scène, ça les fait revenir sur leur terre, ça les fait revivre, c’est un énorme plaisir pour eux. Et ce n’est pas seulement en France, mais partout dans le monde. Je me rappelle un concert, au Canada, les émigrés maliens sont venus envahir la scène. Parce qu’ils sont partout dans le monde : je les ai trouvés aux Etats-Unis, et même en Australie. A chaque fois, quand je chante, les émigrés maliens viennent envahir la scène. On leur apporte la famille, la culture. Parfois ils sont en larmes…
Vous êtes souvent venue chanter à Marseille. Que pensez-vous du public marseillais ?
Waouh ! Ils sont Africains ! J’adore le public marseillais ! Ils sont vivants, ils aiment danser, ils sont vivants ! Et je vous annonce que mon prochain album arrive bientôt, Inchallah en 2016 !