Oumar Makéna Diop est « Un Héros », dans le premier long métrage de l’Angolais Zézé Gamboa. Ce film, qui évoque la délicate question du traitement des invalides de guerre en Angola, nous donne un aperçu du talent de l’acteur sénégalais. Rencontre avec un comédien au service de la diversité culturelle.
Oumar Makéna Diop, homme de théâtre dans l’âme, est arrivé très tardivement au cinéma. « Rencontrer les yeux du public et vivre l’intensité de cet échange » est un plaisir inégalable pour l’acteur sénégalais, qui partage sa vie entre son pays natal et la France. Toubab bi, en 1991, pour lequel il se voit attribuer le Bayard d’Or du Meilleur comédien au Festival francophone de Namur (Belgique), est son premier véritable long métrage. Acteur, mais aussi conteur, il est aujourd’hui à la tête d’une maison de production au Sénégal et prépare une série de 13 courts-métrages tirés du patrimoine du conte. Car M. Diop est à l’origine d’un concept dénommé ciné-conte « où l’imaginaire du verbe prolonge les images cinématographiques », explique-t-il. Une vocation qu’il doit à un oncle conteur et à sa curiosité naturelle qui lui a valu d’être traité par sa mère de « garçon aux longues jambes ». Ce qui n’était en réalité pas son cas. Plus tard, il découvrira, qu’elle évoquait son aptitude « à aller à la rencontre des autres et du monde pour finalement se rencontrer soi-même ». Cette ouverture innée aux autres explique peut-être pourquoi l’acteur se retrouve au cœur d’aventures cinématographiques qui sont un hymne à la diversité culturelle. Comme son dernier film, Un Héros, le premier long métrage du réalisateur angolais Zézé Gamboa, qui sort ce mercredi en France. Un film qui retrace le difficile retour à la vie normale, en 2002, d’un homme mutilé de guerre, Vítorio, dans une Angola qui renoue avec la paix après plus de 25 ans de guerre civile.
Afrik.com : Comment avez-vous rencontré Zézé Gamboa, le réalisateur de Un Héros ?
Oumar Makéna Diop : Je l’ai rencontré au Festival d’Amsterdam, en 1991, où l’on avait présenté Toubab bi. Ensuite, nous nous sommes perdus de vue. Et puis, il a pensé à moi pour ce film. C’était assez étrange qu’un réalisateur lusophone aille chercher un acteur francophone, un Sénégalais qui n’a, a priori rien à voir avec la guerre en Angola. Mais Zézé Gamboa a pensé que ce serait bien. En dehors du fait qu’il y ait aujourd’hui peu d’acteurs professionnels en Angola et que je puisse incarner le personnage, il a estimé qu’il était temps de faire tomber les barrières en Afrique. J’ai trouvé cette expérience particulièrement intéressante, car c’était la première fois que je travaillais dans un pays lusophone, la barrière de la langue n’a pas du tout constitué un handicap. Moi, je jouais en français et les autres en portugais mais nous nous comprenions très bien. En Afrique, nous sommes trop cloisonnés sous prétexte que les films que l’on fait sont liés à un modèle culturel particulier. C’est vrai qu’il y a des Afriques, mais je trouve que c’est un peu exagéré.
Afrik.com : Alors expliquez-nous comment on entre dans la peau d’un estropié, d’un mutilé de guerre…
Oumar Makéna Diop : Bien que je connaisse l’histoire de ce pays, où je séjournais pour la première fois, j’ai eu un choc en arrivant en Angola en 2002 pour le tournage. C’était la fin de la guerre, j’y voyais les stigmates dans la ville de Luanda. Il faut dire qu’on appréhende mieux les ravages que peut causer la guerre dans le cœur des gens, surtout sur un continent qui est le théâtre de nombreux conflits. Je regardais aussi les gens, il y avait un ballet incroyable de personnes qui marchaient normalement et puis d’autres qui « jetaient » la jambe. On comprenait alors qu’il y en avait beaucoup qui portaient une prothèse. C’est une image qui m’a marqué. Et c’est cette démarche que j’ai essayé d’adopter dans le film, c’est très difficile. Tout comme d’avoir la jambe pliée – c’est le cas pendant 60% du film -, c’est une douleur atroce que j’ai appris à relativiser quand je la compare à celle de Matteo, un gosse de 22 ans, celui qui m’a doublé et qui, lui, a véritablement perdu sa jambe à la guerre. A l’instar du personnage principal de Un Héros. Se dire que l’on comprend la douleur d’autrui, c’est une chose, savoir se mettre à sa place, c’est encore autre chose. C’est surtout une autre manière de comprendre, de mieux comprendre. Et moi, je me suis dit que si j’avais l’opportunité de représenter tous ces mutilés de guerre, il fallait que j’accepte le fait que cette douleur était relative. C’est Matteo qui m’a montré comment me servir de la prothèse et qui m’a permis de me familiariser avec le quotidien d’un estropié. Parfois, je sentais le désespoir dans ses yeux. Mais quand il m’apprenait les gestes qui jalonnent sa vie, il le faisait avec un sérieux tel que j’avais l’impression que c’était, pour lui, une façon de dépasser son destin.
Afrik.com : Cette volonté de s’accrocher à la vie, vous le rendez bien à l’écran car votre personnage est très séducteur…
Oumar Makéna Diop : Je ne vois pas pourquoi ils n’auraient pas le droit de rêver. Vítorio rêve d’un amour impossible avec Joana, le premier rôle féminin. Mais avec Júdite, c’est différent car elle aussi, elle a une histoire : elle cherche à retrouver son fils qu’elle a abandonné en fuyant la guerre. En se rendant notamment à ce que lui appelle « Le point de rencontre », connu de tous les Angolais, où des personnes munies de photos sont à la recherche de membres de leurs familles.
Afrik.com : Qu’est-ce que ce film a éveillé en vous ?
Oumar Makéna Diop : Je savais déjà que la souffrance était intolérable. Surtout pour quelqu’un qui aime la liberté, qui croit que chaque être humain doit jouir de tous les dons dont il est naturellement doté. Mais vivre ça de l’intérieur, comme je vous le disais tantôt, permet de se sentir un peu plus concerné. De se sentir l’âme d’un militant afin que ceux qui souffrent puissent trouver une solution à leurs problèmes. Jouer Vitorio a éveillé en moi un engagement qui ne m’a jamais quitté. Car j’ai appris à faire mon métier dans l’engagement. Quand j’étais au Sénégal et que j’ai fini avec le Conservatoire, j’ai refusé, avec tout un groupe, d’intégrer le théâtre national géré par l’Etat. Nous avions décidé de travailler avec ce qu’offrait notre environnement pour revendiquer notre liberté. Nous avions alors la fougue de la jeunesse et nous souhaitions être les porte-voix de ceux qui souffrent. Et où que j’aille, je suis toujours habité par cet engagement que je n’hésite pas à mettre, dans la mesure du possible, au service des causes qui m’interpellent.
Afrik.com : Dans ce film, il est en effet question des dégâts que causent les mines antipersonnelles…
Oumar Makéna Diop : C’est dur… Il y a encore en Angola des millions et des millions de mines antipersonnelles. Car paraît-il, après le Cambodge, c’est l’Angola qui en compte le plus au monde. Nous avons tourné dans des lieux déjà sécurisés par l’armée.
Afrik.com : Au total, c’est un film difficile, mais aussi plein d’espoir…
Oumar Makéna Diop : Heureusement d’ailleurs ! C’est cela aussi la force des Africains, car dans la douleur et dans la misère, ils trouvent toujours la force et l’énergie de surmonter leur détresse. Un simple constat le prouve : on se suicide moins en Afrique qu’en Europe où les pays sont dit développés.
Afrik.com : A part Un Héros, quelle est votre actualité et quels sont vos projets ?
Oumar Makéna Diop : Je viens de terminer un film sur les orpailleurs, Rêve de poussière, qui a été tourné dans le sahel burkinabé. Il est actuellement en montage au Canada. Je joue également dans Souli, un film adapté d’Othello de Shakespeare qui devrait sortir en mai prochain. J’incarne Souli, un conteur sénégalais à qui un jeune espagnol veut arracher un secret qu’il préserve depuis des lustres. Et je vais tourner, entre janvier et mars 2006, un film intitulé Business Class qui évoque la récente immigration des gens de l’Est en Europe. Je joue un Congolais marié à une Ukrainienne qui essaie de le rejoindre au Portugal.
Afrik.com : En 2001, vous avez été sacré Meilleur acteur au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) pour votre interprétation dans Battu du Malien Cheick Oumar Sissoko (Mali). Que vous inspire le cinéma africain ?
Oumar Makéna Diop : Quand tu montes dans le bateau de quelqu’un, tu es souvent obligé de chanter sa chanson. Un cinéma qui est financé à 100% par l’extérieur est forcément dénaturé. Et nos Etats n’ont aucune volonté politique d’investir dans le cinéma africain. Un cinéma, souvent plein de clichés, avec des réalisateurs qui n’ont pas les budgets nécessaires pour donner corps à leurs projets. Et qui sont souvent contraints de renoncer à la collaboration d’acteurs professionnels susceptibles de mieux servir leurs films.
Un Héros de Zézé Gamboa
avec Oumar Makéna Diop, Milton Coelho, Patrícia Bull, Maria Ceiça
Durée : 1h37 mn
Sortie française : 7 décembre
Pour réagir à cet article, rendez vous sur le Forum Cinéma d’afrik.