Non au projet de loi sur les relations matrimoniales ! C’est le cri du cœur des musulmans ougandais, qui ont marqué leur désapprobation du texte en manifestant, mardi dernier, dans les rues de la capitale. Pour eux, il en va de la protection de leurs croyances, notamment en ce qui concerne le mariage polygame. Les associations féminines et des droits de l’Homme émettent, quant à elles, des avis partagés quant au contenu du texte.
Le projet de loi de la discorde. Les parlementaires ougandais étudient un texte destiné à réformer et consolider la loi pour garantir l’égalité entre hommes et femmes pendant le mariage, à la séparation et au divorce. Un texte qui soulève une vive opposition chez les musulmans du pays (ils représentent 12,1% de la population). Ils lui reprochent notamment de menacer la polygamie, type de mariage autorisé par le Coran. Pour manifester leur opposition au projet de loi honni, quelque 7 000 fidèles, selon les informations recueillies par le journal ougandais The Monitor, sont descendus dans les rues de Kampala, la capitale ougandaise. Les associations féminines et de défense des droits de l’Homme du pays émettent de leur côté des avis partagés quant au contenu du projet de loi.
Les parlementaires trancheront dans « une dizaine de jours »
Lors de la manifestation on pouvait lire des slogans très hostiles, et parfois même guerriers, concernant le dit projet de loi, déposé au parlement depuis décembre 2003. The Monitor rapporte que certaines pancartes et autres banderoles arboraient des messages tels que : « Ne touchez pas à notre Constitution : le Coran », « Laissez le Coran tranquille ou nous allons vous déclarer une Jihad (guerre sainte, ndlr) » ou encore « Ne nous forcez pas à devenir des terroristes ».
Au terme de leur marche, les manifestants, parmi lesquels quelques femmes, ont remis un mémorandum d’une vingtaine de pages à la vice-présidente du Parlement, Rebecca Kadaga. « Je l’ai lu, mais je ne peux pas faire de commentaires pour le moment parce que le texte est débattu par les parlementaires », a-t-elle simplement expliqué à Afrik.com. Elle ajoute qu’« ils (les parlementaires, ndlr) diront s’ils adoptent ou rejettent le projet de loi d’ici une dizaine de jours ».
La polygamie pas interdite, mais menacée
La Commission des droits de l’Homme d’Ouganda (UHRC) a, pour sa part, « recommandé au parlement l’interdiction de la polygamie », estimant qu’elle touche à « l’intégrité et à la dignité de la femme », explique Birabwa Nsubiga, directrice du département juridique de l’UHRC. « D’autant plus que les hommes ne demandent même plus l’accord de leur première femme comme avant. [Pour ce qui est de la manifestation des musulmans], le Coran spécifie bien que si un homme prend plusieurs femmes, il doit pouvoir toutes les aimer de la même façon, ce qui est humainement impossible », poursuit-elle.
Mais le texte débattu reconnaît la polygamie comme une forme de mariage et ne fait donc pas mention de son abolition. Toutefois, certaines de ses dispositions peuvent, de fait, mettre en péril la polygamie. En cas d’adoption, le mari qui veut prendre une seconde femme devra notamment demander l’accord de sa première épouse. Par ailleurs, les cadeaux et la dot seront interdits pour valider un mariage. Or, ce rituel est indispensable pour célébrer une union musulmane, mais aussi d’autres, régies par le régime coutumier, par exemple.
Le projet de loi « viole les enseignements de l’islam »
Une clause que les musulmans considèrent comme une entrave à leur culte. Parmi eux, en majorité des hommes. Mais les femmes ne sont pas en reste. « Notre association n’est pas d’accord avec ce projet de loi. Elle estime qu’il viole les enseignements de l’islam. Le mariage est une forme de culte et nous voulons l’accomplir comme le Coran nous le régule. Si la polygamie doit être interdite, alors ce doit aussi être le cas pour la cohabitation », assène Hadijah Kibira, de l’association la Vision des femmes musulmanes d’Ouganda.
Les musulmans ne seraient pas les seuls concernés si le projet de loi était adopté. « Dans la plupart des cultures d’Ouganda, il est permis d’épouser plusieurs femmes. Il n’y a donc pas que les musulmans qui ont plusieurs épouses », souligne Birabwa Nsubiga. « Je connais des chrétiens qui sont opposés à ce texte, même s’ils ne le font pas ouvertement. En général, les hommes ne sont d’accord avec ce projet de loi », renchérit avec assurance Khadijah Kibira.
Associations globalement satisfaites…
Le texte ne connaît pas que des opposants. Irène a 25 ans. Elle est chrétienne et elle considère que le texte a de très bons côtés. « Le fait qu’après un divorce les biens soient partagés équitablement est une idée que je supporte, comme ce qui est prévu contre les violences domestiques », justifie-t-elle. La Coalition du projet de loi sur les relations matrimoniales, qui regroupe 41 associations de femmes et de droits de l’Homme, se satisfait majoritairement, dans un document établissant sa position sur les sujets qui peuvent causer un « contentieux », du projet de loi. Même si elle souligne fortement que la reconnaissance de la polygamie est le point qui pèche.
« La Coalition n’insinue absolument pas que le DRB (le projet de loi sur les relations matrimoniales, ndlr) va résoudre TOUS les problèmes associés à l’inégalité et aux injustices basées sur le genre, mais, au moins, LA PLUPART de ces problèmes (…) dans les institutions et de la famille seront résolues. Donc, dans son essence, le DRB a pour but de créer des familles harmonieuses en Ouganda », peut-on lire sur le supplément du mémorandum soumis, le 25 novembre dernier, au Comité des affaires légales et parlementaires sur le projet de loi sur les relations matrimoniales.
…mais 20 amendements et 12 recommandations proposés
Cette Coalition cite notamment comme points positifs l’interdiction des cadeaux et autres dots pour valider un mariage, la reconnaissance du viol marital, l’égalité homme-femme devant l’adultère et le paiement de la pension alimentaire ou encore la suppression de l’obligation du mariage par lévirat d’une femme qui a perdu son mari. Toutefois, elle regrette le projet de loi ne se penche pas sur d’autres thèmes, qu’elle juge cruciaux. « Les violences sexuelles, hormis le viol marital, la reconnaissance du travail non rémunéré de la femme au foyer ou encore l’éducation des enfants ne sont pas du tout traitées dans ce projet de loi. Par ailleurs, il n’y a toujours pas de définition claire de ce qu’est la cohabitation et il y a des lacunes en ce qui concerne la propriété individuelle dans le cadre du mariage », précise Salomé Kimbugwe, coordinatrice nationale du Réseau des femmes d’Ouganda, qui chapeaute pourtant la Coalition.
Les récriminations ont été consignées dans un rapport du Comité des affaires légales et parlementaires sur le projet de loi sur les relations matrimoniales. Un rapport qui a été remis aux parlementaires et où sont répertoriés 20 amendements et 12 recommandations. « Si le projet de loi est voté sans la prise en compte des diverses recommandations, il ne changera rien à la vie des femmes, conclut Salomé Kimbugwe. Dans ce cas, mieux vaut ne pas avoir de loi qu’une mauvaise loi. » Pour l’heure, les parlementaires planchent sur le projet de loi et le rapport du Comité.