Comment mieux impliquer la jeunesse dans le débat public ? Comment les médias classiques doivent-ils désormais traiter la politique, sous la pression des médias sociaux ? Telles étaient principales questions débattues à l’Université de Makerere, à Kampala,le 22 mars 2017, pour la troisième journée de la semaine de l’amitié franco-ougandaise.
C’est à un débat très animé que l’Ambassadrice de France Stéphanie Rivoal et l’Université de Makerere avaient convié les étudiants et les téléspectateurs de NBS TV en ce troisième jour de la semaine de l’amitié franco-ougandaise. Sous la houlette du présentateur vedette de NBS TV, Samson Kasumba, étaient notamment présents Robert Kabushenga, CEO du groupe de médias VISION, et Rosebell Kagumire, journaliste spécialise des Médias, qui débattaient avec Cyrielle Hariel, journaliste indépendante, très active sur les Médias sociaux, et sur Ushuaïa TV, et avec Olivier Zegna Rata, Directeur des relations institutionnelles et internationales de Radio France… mais aussi des jeunes français et ougandais appelant d’une seule voix à un rajeunissement de la classe politique dans leurs pays respectifs : Isabelle Akiteng (Uganda Youth Network) Ivan Rugambwa, jeune commentateur politique, Claire Sergent, de l’Université de Paris Dauphine, et Stevie Coudray, étudiant en Sciences politiques à la Sorbonne.
Le rôle des médias est premier dans l’animation du débat politique et dans la formation de l’opinion publique, ainsi que le rappela Olivier Zegna Rata, se référant au Président de Radio France, Mathieu Gallet, et insistant à la fois sur les règles qui leur sont à ce titre imposées en France (en particulier l’égalité des temps de parole en période électorale entre les différents candidats) et sur la nécessité de protéger l’indépendance des journalistes dans la couverture de l’information politique, notamment grâce à la présence d’une radio et d’une télévision publiques fortes et bien financées.
Robert Kabushenga exprima la même confiance dans la protection de l’indépendance des médias, insistant sur le fait que la neutralité n’était pas possible, mais que le pluralisme était essentiel, ainsi que le souci de l’objectivité, et le refus de reprendre les « fausses nouvelles » (fakenews) qui abondent sur les réseaux sociaux. Se référant à des événements dramatiques récents (l’assassinat du numéro 2 de la police ougandaise) il souligna le fait que les informations qui circulaient sur les réseaux sociaux ne furent réellement crues par le public que lorsqu’elles furent corroborées et exprimées par les médias traditionnels.
Samson Kasumba avec pertinence relança la réflexion en s’interrogeant sur l’usage des « fakenews » par les politiques eux-mêmes, et par les plus puissants d’entre eux, à commencer par le président des Etats-Unis Donald Trump. Une information inexacte peut même être à l’origine de conflits armés, comme on le vit il y a quelques années avec la dénonciation de la fabrication d’armes chimiques par l’Irak, à la tribune de l’ONU, par le président américain Georges Bush, justifiant la guerre en Irak, alors même que cette information se révéla fausse. Comment un journaliste peut-il être crédible, même s’il défend les faits et la vérité, quand un chef d’Etat affirme péremptoirement une contre-vérité ? Devient-elle alors une post-vérité ? Une vérité auto-réalisatrice ?
D’où l’importance première d’un maintien sur les réseaux sociaux des principes de base du journalisme, le « fact checking », vérification systématique des faits. Olivier Zegna Rata défendit avec force cette idée, évoquant la création par Radio France d’une « agence interne » chargée justement de valider toutes les informations avant leur diffusion à l’antenne.
Pour autant faut-il rejeter tout ce qu’apportent les réseaux sociaux en matière d’innovation et d’informations alternatives ? Certainement pas, plaida Cyrielle Hariel, prônant l’indépendance et la liberté que lui donnent les réseaux sociaux dans le traitement des sujets les plus actuels et les plus sensibles, comme les questions de l’environnement, du changement climatique, des migrations et des réfugiés, des dérives commises par certains grands acteurs économiques, en matière d’exploitation du travail ou de surexploitation des ressources naturelles… Car la liberté de l’information sur Internet permet aussi l’engagement et un traitement approfondi de sujets qui « dérangent » certains propriétaires de médias privés…
L’intervention des jeunes débatteurs ougandais et français apporta alors un tour plus polémique aux discussions : réclamant un véritable rajeunissement de la classe politique et une rupture avec certaines pratiques actuelles (Stevie Coudray évoquant les affaires financières impliquant plusieurs candidats à l’élection présidentielle en cours en France). A la question insistante de Samson Kasumba qui lui demandait s’il pensait que sa génération ferait confiance à un candidat de 26 ans pour diriger la France, il souleva des applaudissements en répondant que oui, pourquoi pas, dès lors que ce candidat défendrait de bonnes idées…
Et Isabella Akiteng, tout comme Ivan Rugambwa, défendirent également le principe d’un rajeunissement des problématiques et des manières de voir la politique et l’action publique, plus en prise sur les enjeux de notre époque, qu’il s’agisse de moeurs ou d’enjeux écologiques globaux. Défendant à la fois la responsabilité individuelle et la nécessité d’une action collective, en matière de sexualité, de santé (face à la surnatalité ou au VIH), mais aussi de répartition des richesses dans la société.
Avec au final cette réflexion pleine de justesse de Robert Kabushenga sur les effets à terme des nouveaux médias numériques : il faut avoir confiance dans la capacité des citoyens à trier le bon grain de l’ivraie, et c’est par la qualité de l’information que, sur les réseaux sociaux également, les meilleurs acteurs se distingueront et pourront acquérir la crédibilité qui est aujourd’hui remise en cause pour les médias traditionnels. Assez vite, l’internaute apprend à trier ! Vision optimiste d’un vingt-et-unième siècle plus médiatique que jamais, mais où les acteurs qui recherchent la vérité dans l’information, plus que le sensationnel, ou le démagogique, devraient rapidement se distinguer des autres.
Ainsi cette journée académique organisée autour de la thématique « jeunesse, médias et politique » a-t-elle tenu toutes ses promesses, montrant la grande proximité des enjeux de l’information en Afrique et en Europe, confrontées aux mêmes défis à la fois technologiques et démocratiques. Et le même souci des professionnels de l’information de faire une place réelle aux attentes, aux usages et aux préoccupations de la jeunesse. Faut-il rappeler qu’en Ouganda la majorité de la population a aujourd’hui moins de vingt ans ?