Les jeunes filles soldats, enrôlées dans les forces armées rebelles et gouvernementales du continent africain, sont les oubliées des après-guerres. Essentiellement en raison du sexisme qui préside à l’élaboration des programmes de réinsertion des enfants soldats, selon les auteurs de Où sont les filles?, une étude basée sur les conflits mozambicain, sierra léonais et angolais. Le processus de désarmement au Liberia, qui a repris le 16 avril, après quatre mois d’interruption, ne devrait pas déroger à la règle.
Où sont passées les filles enrôlées dans les forces armées, rebelles ou gouvernementales, des pays africains ? Pas dans les camps de désarmement et de réinsertion de l’ONU, en tout cas, ou ont les comptes sur les doigts de la main. Parce que nombre d’entre elles, le conflit terminé où l’évasion réussie, choisissent de rentrer en catimini dans leur communauté d’origine. Mais surtout parce que « des biais sexistes ont faussé la conception et la mise en œuvre des programmes de Désarmement, démobilisation et réhabilitation (DDR). Ce qui a fait que les filles ont été, à peu de choses près, exclues des programmes et des allocations de DDR ». C’est l’une des conclusions des chercheuses Susan McKay et Dyan Mazurana, révélée à l’issue de trois ans et demi de recherches sur les conflits récents ou en cours au Mozambique, en Angola et en Sierra Leone.
Trois ans et demi durant lesquels elles ont interrogé de jeunes ex-combattantes, ainsi que des fonctionnaires de l’ONU, des gouvernements locaux et des ONG locales et internationales qui œuvrent sur le terrain. Leur but : faire évoluer les mentalités de ces mêmes acteurs, qui font passer au second plan la réinsertion des filles soldats. Leurs conclusions, réunies dans un livre intitulé « Où sont les filles », ont été présentées le 3 mars dernier devant la Commission du statut de la femme des Nations Unies. L’organisme international a depuis inséré un CD Rom pédagogique, qui reprend les résultats de cette recherche, dans le pack de ses futurs fonctionnaires.
Démonter un AK pour rentrer
« Mais ces conclusions n’ont pas été prises en compte pour restructurer les camps de désarmement qui ont rouvert leurs portes, le 16 avril dernier, au Liberia », estime Ariane Brunet, coordinatrice du projet qui a fait le voyage en Sierra Leone à plusieurs reprises. Et pour cause, le processus de DDR de Sierra Leone est considéré comme un modèle par les responsables onusiens et sert d’exemple à celui du Liberia. Pourtant, se souvient la responsable de « Droits et Démocratie » (organisation canadienne non partisane), « aucuns des besoins spécifiques d’une jeune fille n’était pris en compte dans les camps de réinsertion sierra léonais ». Ces dernières « étaient tout simplement parquées dans un lieu, sans aucune sécurité vis à vis de l’écrasante majorité de garçons qui se trouvaient là ». De fait, les quelques filles qui étaient parvenues à franchir les portes du camp finissaient rapidement par fuir. Sur les 22 500 enfants qui composaient le mouvement rebelle sierra léonais du Front uni révolutionnaire (RUF), 7 500 étaient des filles. Seules 43 d’entre elles ont participé au programme de DDR, contre 3 229 garçons.
Dans leurs recommandations, Mc Kay et Mazurana incitent les Nations Unies, les gouvernements et les ONG internationales à « reconnaître que le fait d’exiger la possession d’une arme et la connaissance de son maniement, comme billet d’entrée au programme de DDR, en bloque l’accès à de nombreuses filles ». En effet, si ils en sont en théorie dispensé, les témoignages des enfants prouvent qu’ils doivent le plus souvent remettre une arme et effectuer le test du démontage-remontage d’un AK 47 pour accéder aux programmes, comme c’est le cas des adultes. « Le but principal des autorités », avoue Ariane Brunet, « est de retirer les armes des combattants. Et ce test ne fait que conforter les acteurs locaux et internationaux dans leur idée que les filles, dans ces conflits, ne sont que des « civiles associées aux troupes ».
Une notion simpliste dans laquelle « militaires, représentants gouvernementaux et fonctionnaires de l’aide » plaçaient « les femmes, les filles et leurs enfants pour ne pas avoir à s’en occuper », estiment les auteurs. « Outre le fait que le nombre de femmes enrôlées dans les groupes armés est sous-estimé, leur fonction est trop souvent réduite à celle d’« esclaves sexuelles » ou d’« épouses captives », explique Ariane Brunet. « Alors qu’elles étaient chargées de l’espionnage, de la formation des enfants kidnappés, des pillages, notamment de produits médicaux… »
Un retour difficile
Autant d’expériences, qui, paradoxalement, font prendre confiance en elles à ces jeunes filles, cantonnées à des rôles moindres dans leurs sociétés traditionnelles. « Leur visage revit lorsqu’elles racontent les décisions prises pour le pillage d’un lieu, pourquoi à tel moment et par tel endroit, comment… », explique Ariane Brunet. Celles qui décident de reprendre le chemin du foyer familial éprouvent ainsi de grandes difficultés à se réadapter et à reprendre les tâches qui leurs sont dévolues. Et plus le temps de captivité est important, plus elles seront décrites comme nerveuses, agressives… les signes de leur difficile réinsertion.
Le fait est que le temps de captivité moyen des ex-combattantes est de 4 à 12 ans. Un temps assez long pour leur permettre, contre leur gré, de procréer. Et le retour dans le village d’origine avec un enfant est encore plus difficile. En plus de la honte d’avoir été violées, les jeunes mères condamnent leur enfant à être éternellement stygmatisé comme le fils d’un rebelle. Elles se condamnent également presque automatiquement à ne pas retrouver de mari. C’est pourquoi certaines « épouses captives », devant l’absence de perspective, préfèrent devenir l’épouse officielle d’un rebelle.
Seule solution, pour elles, se former. Elles « considèrent la formation professionnelle et l’accès à l’éducation comme la clé de leur réinsertion sociale », expliquent Mc Kay et Mazurana. Il ne faut pas perdre de vue que nombre d’entre elles ont été arrachées aux bancs de l’école primaire. Reste aux acteurs « fonctionnaires de l’aide » à leur donner les moyens de reprendre leur vie en main.
Où sont les filles ? de Susan McKay et Dyan Mazurana
Avec le partenariat de « Droits et Démocratie ».
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