La rédaction d’Afrik lance une série d’articles sur les OGM en Afrique. Elle donnera la parole aux partisans des OGM et à leurs opposants. Elle fera aussi l’état des lieux dans plusieurs pays africains. Au lecteur de se faire son opinion. Pour le premier article de cette série, le chercheur Alain Weil explique que les OGM sont une chance pour le Continent.
Alors que la polémique autour des Organismes génétiquement modifiés (OGM) bat son plein en Occident, certaines voix s’élèvent pour mettre en avant les avantages que pourrait apporter la culture des OGM dans les pays en développement, notamment sur le plan de la sécurité alimentaire. Contrairement aux pays asiatiques – notamment la Chine -, les pays africains restent encore très prudents sur ce thème. Analyse de la situation avec Alain Weil qui coordonne la politique en biotechnologie du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad ).
Afrik : La culture des OGM sera-t-elle bientôt une réalité en Afrique ?
Alain Weil : Les pays africains ne peuvent pas se désintéresser de cette question. Ils sont pour la plupart dans une phase d’observation. Ils doivent, avant d’entreprendre quoi que ce soit, compléter leur dispositif législatif, affirmer leur capacité à le mettre en oeuvre et définir leur propre politique pour les OGM. Je pense que lorsqu’il y aura des » success stories » dans des pays en développement, nous observerons un phénomène d’imitation – qui pourrait d’ailleurs entraîner une trop grande précipitation. Dans les années à venir, il y aura des expérimentations limitées et c’est bien qu’elles le restent ainsi pour le moment.
Afrik : Où en est la recherche en Afrique ?
Alain Weil : Actuellement, les capacités de recherches propres sont très limitées en Afrique, contrairement à la Chine, qui est le 4ème utilisateur d’OGM en grande surface au monde. Seule l’Afrique du Sud a déjà développé des recherches importantes. L’Afrique est certainement le continent sur lequel il se passe le moins de choses au niveau des OGM. En Afrique de l’Ouest comme au Maghreb, les pays restent très prudents. Il n’y a que l’Ethiopie qui se soit fait le porte-parole des anti-OGM car elle redoute que ces techniques, développés par les pays industrialisés, creusent un peu plus le fossé Nord-Sud.
Afrik : Les OGM peuvent-ils assurer la sécurité alimentaire du Continent ?
Alain Weil : Ils offrent en effet des perspectives intéressantes dans le domaine de la sécurité alimentaire. Mais » OGM » est un terme très général. C’est un ensemble de technologies. Les OGM ne sont pas des solutions miracles, ce sont des outils. Les OGM peuvent apporter beaucoup de choses, mais pas seuls : ils doivent être utilisés en complément d’autres pratiques comme la sélection des variétés, la lutte contre les parasites, une bonne gestion de l’eau, etc.
Afrik :Quels avantages représentent les OGM pour l’Afrique ?
Alain Weil : Grâce aux biotechnologies, on pourrait utiliser des surfaces actuellement impropres à l’agriculture – les sols étant trop acides ou trop alcalins. Cela permettrait de produire plus sans pour autant » déforester » ou cultiver trop intensivement sur des terres déjà faibles. Certaines plantes pourraient être modifiées afin d’utiliser au mieux l’eau du sol. Les OGM pourraient favoriser la production et les revenus des agriculteurs, notamment les plus petits qui n’ont pas les moyens d’acheter des produits de traitements. Les OGM offrent des perspectives intéressantes, mais nous n’avons pas encore de plantes dépourvues d’inconvénients qui nous poussent à encourager leur culture dans les pays en développement.
Afrik : Quels sont les risques écologiques ?
Alain Weil : Quand on relâche des organismes nouveaux dans une région dont ils ne sont pas originaires, ils peuvent se développer au détriment d’autres espèces. Ils peuvent se croiser avec d’autres organismes. Cela ne veut pas dire qu’il y ait danger, mais que cela peut se produire et il faut évaluer toutes les conséquences. On peut imaginer une plante résistant à la sécheresse qui communiquerait ce gène à certaines mauvaises herbes. Ces dernières risqueraient de devenir plus invasives et de ne plus disparaître à la saison sèche. Mais ce problème se pose aussi avec les pesticides qui développent des résistances chez les insectes.
Afrik : Existe-t-il d’autres risques ?
Alain Weil : Des risques sanitaires, comme l’apparition de nouvelles causes d’allergie, mais ce risque existe déjà traditionnellement. On sait par exemple que le manioc devient toxique si on ne le traite pas correctement. Il y a aussi des risques économiques et sociaux. Dans le domaine de la propriété industrielle, il y a le risque d’une concentration des entreprises du secteur. La production de semences améliorées par un petit nombre peut rendre difficile leur accès aux petits producteurs. La mise à disposition d’un nombre restreint de produits pourrait aussi appauvrir l’écosystème. Il peut y avoir des conséquences économiques si les prix des OGM sont trop élevés. Mais encore une fois, l’accès aux semences (non modifiées) est un problème général qui se pose aux pays en développement.
Afrik : Le riz, principale denrée alimentaire du continent, fait-il l’objet de recherches spécifiques ?
Alain Weil : Différentes recherches sur le riz se poursuivent et s’orientent vers la production de plants spontanément résistants aux insectes ou aux virus, nécessitant donc peu de traitements, ce qui est un aspect phytosanitaire important. On peut également améliorer les qualités traditionnelles de certaines espèces. On sait que certaines variétés traditionnelles causent des allergies et l’on peut supprimer ce facteur allergène. Ou un riz spontanément enrichi en vitamine A car on sait que la carence de cette vitamine rend aveugle des milliers de personnes dans le monde chaque année. Evidemment, cela ne remplacerait pas d’autres aliments riches en vitamine A, mais cela aurait un intérêt dans des pays ou le régime alimentaire risque de ne pas trop changer dans les années à venir.
Afrik : Dans le domaine de la recherche, existe-t-il une coopération entre le Nord et le Sud ?
Alain Weil : Les recherches menées dans les pays industrialisés sont applicables aux pays en développement. Par exemple, les recherches sur un coton résistant aux insectes ont été développées aux USA, mais les résultats sont extrapolables aux pays du Sud. Il y a également des organismes de recherche nationaux qui développent directement des plantes transformées, comme le manioc ou la patate douce. Dans ce cas, la coopération Nord-Sud fonctionne.