Le Bureau pour le volontariat au service de l’enfance et de la santé (BVES) de Bukavu (RDC) participe à la démobilisation et la réinsertion des enfants combattants. Un travail de longue haleine, et dangereux. Murhabazi Namegabe, directeur des programmes du BVES, revient sur ce sacerdoce à l’occasion de la Journée internationale des enfants-soldats du 12 février.
Officiellement, en République Démocratique du Congo (RDC), les enfants de moins de 18 ans ne doivent pas être recrutés pour faire la guerre. Officieusement, ce sont des milliers de jeunes garçons et filles, parfois seulement âgés d’une dizaine d’années, qui combattent aux côtés des forces et groupes armés loyalistes ou rebelles.
Le Bureau pour le volontariat au service de l’enfance et de la santé (BVES) est basé à Bukavu, dans le Sud-Kivu, en proie à des conflits opposant notamment l’armée régulière (FARDC) aux rebelles hutus des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). C’est donc tout naturellement que libérer les enfants enrôlés est devenu l’une des principales missions du BVES.
Le processus de réinsertion est assuré par les quelque 200 personnels de santé, psychologues, nutritionnistes, juristes et autres sociologues du Bureau. L’équipe multidisciplinaire compense le manque de fonds avec l’appui, technique notamment, que lui offre l’Unicef, diverses ONG ou encore la Mission des Nations Unies en RDC (Monuc). Murhabazi Namegabe, directeur des programmes du BVES depuis 1996, revient sur ses actions en faveur des enfants-soldats.
Afrik.com : Quelles stratégies utilisez-vous pour convaincre les FARDC de vous remettre les enfants ?
Murhabazi Namegabe : Le BVES a mis en place un programme de formation des officiers des FARDC. Ce programme se focalise sur l’enseignement du concept d’enfance, la prévention du recrutement, l’exploitation sexuelle et la libération des enfants, conformément aux textes juridiques internationaux, régionaux et nationaux. Il est aussi question de la responsabilité pénale du commandant vis-à-vis des violations des droits des enfants commis par son groupe armé. Cette négociation nous permet d’obtenir fréquemment la sortie des enfants, malgré une certaine résistance d’ex-mouvements rebelles intégrés dans les FARDC en 2009.
Afrik.com : Plus généralement, avec-vous le souvenir de négociations difficiles ?
Murhabazi Namegabe : A l’époque de la rébellion ouverte entre août 1998 et juin 2003 : négocier la libération des enfants était considéré par tel ou tel groupe ou force armée comme une tentative antirévolutionnaire, une déstabilisation des effectifs du groupe armé… Alors pas question de parler en pleine brousse des droits humains de l’enfant ou de la femme à un chef armé jusqu’aux dents, drogué ou plein de fétiches ! Il fallait demander, à travers les « sages » de la communauté, qu’il nous accorde une audience pour lui faire comprendre que dans les traditions congolaises c’est l’adulte qui protège l’enfant des combats. Que les enfants de la communauté, qu’il prétend défendre, ne vont plus à l’école, n’ont plus à manger, pas de soins médicaux, qu’ils sont en train de mourir… Parfois, en discutant, on parvenait même à détendre l’atmosphère.
Afrik.com : Toujours est-il que la négociation peut se révéler dangereuse…
Murhabazi Namegabe : Les plus fous des chefs nous ont parfois pris en otage, jugés à la seconde et condamnés à mort, en braquant leurs armes sur nous… D’autres nous ont dit que s’ils démobilisaient les enfants, nous devrions nous enrôler en retour ! Aujourd’hui, notre travail est plus sécurisé grâce aux casques bleus de la Monuc.
Afrik.com : Recevez-vous les enfants quel que soit où ils ont combattu ?
Murhabazi Namegabe : Nous recevons des enfants des FARDC – qui comptent des enfants-soldats de différentes ethnies et de différents groupes armés, des enfants de groupes armés non intégrés (dans les FARDC, ndlr), des enfants qui s’échappent des FDLR et d’autres groupes armés étrangers, ou des enfants qui sont capturés par les FARDC lors de la traque de ces mêmes groupes armés étrangers. Cette situation est très complexe à gérer pour le BVES en termes d’accueil aux centres de transit, mais aussi en termes de reconstitution de l’identité de chaque enfant. Or, cette étape est indispensable pour localiser la famille dans un contexte où les enfants ne sont pas enregistrés à la naissance, où les guerres ont déplacé des milliers de parents de leurs villages, où des enfants recrutés à 8 ans sont restés entre 3 et 5 ans séparés de leur famille et leur communauté, où les conflits sont transfrontaliers avec l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi.
Afrik.com : Comment se passe la réinsertion des enfants ?
Murhabazi Namegabe : Après trois mois de prise en charge et d’accompagnement psychosocial dans nos centres pour garçons et pour filles, les enfants libérés des forces et groupes armés sont renvoyés dans leur famille biologique, placés dans des familles d’accueil ou en foyer de jeunes. Tous sortent des centres du BVES avec un projet de vie individuel ou collectif que le BVES va appuyer. Ce projet peut être une réinsertion scolaire formelle ou informelle, une formation professionnelle ou une activité économique génératrice de revenu à base communautaire – une option qui intéresse surtout les filles et garçons âgés de 17 à 18 ans. Une fois en famille et appuyés dans leur réinsertion scolaire ou professionnelle, le BVES assure le suivi avec des noyaux communautaires pour la protection des droits des enfants, afin de s’assurer que la réinsertion marche bien et que les enfants ne sont pas repris par des chefs militaires.
Afrik.com : Certains enfants sont-ils effectivement repris ?
Murhabazi Namegabe : Des dizaines d’enfants ont été ré-enrôlés à chaque fois qu’un nouveau conflit a surgi dans leur communauté de base. Nous les avons alors libérés une deuxième fois !
Afrik.com : L’arrestation de Thomas Lubanga, inculpé devant la Cour pénale internationale (CPI) d’enrôlement d’enfants-soldats, ne décourage pas les forces et groupes armés d’enrôler. Pourquoi ?
Murhabazi Namegabe : Trois des seigneurs de guerre en Ituri sont déjà sous les verrous de la justice internationale. Cela a un impact : les seigneurs de guerre sont conscients qu’ils pourront un jour tomber entre les mains de la CPI ou d’une justice nationale renforcée. Mais dans les brousses, fous de sang versé, des viols perpétrés et des drogues consommées, plusieurs chefs négligent la législation internationale ou nationale protégeant les enfants contre la guerre, ou ne savent pas qu’elle existe.
Afrik.com : Avez-vous le sentiment que vos efforts paient ?
Murhabazi Namegabe : Heureusement, depuis 2002, près de 40 000 enfants-soldats sont sortis ou ont été libérés des forces et groupes armés. Le lancement en 2004 du programme national de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) a beaucoup joué en offrant un cadre légal de travail aux ONG. 10% des enfants libérés sont passés directement par les centres BVES et, aujourd’hui, des dizaines d’entre eux ont décroché un diplôme d’Etat et sont à l’université… D’autres travaillent dans plusieurs secteurs professionnels.