La RDC passe à l’offensive. Elle saisit la Cour internationale de justice de La Haye, afin d’obtenir une condamnation du Rwanda dans le conflit qui oppose les deux pays depuis 1998. Ntumba Lwaba, ministre congolais des Droits humains, explique les raisons de cette requête. Interview.
Afrik : Pour quelles raisons saisissez-vous aujourd’hui la Cour internationale de justice de La Haye à l’encontre du Rwanda ?
Ntumba Lwaba : Il s’agit en fait une seconde requête. Nous avions déjà saisi la Cour de justice de La Haye, ainsi que l’OUA et la Commission africaine des droits de l’Homme en 1999. Sans grand résultat. Depuis 1998, le Rwanda mène contre notre pays une guerre » statocide « , si je peux risquer ce néologisme. Sa stratégie consiste à supprimer purement et simplement le Congo, afin de le partager entre le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi. Les mouvements rebelles qu’ils ont créés en RDC ne sont qu’un vernis pour couvrir l’agression.
Afrik : Mais la situation a évolué….
Ntumba Lwaba : L’Ouganda et le Burundi reviennent à la raison. Pas le Rwanda. Et un véritable génocide s’est déroulé au Congo. 3,5 millions de personnes ont été tuées dont 550 000 enfants. Sans compter les viols utilisés comme arme de guerre, les massacres ciblés contre certaines ethnies qui offraient plus de résistance, contre les activistes des droits de l’Homme, le clergé, les chefs coutumiers. Tout ceci pour asseoir une domination. Et le massacre de Kisangani, intervenu alors que nous faisions cette requête, poursuit cette logique.
Afrik : Comment expliquez-vous les événements de Kisangani ?
Ntumba Lwaba : Les Congolais, notamment les jeunes, fatigués de l’occupation rwandaise, se sont soulevés. Ils venaient d’assister à la réconciliation à Sun City de 70% du territoire congolais et ne voulaient pas rester en marge à cause du refus des rebelles du RCD Goma, qui n’ont pas su se défaire de la tutelle rwandaise. Les représailles ont été disproportionnées. Elles ont fait 250 à 300 morts et de nombreux disparus. Les Rwandais et le RCD Goma ont éventré les gens, rempli leur ventre de pierres avant de les jeter dans la rivière. Et comme le courant a fait remonter les corps, ils les ont enterrés près de l’aéroport, où l’on a retrouvé des fosses communes.
Afrik : Comment distinguez-vous la responsabilité du Rwanda et celle du RCD Goma congolais ? Avez-vous des preuves matérielles impliquant le Rwanda ?
Ntumba Lwaba : On ne peut dissocier le RCD Goma du Rwanda. Le RCD n’en est qu’une force auxiliaire. Il est présent à tout moment au Rwanda et y reçoit ses instructions. Quant aux preuves matérielles, je ne peux les divulguer ici. Mais les Ong nationales, le groupe Lotus ou le réseau catholique Rodhesic, recueillent sur place des preuves, des témoignages, celui de l’archevêque de Kisangani par exemple. Et suite à notre requête, Mary Robinson, Haut commissaire aux droits de l’Homme, a également dépêché à Kisangani deux rapporteurs des droits de l’Homme et des exécutions sommaires. L’enquête n’est pas close mais le dossier est déjà très étayé.
Afrik : Que demandez-vous précisément à la Cour internationale de justice ?
Ntumba Lwaba : Toutes ces violations sont liées à l’occupation du territoire. Nous demandons le respect des résolutions du Conseil de sécurité, c’est-à-dire une démilitarisation de la région et un retrait immédiat et sans condition du territoire. Suite au massacre de Kisangani, nous avons également demandé que soient prises en urgence des mesures conservatoires, pour que les victimes soient reconnues et les personnes protégées. Enfin, nous souhaitons obtenir un changement du mandat de la Monuc (Mission d’observation des Nations Unies au Congo). Les troupes de l’Onu doivent surveiller les frontières du pays. Cela signifie évidemment un renforcement important de la présence de l’Onu dans le pays. Par ailleurs, nous allons saisir le Conseil de sécurité pour qu’un tribunal pénal international soit créé en RDC.
Afrik : Pensez-vous être entendu ?
M Ntumba Lwaba : Le Conseil de sécurité répète que les responsabilités dans les crimes de guerre doivent être identifiées et suppose que la justice nationale n’offre pas toutes les garanties. Cette création serait une application directe de ses propres principes. Et je pense qu’il ne faut pas négliger la vertu dissuasive d’un tel tribunal. Ce serait en tout cas un pas vers la paix. Et j’ai bon espoir que nous le franchissions bientôt.