Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) ont de manière tragique détourné la bonne volonté du monde entier en soutenant des approches officielles de l’aide publique à la pauvreté mondiale qui ont échoué, mais en ne fournissant pratiquement aucun appui à des approches éprouvées.
Des économistes tels que Jeffrey Sachs pourraient faire valoir que le système peut être amélioré en abandonnant l’aide bilatérale pour se diriger vers une approche « multi- donateurs » sur le modèle du Fonds Global de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Mais l’expérience actuelle comme l’histoire nous montrent très clairement que le seul moteur de croissance réel pour sortir de la pauvreté est l’entreprise, et il n’y a aucune preuve que l’aide alimente une telle croissance.
Sur les huit objectifs, seul le huitième reconnaît vaguement l’investissement privé, dans son appel à un « système commercial non discriminatoire ». Ce langage anesthésiant se réfère au scandale des pays riches maintenant des barrières qui favorisent un petit nombre de leurs entreprises au détriment de millions de pauvres ailleurs dans le monde. Pourtant, l’objectif du millénaire portant sur le commerce international n’a reçu pratiquement aucune attention dans la vaste campagne de sensibilisation, il n’a fait l’objet d’aucune action, et même son échec n’a quasiment pas attiré l’attention dans le brouhaha du sommet des OMD cette semaine.
Cette erreur est d’autant plus regrettable que la croissance tirée par le commerce non seulement réduit la pauvreté, mais elle aide aussi indirectement à atteindre tous les autres OMD. Pourtant, pour les seuls États-Unis, les violations de l’objectif du commerce international sont légion. Les consommateurs américains payent depuis longtemps le sucre environ le double du prix mondial en raison des quotas d’importation pour protéger quelque 9.000 producteurs nationaux de sucre. L’Union Européenne est tout aussi coupable en la matière.
Tout aussi graves sont les subventions distribuées aux producteurs américains de coton, qui inondent le marché mondial, déprimant les prix à l’exportation. Ces protections ont frappé les producteurs de coton aux coûts les plus bas dans l’économie mondiale, qui se trouvent également être quelques-unes des nations les plus pauvres sur la terre : le Mali, le Burkina Faso et le Tchad.
Selon une étude d’Oxfam, la suppression des subventions américaines au coton « améliorerait le bien-être de plus d’un million de foyers d’Afrique de l’Ouest – 10 millions de personnes – en augmentant leurs revenus provenant de la production de coton de 8 à 20 pour cent ».
Brahima Ouattara, un petit cultivateur de coton à Logokourani, Burkina Faso, a décrit le statu quo à l’agence d’aide il y a quelques années: « Les prix du coton sont trop faibles pour pouvoir envoyer nos enfants à l’école, ou pour acheter de la nourriture et payer pour des soins de santé. »
En toute justice, il est vrai que le gouvernement américain a parfois essayé de promouvoir le commerce avec les pays pauvres, comme dans le cadre de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), un effort bipartisan au cours des trois derniers mandats présidentiels, pour accepter les exportations africaines sans droits de douane. Malheureusement, même ce programme démontre l’indifférence de la politique commerciale des États-Unis envers les pauvres.
En effet, la réussite la plus spectaculaire a été les exportations de textiles en provenance de Madagascar aux États-Unis ; mais les États-Unis ont exclu Madagascar de l’AGOA à Noël 2009. Le prétexte de cette débâcle tragique a été que Madagascar ne parvenait pas à faire des progrès sur le volet « démocratie » ; une excuse étrange étant donné que le Cameroun fait toujours partie du programme, alors que le dictateur Paul Biya y est au pouvoir depuis 28 ans de violence. L’Angola, le Tchad et même la République démocratique du Congo sont également toujours dans l’AGOA. Entre temps, l’industrie textile malgache s’est effondrée.
En dépit de tout cela, la grande campagne de sensibilisation aux Objectifs du Millénaire ignore encore le thème de la croissance des entreprises privées grâce au commerce international, à quelques exceptions près comme Oxfam. La cause se faisant plus bruyante en 2005 autour du sommet du G8 et des concerts du Live 8, elle a remporté un succès sur l’aide, que le G8 a augmentée, mais rien sur le commerce international.
L’ONU a constamment engagé des entreprises privées des États-Unis sur presque tous les OMD de réduction de la pauvreté, sauf celui sur le commerce international, qui réduirait les subventions, génératrices de pauvreté, aux entreprises privées américaines. Et tandis que l’ONU a tenu un forum « secteur privé » le 22 septembre, au sein du sommet des OMD, le site de ce forum ne fait aucune mention des protections commerciales des pays riches.
Le gouvernement américain, pour sa part, a récemment annoncé sa « stratégie pour atteindre les objectifs du millénaire pour le développement ». La proportion consacrée dans ce rapport aux subventions mêmes du gouvernement des États-Unis, aux quotas et droits de douane qui touchent les pauvres est : zéro. La couverture médiatique reflète d’ailleurs ce fait. Sur Google News, dans une recherche parmi des milliers d’articles sur les objectifs du Millénaire au cours de la semaine écoulée, le nombre mentionnant, par exemple, « subventions au coton » ou « quotas sur le sucre » est à ce jour aussi : zéro.
Il est déjà clair que les objectifs ne seront pas atteints à la date cible de 2015. On peut déjà prévoir que le tintamarre qui accompagne cet échec portera sur l’aide, mais que le silence régnera en ce qui concerne le commerce. Le tintamarre portera aussi sur l’échec des actions publiques à promouvoir le développement, mais le silence régnera aussi sur les occasions perdues de permettre aux entrepreneurs efficaces des pays pauvres de se sortir de la pauvreté.
William Easterly est professeur d’économie à l’Université de New York et co-directeur de son Institut de recherches pour le développement. Il est l’auteur de Les pays pauvres sont-ils condamnés à le rester, Éditions d’organisation 2006, et Le fardeau de l’homme blanc : L’échec des politiques occidentales d’aide aux pays pauvres, Markus Haller 2009.
Ceci est une traduction d’un article paru dans le Financial Times (FT.com).
Publié en collaboration avec UnMondeLibre.org