Enfin! Nous allons, enfin, pouvoir respirer. Le jour de gloire est arrivé. Telle fut la teneur des chamailleries sur Internet, mardi. L’investiture de Barack Obama a drainé environ 2 millions de personnes à Washington DC. Impossible, cependant, de savoir avec exactitude combien de terriens ont suivi l’évènement. Voici, selon le cas, une piqûre de rappel, ou le récit de cette journée historique vue d’Atlanta.
Déçu de n’avoir pu me rendre à Washington DC pour la communion présidentielle, j’ai compté parmi ceux qui ont boudé, pire, boycotté l’évènement. Par anti-américanisme ? Que nenni. Peur du froid? Encore moins. Anti-Obamisme? La blague ! Caprice ? Touché comme disent les Américains. Coulé même, suis-je tenté d’écrire. Car tel un adolescent ayant obtenu de ses parents la permission de minuit, mais contraint de rester en chambre, panne de voiture oblige, j’étais inconsolable. 20 janvier 2009 ou pas, j’étais condamné à rester à la maison.
Le début du périple inaugural m’avait pourtant mis l’eau à la bouche. A bord du train »Obama Express », parti de Philadelphie (ancienne capitale américaine et lieu où les dix premiers amendements de la Constitution ont été rédigés en 1790), celui qui était encore le président élu devait se rendre à Washington, en passant par Wilmington afin de récupérer Joe Biden et sa femme, et Baltimore, lieu où l’hymne national a été rédigé en 1814. J’espérais, déjà, naïvement faire partie des centaines de milliers de personnes présentes au pied du Lincoln Memorial, pour écouter la bande à Bono (U2), Bruce Springsteen, Shakira, Mary J Blige, et autres. Les 5 000 places assises mises en vente vendredi (25$ pièces, puis 200, voire 300$ au marché noir) n’ont pas fait deux minutes. Ne connaissant aucun membre du Congrès, je n’ai pas pu bénéficier non plus des 240 000 tickets gratuits mis à disposition.
Télécommande en main, je m’étais juré de ne pas me laisser attendrir par CNN, ABC, CBS, CNBC, et FOX News, car eux n’auraient jamais eu l’idée de rater ce jour historique. Inutile également de foncer sur BET (Black Entertainment Television) et TV ONE. A président inédit, couverture médiatique »black » inédite. Andrew Zimmern et son émission Bizarre Food (il parcourt le monde à la recherche des mets les plus abracadabrants et les plus écœurants visuellement) ont tenté un court instant de me faire découvrir les »délices » de la cuisine vietnamienne, en vain. La tentation était trop forte. Le »coup de gras » (coup de grâce d’après les Américains) m’a été asséné par une publicité. Le télévendeur tentant de bazarder son lot d’assiettes estampillé « Yes we did ! » s’en pris à moi : « Que répondrez-vous à vos enfants, lorsqu’ils vous demanderont où vous étiez…? » Cela s’appelle un coup bas. Tout simplement.
L’irrépressible tentation
« Quelle va être la tête de Georges Bush au moment de la passation de pouvoir ? Obama a-t-il invité John McCain à la cérémonie ? Que va-t-il dire après avoir prêté serment ? Que va porter la ravissante Michelle ? Sasha et Malia seront-elles aussi »cute » que le soir de la victoire ? » Il me fallait savoir. Et vite ! C’est ainsi qu’à l’instar du reste de l’humanité, j’ai vu et j’ai su. Plus qu’il n’en fallait même. Toute la journée, j’ai épié, telle une maquerelle, les nouveaux locataires de la Maison-Blanche. Je ne les ai pas lâchés d’une semelle [sauf a l’heure du déjeuner]. Je n’ai pas raté cette journée marathon d’un iota. Le soir venu, j’ai même assisté aux bals musicaux. J’ai vu »Mister President » en noeud papillon, dansant tantôt avec la »First Lady », tantôt avec de parfaites inconnues, tentant à tour de rôle de lui glisser je ne sais quoi à l’oreille. Au fil de la soirée, j’ai reconnu Mariah Carey, Alicia Keys, Jamie Foxx, Sting, Usher, Kanye West, Jay Z, Beyonce, Oprah…. Le gotha en somme.
“Obama a cassé la baraque !”, entendait-on dans les barbershops mercredi matin. Le Centennial Olympic Park d’Atlanta paraissait hanté. Les écrans géants mis à disposition pour retransmettre »l’Obamastock » [en référence à Woodstock] avaient été soigneusement rangé. Sur la »place des fêtes », les cris de joie et de liesse populaire de la veille résonnaient encore. « Hier, le centre-ville était noir de monde. Il fallait voir cela. C’était historique. Boulot ou pas, personne n’a voulu manquer cette magnifique journée. Nous ne sommes pas sûrs de revivre un tel évènement, reprennent en cœur Melvin et Terry, deux agents de sécurité de la ville. » Moi non plus. Je plaide coupable pour être resté enfermé. « Une foule venait des quatre coins de la ville, sans différence de race, religion, classe, sexe, âge (…). Nous étions tous réunis afin de célébrer la renaissance de l’Amérique, s’enthousiasme Greta, une serveuse Afro-Américaine, alors que je lui explique avoir vécu l’intronisation sur mon canapé. Cela m’a beaucoup ému. Je n’arrivais pas à y croire. C’est cela les Etats-Unis. Une nation unie sous une même bannière. Nous l’avons démontré au monde entier, grâce à Barack Obama, poursuit-elle. Je n’aurais raté cela pour rien au monde. » Merci pour la compassion…
Hasard du calendrier ou énième baraka d’Obama, la cérémonie du 44eme président des Etats-Unis s’est tenu 24h après le »Martin Luther King Jr Day », un jour férié. Double célébration, donc, pour les habitants d’Atlanta qui rendaient hommage cette année, à la fois, à l’icône de la non violence et au nouveau couple présidentiel. John Allen, un vétéran du Vietnam, confirme : “Le révérend King était un enfant de Georgie. Voir le président Obama (fierté dans la voix) rassembler plus de monde qu’en 1963 (année du »I have a dream ») m’a fait chaud au cœur. J’ai vécu l’un des plus beau jour de ma vie. Jamais je n’aurais cru voir cela de mon vivant. Ce n’est possible qu’aux USA.”
Une lune de miel à l’Américaine
Des villages kenyans les plus reculés, aux provinces chinoises les moins urbanisées, transistors et tubes cathodiques se sont fait l’écho de cette lune de miel à l’américaine. Cette 56e investiture a été religieusement suivie, plus que le mariage de la princesse Diana ont-ils dit sur CNN. Telle une superproduction, tous les ingrédients ont savamment été dosés. Le héros impeccable et sa belle promise, l’image de la grande famille, les hommes en lunettes et costumes noirs, la grosse limousine (ici la Cadillac One, dite »Obamamobile » ou »la bête », véhicule muni d’un blindage 125 mm capable de résister aux bombes, et munie d’un intérieur anti-attaques biologico-chimiques), et les supporters amassés de toute part. Pour une fois, au moins, l’on peut se féliciter de l’absence de coups de feu, voire d’explosions. L’effet »Vantage Point » (film avec Forrest Whitaker et Said Taghmaoui) n’a pas eu lieu. Ouf (de soulagement) ! Le discret gilet pare-balles de Barack Obama s’est avéré totalement inutile.
Le nouveau président américain fait irrésistiblement l’unanimité. Selon les derniers sondages d’opinions, plus de 70% des Américains lui font confiance. L’exploitation de son image à des fins mercantiles fait un tabac. L’Obamania et sa déferlante de produits dérivés en tous genres s’affiche partout, du T-shirt aux ustensiles classés X, sans pour autant que le nouveau chef d’Etat ne bénéficie de retombées financières. L’opposition républicaine, quant à elle, panse ses plaies, et peine à se restructurer, comme le reconnait Colin Powell. Cet état de torpeur laisse aux démocrates une importante marge de manœuvre pour redresser la barre d’un pays mis à mal par huit années d’administration Bush. A ce jour, le déficit budgétaire américain atteint 1200 milliards de dollars. Côte emploi, 1 900 000 personnes ont perdu leur emploi durant les quatre derniers mois de 2008, ce qui élève à environs 2 600 000 le nombre total de chômeurs. Après les mots, place à l’action, ou à la… désillusion. Seul l’avenir dira si l’idylle entre le peuple américain et M. Obama résistera à la crise. Go Barack (Tu peux le faire) ! C’est maintenant ou plus jamais.